ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




La genèse du discours de Jésus :

les références bibliques dans le processus de sublimation du complexe du bâtard



Sommaire
Prologue

La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours

Genèse du discours
- Introduction
- La purification
- La crise
- Les références bibliques
  . Introduction
  . Osée
  . Ézéchiel
  . Comparaison
- La vision d’Osée
- Le message d’Ézéchiel
- Le Dieu de Jésus
- La personnalité de Jésus
- Le discours
- Résumé

Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



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Comparaison des messages d’Ézéchiel et d’Osée


   Les deux messages d’Osée et d’Ézéchiel impliquent-ils une conversion de Dieu à l’homme ? Il convient avant tout de les situer par rapport au mosaïsme et de mettre en relief leurs différences. On doit supposer à l’arrière-plan la présence de Yahvé, le Dieu de Moïse.
   Bien qu’il se présente comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, il n’est pas à proprement parler le père du peuple, il en est le maître. S’il a pitié de lui, s’il le protège et le sauve, c’est moins en raison d’une filiation que d’une relation d’appartenance ; s’il veut son salut, c’est en fonction de sa propre gloire, de son « nom ». C’est pourquoi il se lie au peuple par une « alliance », qui est un contrat par lequel il s’engage à le bénir dans la mesure où il observe ses commandements ; dans le cas contraire, il se réserve le droit de les maudire. Il est souverain, propriétaire, maître du peuple. S’il a un visage humain, c’est selon la rigueur de la justice.

   Le message d’Osée naît de la prise de conscience de la logique inexorable de l’alliance. Si le peuple transgresse la loi au point de nier la souveraineté de Dieu, il ne peut s’attendre qu’à la dispersion et à la mort, c’est la loi inflexible de tout pouvoir souverain. Osée sait que l’homme est beaucoup plus pécheur que la loi mosaïque ne le suppose : malgré le contrat, le peuple est condamné d’avance, d’où le sentiment de compassion qu’Osée éprouve à son égard. Si Yahvé n’est qu’un Tiglat Pilesar doué d’une puissance infinie, le peuple ne pourra se sauver. Pour qu’il y ait un espoir, il faut qu’il y ait en Dieu quelque chose qui aille au-delà de son pouvoir, qu’il ait une âme qui puisse être en correspondance avec la nature pécheresse de l’homme. Le salut de l’homme exige que Yahvé se convertisse à lui.
   Osée est le premier dans le judaïsme, à ma connaissance, qui ait perçu Dieu par-delà la justice. Il a vu que le fond de la divinité n’était pas le pouvoir mais l’amour : sa souffrance de mari trahi et encore amoureux lui a permis de franchir ces limites. Parce qu’il était aussi poète, il a su aller au-delà du Dieu de Moïse, il a vu Dieu à sa propre image, pour se voir par la suite dans l’image de Dieu. D’où la projection : son épouse devient le reflet du peuple, tandis qu’il est lui-même celui de Dieu.

   C’est en ce sens qu’Osée peut être comparé au Prométhée d’Eschyle (voir l’étude détaillée). La délivrance de celui-ci implique en effet une plaidoirie de Dieu contre l’homme, mais celle-ci recouvre en fait un monologue de Dieu destiné à le convertir à l’homme. Le message d’Osée est lui aussi une plaidoirie contre Israël, la femme mère du peuple. Mais ce qui rend ce discours captivant, sublime et profond est moins l’accusation que le désir d’amour qui l’anime. Dieu renonce à être « maître », « Baal » (Os 2:18-19), pour recevoir son épouse comme mari, comme époux. Le fond de la divinité n’est plus le pouvoir mais l’amour.

