Césarée de Philippes, nous nous sommes retrouvés chez l’un des nouveaux amis pour qui Jésus avait réalisé la charpente de la maison. Quelle joie de constater que Jésus était toujours vivant et n’avait rien perdu de son énergie ni de son esprit prophétique !
Une fois réunis, Jésus a déclaré : « Frères, je ne vous cacherai pas que j’ai été profondément éprouvé par ce qui s’est passé à Dalmanutha : un des moments les plus pénibles de ma vie, même si d’autres, bientôt, seront plus douloureux encore. Juger à travers un signe est une épreuve des plus terribles, car pour se sauver, il faut tenter Dieu ! Mais Dieu m’a donné des ailes de colombe pour m’aider à échapper au danger.
« J’ai aussi reçu un second signe, que les pharisiens sont loin de soupçonner : leur refus de répondre à l’amour de Dieu. En méditant le message d’Osée, je me suis engagé à porter plainte publiquement contre notre mère, le judaïsme, qui nous tient en son pouvoir par le culte et la tradition. Sans outrepasser mon rôle, convaincu qu’à Dieu est réservé tout jugement, j’ai porté le débat dans les synagogues, devant les pharisiens, les publicains et les scribes, par la persuasion comme par des attaques virulentes, mais ma voix s’est perdue dans le désert. Chassé des synagogues et des villes, j’ai été déshonoré, vitupéré, considéré comme impur et possédé par les démons. Pour notre mère, je ne suis qu’un magicien, un prestidigitateur, un faux prophète et un homme maudit !
« Incapables de relever mon défi, les pharisiens ont cherché à me tendre des pièges pour me faire mourir. Ce comportement, porté à son paroxysme lors de la tentation de Dalmanutha, est devenu le signe que je devais modifier ma tactique. Malachie est ambigu : l’ange de l’alliance doit-il proclamer la venue de Dieu, ou purifier le temple ? Le comportement des responsables juifs m’a apporté la réponse : plaider ne suffit pas, il faut agir en conséquence ! Nous devons donc nous préparer à purifier le temple, c’est le signe que Dieu exige de moi maintenant. »
Un grand enthousiasme accueillit ces paroles. Craintifs, lâches et résignés face à l’arrogance des puissants, les disciples ont subitement été saisis d’un esprit nouveau, prêts à la lutte et à tous les risques. Ils venaient de découvrir le motif d’engagement qui comblait leur attente jusqu’alors frustrée. Eux aussi étaient transfigurés.
- J’attendais ce moment depuis longtemps, Maître, s’est exclamé Judas, car nous nous trouvions pris entre l’enclume et le marteau ; nous attendions un signe de Dieu, alors que les pharisiens l’exigeaient de nous. Cette interprétation de l’oracle de Malachie nous permet de comprendre qu’en définitive le signe est unique : purifier le temple ! Ils l’auront, finalement, le signe du ciel !
- Maître, qu’allons-nous faire pour cela ? demandèrent à leur tour les disciples.
- Souvenez-vous comment Judas Maccabée a agi : il a consacré le temple une nouvelle fois, après l’avoir débarrassé des immondices abandonnés par les Grecs. Aujourd’hui, il en va différemment. Les profanateurs de la maison de Dieu sont les grands-prêtres eux-mêmes, qui offrent des sacrifices d’animaux et font commerce de leur chair. Regardez à quel état misérable est réduite la demeure de l’Éternel ! À quoi sert d’en faire une forteresse protectrice du pouvoir d’État, si elle est rabaissée à un marché à bestiaux et à un abattoir ! Qu’en est-il de la repentance ? De la prière ? On offre le pardon de Dieu pour de l’argent ; on fait porter aux animaux le châtiment que l’homme refuse d’expier.
« Montons à la ville de Sion ! Chassons les vendeurs et leurs bestiaux ; renversons les tables des changeurs ; mettons un terme au sacrifice sanglant des prêtres, appelons le peuple à se rassembler et je proclamerai la nouvelle alliance, jour de noces de Dieu avec son peuple, où le ciel exaucera la terre et où la terre regorgera d’huile, de blé et de vin. On chantera au son du luth et du tambourin que Dieu est amour !
- Maître, tout cela est bien, reprit Judas, mais comment le ferons-nous sans nous heurter aux publicains, aux pharisiens et aux scribes ? S’ils s’y opposent, comme c’est prévisible, et recourent à la puissance romaine, quelle force leur opposerons-nous ? Il faut trouver des soutiens, nous associer à des groupes armés et entraînés, et nous armer nous-mêmes...
- Si nous ne montons à Jérusalem que pour répondre à l’appel de Dieu, point n’est besoin d’armes ; nous devons seulement convaincre le peuple de nous suivre. S’il répond, le Seigneur sera avec nous et nous n’aurons besoin d’aucun secours ; s’il se dérobe un soutien armé sera inutile et même dangereux. Votre devoir, frères, est maintenant de retourner dans toute la Palestine, pour préparer le peuple à ce grand événement.
- Maître, quand accomplirons-nous cette purification ?
- Le jour de la Dédicace, quand le peuple entier se rend à Jérusalem pour commémorer la purification accomplie par Judas : il est déjà sensibilisé et, si vous parvenez à le convaincre qu’une purification radicale est nécessaire, il fera de la fête un événement libérateur. À un moment donné, je l’inviterai à accomplir cette œuvre en chassant les vendeurs et en mettant fin à la tuerie des animaux et à ce commerce. Puis je le rassemblerai pour lui annoncer la nouvelle alliance, que je proclamerai à tes côtés, Maria, car tu es la première des filles d’Israël à avoir répondu à l’appel de Dieu. À mon exemple, tous les fils d’Israël se reconnaîtront comme peuple de Dieu, de même qu’avec toi les filles d’Israël s’offriront à Dieu comme épouses. Alors, l’oracle de Dieu annoncé par le prophète Osée sera accompli !
Tout le monde s’était retourné vers moi, la plus importante après Jésus ! Mais le doute m’avait assaillie. Certes, Jésus avait publiquement reconnu que j’accomplissais ainsi le personnage de Ruchama, mais mon mariage n’était que parabole de l’union de Dieu. Et si le peuple refusait son consentement ? Que deviendrait alors mon rôle d’épouse : cérémonie privée de sens, ou parabole sans référence ?
Au milieu de la joie générale, je me sentais ballottée par des sentiments contradictoires. Mon mariage ne serait-il plus une parabole vivante, si le peuple se dérobait ? Mon amour n’avait-il pas rendu tangible l’union de Dieu ? Non ! Je suis Ruchama comme Jésus est Ammi, sans le consentement du peuple.