ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




La genèse du discours de Jésus :

les références bibliques dans le processus de sublimation du complexe du bâtard



Sommaire
Prologue

La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours

Genèse du discours
- Introduction
- La purification
- La crise
- Les références bibliques
  . Introduction
  . Osée
  . Ézéchiel
  . Comparaison
- La vision d’Osée
- Le message d’Ézéchiel
- Le Dieu de Jésus
- La personnalité de Jésus
- Le discours
- Résumé

Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

Le message d’Ézéchiel


   La parabole d’Osée déferle sur le message des prophètes qui l’ont suivi comme un thème qui vient le moduler et l’intensifier. C’est surtout chez Ézéchiel que la parabole a un retentissement profond, se traduisant cependant en une allégorie qui recouvre l’ensemble du message.
   C’est que le contexte historique sous-jacent à l’activité prophétique d’Ézéchiel reproduit et prolonge celui d’Osée. Le peuple juif n’est plus une nation, mais une multitude d’hommes esclaves de la puissance de l’empire. Au temps d’Osée, il s’agissait de l’empire assyrien, maintenant de l’empire babylonien ; là, le maître était Tiglat Pileser, ici Nabuchodonosor ; alors la nation vaincue était Israël, la Samarie, maintenant c’est Juda, Jérusalem. La différence de noms ne change ni le tragique d’existence, ni la violence. Et ce tragique ne pouvait susciter que des prophètes très semblables, ou pour le moins inspirés par la même perspective de salut.
   Aucun peuple, sans doute, ne se montre aussi cyclique dans son histoire que le peuple juif, qui se laisse comprendre par des constantes structurales plus que par une dynamique de progression. La parenté entre Ézéchiel et Osée se manifeste surtout dans l’ensemble du message du jugement. Combien le comportement de Sédécias envers Nabuchodo­nosor, avec lequel il avait fait alliance, dut paraître analogue à celui du roi Osée à l’égard de l’assyrien ; et la peine fut semblable : destruction de Samarie et dispersion du peuple, destruction de Jérusalem et déportation de ses habitants.
   Pour Ézéchiel, la volte-face d’Ézéchias fut un signe qui révélait l’infidélité du peuple à son alliance avec Dieu, tout comme le fut pour Osée la contre-ruse de son petit roi à l’encontre de l’Assyrie. L’assimilation de la politique royale à l’infidélité du peuple est pour le prophète l’occasion de comprendre et d’exprimer les événements à la lumière de l’image de la « femme prostituée » employée par Osée. Toutefois, alors que chez celui-ci l’image est poétique, restant dans les limites d’une métaphore qui devient tout au plus parabole, chez Ézéchiel elle est rhétorique, se transformant en allégorie : Jérusalem n’est pas seulement semblable à une femme prostituée, elle est cette femme prostituée que le prophète dessine et dont l’image correspond dans le détail à tous les moments de son existence (Éz 16).

   Cette femme a en effet eu pour père un Amoréen et pour mère une Hétienne. À sa naissance, elle avait été exposée et, lorsque Dieu la trouva, elle n’avait même pas été lavée pour être purifiée. Quoiqu’objet d’horreur plus que de compassion, elle fut adoptée par Dieu. Sans doute le prophète veut-il décrire une naissance bâtarde, cette femme étant le fruit d’un couple hétérogène et ayant été exposée alors qu’elle était encore impure. Dieu la rencontre une deuxième fois lorsqu’elle est adolescente, au temps des amours. Épris d’elle, il la prend comme épouse après l’avoir lavée dans l’eau, la purifiant de toute souillure. Elle est belle mais, une fois épousée, elle se prostitue. Pour le prophète, cette prostitution est celle du peuple, pratiquant des cultes dans les hauts lieux, s’adonnant à l’idolâtrie au point d’offrir des sacrifices humains ou s’alliant à des puissances étrangères(1). Dieu ne pouvait donc que la punir, lui infligeant la peine réservée aux femmes adultères. Remise à ses anciens amants, elle est mise à nu pour être lapidée et percée d’épées.
   Quoiqu’abstraite, la silhouette de cette femme correspond de façon frappante à l’histoire du royaume de Juda. Jérusalem, devenue ville royale bien que ne figurant pas parmi les cités patriarchales, fut effectivement mise à sac et ruinée par le plus puissant de ses amants, Nabuchodonosor. Si celui-ci a pu accomplir cette destruction, c’est que Dieu avait quitté le temple et la ville, comme il avait quitté le territoire d’Israël pour retourner dans sa demeure, chez Osée : le mari, en tant que maître, a abandonné son épouse à la vengeance de ses amants. Mais chez Ézéchiel, le départ de Dieu se fait de façon solennelle, dans un char de chérubins, à l’image de la fuite des rois quand ils ne sont plus en mesure de défendre leur ville (Éz 9).