   Réfléchissons à nouveau sur le « désert ». Nous avons vu qu’il exprime à la fois la punition subie par l’épouse et cette condition de néant requise pour sa conversion. Mais dans la mesure où Dieu lui-même s’est retiré dans le désert, lui aussi se trouve dans une situation de néant, afin justement de rendre possible la rencontre avec l’épouse : Dieu aussi est devenu désert, situation d’attente d’une mort pour une nouvelle vie par l’amour. Dieu s’intériorise, il devient homme en tant que postulat absolu de l’existence de l’homme.
   Le drame du message d’Osée se noue autour de l’opposition de sens du mot « désert » : l’épouse retrouvera son salut si elle passe de son désert à celui de Dieu. En supposant ces deux déserts, c’est à elle que revient l’initiative, elle ne peut se sauver qu’en se convertissant, la repentance devient condition sine qua non de son salut. Elle doit se repentir à partir de son désert, du néant auquel l’abandon de Dieu l’a réduite. Plus profondément, elle doit se repentir à partir du néant auquel Dieu lui aussi est revenu, néant de pouvoir, néant de lui-même comme « Baal », comme maître, pour ne s’offrir que comme époux souffrant, désir en situation d’attente. L’épouse ne peut être sauvée que par une réponse d’amour à l’amour.

   Quant à Ézéchiel, l’analogie entre le contexte historique de son message et celui du message d’Osée ainsi que l’identité de leurs thèmes ne doivent pas nous induire en erreur. Il est vrai que ieu adopte Jérusalem, lui ôtant la honte de sa naissance et allant jusqu’à l’épouser, mais si on recherche les motivations réelles de ce comporte­ment, on doit légitimement douter que ce soit l’amour : « Ce n’est pas à cause de vous que j’ai agi de la sorte, maison d’Israël, c’est à cause de mon saint nom que vous avez profané parmi les nations où vous êtes allés » (Éz 36:22).
   Dieu ne sauve pas parce qu’il aime, mais parce qu’il s’aime lui-même, il n’est jaloux que de son nom. Dieu n’a pas renoncé à être seigneur, Baal ; au contraire, s’il est disposé à faire ressusciter Israël, c’est que le péché de celui-ci mettrait en échec son nom, donc sa souveraineté, sa seigneurie(1). Vu sous cet angle, le message d’Ézéchiel semble en antithèse plutôt qu’en accord avec celui d’Osée. Dieu ne se convertit pas à l’homme, on découvre dans son attitude une prise de conscience de sa souveraineté qui est comme un retour à lui-même. S’il épouse à nouveau Israël, c’est en tant qu’époux-maître, en tant que Baal.
   Ce souci de lui-même le conduit à donner une nouvelle vie à Israël sans attendre qu’il se convertisse, en sachant même qu’il ne se convertira pas : il n’attend pas qu’il se convertisse par son expérience de mort, mais le convertit par l’éclat de sa puissance. C’est pourquoi au rassemblement, au retour dans la patrie et à la restauration du temple, Dieu ajoute un acte de purification de caractère magique, qui rend l’épouse pure à jamais. Reconduite sur terre, l’épouse sera purifiée par l’eau vive, recréée en elle-même par l’esprit et par le changement du cœur. C’est à la fois un nouvel être moral et un nouvel être physique. Cette eau qui descend sur elle coule aussi sur la nation, comme fleuve purificateur et vivifiant. On trouve donc virtuellement chez Ézéchiel cette nouvelle créature dont parlent les écrits apocalyptiques, dans laquelle le péché ne pourra plus jamais exister.

   Mais à quoi correspond historiquement cette purification définitive ? À la restauration du culte de Dieu dans son temple, dans ses rites, culte qui remplace à la fois la prophétie et la royauté, dans la mesure où Dieu demeure dans le temple comme souverain et roi du peuple. Vision d’un rétablissement du judaïsme par une théocratie sacerdotale.

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(1) Savoca – pour ne citer que lui – dans un livre fort intéressant sur la théologie de l’histoire d’Ézéchiel, voit par contre dans l’attitude du Dieu du prophète un signe d’amour plutôt que de justice. Du fait que Dieu entend à tout prix maintenir l’honneur de son nom, l’histoire ne va pas vers le néant, mais toujours vers la glorification du nom divin dans la descendance de Jacob : G. Savoca, Un profeta interroga la storia. Ezechiele e la teologia della storia, Herder, Roma, 1976, p. 194.
Il s’agit sans doute d’une théologie de l’histoire, mais cette théologie ne se fonde pas sur l’amour de Dieu, puisque celui-ci ne garde son peuple que comme instrument de sa toute-puissance. Ne doit-on pas dire que, dans le pouvoir de Dieu, le peuple juif n’a fait que projeter son désir de domination sur les peuples ?   Retour au texte




1984




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