   Ézéchiel n’a fait jusqu’ici que suivre la vision d’Osée, mais en la développant allégoriquement, multipliant les détails, l’exprimant par des scènes tragiques et eschatologiques. Il annonce la chute de Jérusalem comme marquant la fin du peuple, le moment ultime de son existence historique. À juste titre, d’ailleurs, puisque cette destruction, venant après celle du royaume d’Israël par l’empire assyrien, semble accomplir les cycles de la malédiction et du jugement. Les deux royaumes étant détruits, il n’y a plus de nation, il n’y a plus de peuple de Dieu, Dieu n’a plus d’épouse. Ézéchiel ne serait-il donc qu’un prophète de malheur ?

   C’est ce malheur, au contraire, qui lui donne motif de devenir un prophète d’espérance, en lui permettant de se faire l’écho de ce message de salut qu’Osée avait lancé à partir de l’attente amoureuse de Dieu dans le désert. Le prophète, en effet, est conduit lui aussi en captivité, contraint de partager avec ses frères cette malédiction de Dieu qu’il avait annoncée, il subit en sa propre chair les blessures mortelles de sa mère. C’est dans sa condition d’homme déporté qu’il devient prophète d’espérance.
   Mais ce message, comme je le préciserai par la suite, n’est pas une simple variante du premier, il est nouveau, fondé sur une initiative que le jugement ne laissait pas prévoir. En effet, sitôt arrivé en exil au bord du Kedar (Éz 1:1), il a une vision : il voit les cieux s’ouvrir et Dieu apparaître dans toute sa gloire comme si, après sa sortie du temple, il avait cessé d’être le Dieu d’un peuple pour devenir celui du ciel. Une voix ordonne au prophète de se mettre debout face à Dieu (Éz 2:1) : le prophète n’est donc pas un homme qui gît comme un mort, mais un être en situation de marche. C’est debout qu’il est appelé à prophétiser de nouveau, pour annoncer non plus la mort mais la résurrection du peuple.

   La résurrection est annoncée par une série de visions, parmi lesquelles je retiendrai celles des ossements, du cèdre et du verger. Dans la première (Éz 37:1-14), le peuple déporté et esclave apparaît sous l’image d’ossements qui, sous le souffle de Dieu, reprennent chair, devenant des corps vivants. Dans la deuxième (Éz 37:15-28), Dieu replante sur le mont Sion une branche de cèdre que l’aigle – Nabuchodonosor – avait arrachée du Liban pour la planter à Babylone. Dans la troisième (Éz 36), le prophète voit la plaine, transformée en désert par la dévastation, reverdir et devenir un verger plein de fruits. Conjointement, l’image de Jérusalem apparaît, non plus comme une femme prostituée mais comme une femme en état d’impureté cyclique, nouvelle allégorie pour exprimer que, désormais, il ne s’agit plus d’un peuple objet de jugement mais de purification.
   Et Dieu purifie son peuple : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ; je vous purifierai de toutes vos souillures et de toutes vos idoles ; je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai votre cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair » (Éz 36:25-26). La résurrection implique une nouvelle création, ce qui relie le nouveau peuple à l’ancien ce sont les os : l’homme devenu pierre. Dieu change cette pierre en chair en lui donnant un souffle nouveau, la purification que la femme reçoit est une initiation à une nouvelle vie.

   L’ensemble des visions et des oracles est couronné par la proclamation du retour de Dieu, qui entre dans le temple pour prendre définitivement possession de sa demeure au milieu du peuple : « Et voici, la gloire du Dieu d’Israël s’avançait de l’orient… entra dans la maison par la porte qui est du côté de l’orient… et il remplissait la maison » (Éz 43:2-5). Cette apparition est au centre de la vision générale de la restauration du temple et du culte. Elle est suivie par l’autre grande vision du fleuve qui sourd de la porte de l’orient du temple et qui, descendant jusqu’à la mer morte, purifie le désert de Juda – image refoulée de la nation juive rendue déserte par le jugement de Dieu –, lui redonne vie en la transformant en verger (Éz 47).

______________

(1) Pour une vision d’ensemble sur ce chapitre, voir P. Buis, « Un constat d’adultère pas ordinaire : Ézéchiel 16 », in Etudes Théol. et rel. (53), 1979, pp. 502-507.   Retour au texte




1984




Retour à l'accueil Osée Haut de page Comparaison des deux messages      écrire au webmestre

u0932000 : 09/04/2018