ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 3 - Le banquet des noces :

Dans la cour de Lévi



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces
- Dans la cour de Lévi
- La parabole du royaume
- La révolte des impuissants
- Le banquet
- Maladie d’amour

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


ous sommes parties en retard vers la maison de Lévi, car j’avais perdu du temps à trouver une robe con­venable pour la circonstance. Martha m’avait conseil­lé de m’habiller simplement, puisque « mes fi­an­çailles n’étaient pas comme les autres ». Cette re­mar­que m’avait agacée :
- Pourquoi me répètes-tu cela jusqu’à l’ennui ?
- Ma chérie, tu épouses un prophète, qui ne peut pas aimer comme n’importe qui.
- Qu’en sais-tu ? As-tu jamais fait l’amour avec un prophète ? Moi, oui ! Et je sais d’expérience qu’il m’aime comme les autres... et même plus que les au­tres.
- Qu’ajoute ce « plus » ? Il transporte l’amour au-delà de la passion, jusqu’en Dieu.
- Tu as raison... Il me voit toujours en parabole.

   Nous avons ouvert le coffre à habits et fouillé de­dans. « Voilà, prends cette robe rose brodée d’ar­gent ; le collier d’ivoire convient bien à ton cou ; pour les oreilles, les boucles de corail, et à tes poi­gnets des bracelets d’albâtre. Et la bague ?... Celle en or avec une perle. » Je me suis habillée et parée, Mar­tha m’a contemplée :
- Que tu es belle, ma chérie ! Avec un peu de fard à tes yeux, pour chasser la tristesse de ton regard, et sur ta tête une couronne de fleurs, tu correspondras à l’idéal de la femme qui habite le cœur de ton époux, le prophète...
Ruchama, la fille d’Israël qui a obtenu la grâce, et sur laquelle se reflète la beauté de Rébecca, de Ra­chel et d’Esther ! Ai-je ajouté.


Jésus n’a pas relevé mon retard. Il était pensif, le regard absent. Après nous être embrassés, nous nous sommes mis en route.
- Tu ne m’as pas dit si je suis belle !
- Tu es très belle, ma chérie. Puis, plongeant son regard dans le mien : Tes yeux brillent comme des perles, mais ton regard n’est pas joyeux.
- Peut-être à cause du maquillage ?
- Non, plutôt du trouble de ton cœur.
- Je dois être comme l’épouse du Cantique des Can­tiques, douce de visage et amère dans son cœur !

   Il a pressé le pas, comme attiré par l’événement qui nous attendait. Quant à moi, renvoyée à mes sou­venirs de jeune fille, détendue, j’ai ralenti la marche et me suis retrouvée quelques pas derrière lui. Je m’imaginais dans le jardin de mon enfance, parée pour des noces de rêve. Un couplet m’est revenu, de ceux que j’avais coutume de chanter, et je l’ai fre­donné, assez fort pour qu’il puisse l’entendre :

Fleur de la cour.

Mes yeux sont doux, mais mon cœur est amer
Quand je te cherche par désir d’amour ;
Mais si tu m’aimes et me fais la cour,
Mon cœur est doux, mes yeux comme la mer.

Fleur de la cour.

   À la maison de Lévi, le portail était ouvert et nous sommes entrés. Dans la cour, des disciples discu­taient passionnément avec des hommes à l’air bizarre et aux costumes étranges. « Des bigots pharisiens » m’a dit Jésus. J’en avais déjà croisé, mais je ne m’étais jamais attardée à les dévisager. Autour de la tête, ils portaient un ruban d’où pendaient de petits écriteaux, et au bras gauche une bandelette, elle aussi chargée d’inscriptions ; quelques-uns arboraient en guise de ceinture une lamelle de cuir, tellement cou­verte de signes qu’elle ressemblait à un papyrus. Ils parlaient en ménageant des pauses pour mieux réflé­chir, et quand ils se taisaient ils roulaient la bandelette autour de l’avant-bras et la portaient à leur cœur ou à leurs yeux. Je savais que leur attitude signifiait qu’ils se tenaient sans cesse à l’écoute de la parole de Dieu, mais je les trouvais ridicules. Qu’il était différent, l’en­seignement de Jésus fondé sur la parabole !

   Jésus s’approcha du groupe :
- Bonjour, frères, bonjour Messieurs.
- Frère, lui dit Jacques, ces messieurs sont envoyés par la synagogue pour protester contre notre fête.
- De quoi vous plaignez-vous ? Ne vous avons-nous pas invités ?
- Précisément, cette invitation est la raison de notre démarche, car elle nous déshonore. Comment pour­rions-nous, sans devenir impurs, partager un repas avec des péagers et des prostituées ?
- Vous vous servez bien d’eux dans vos affaires d’ar­gent !
- Oui, mais nous ne les touchons pas, ni ne parta­geons le pain avec eux. D’ailleurs, nous allons nous purifier après chaque contact.
- Mais vous empochez leur argent, n’est-ce pas ? Vous lavez-vous les mains chaque fois ? Comment faites-vous alors pour purifier votre cœur ? Hypocri­tes ! Vous êtes comme des sépulcres blanchis, pro­pres à l’extérieur mais pleins de vermine au-dedans.
- Tu prononces contre nous des paroles si offensan­tes qu’elles ne te seront jamais pardonnées ! D’ail­leurs, que peut-on attendre de quelqu’un qui mange et boit avec les publicains et les prostituées ?

   Et ils m’adressaient force clins-d’œil complices, qui m’ont tellement écœurée que je me suis reculée. Ils ont alors repris :
- Ta belle fiancée nous approuve involontairement, car elle semble avoir honte de rester près de nous.
- Elle vous a quittés par honte de vous-mêmes, qui vous comportez comme des fils de prostitution !
- Tu insultes notre race ! Nous ne sommes pas ce que tu dis, mais des enfants légitimes d’Abraham ; notre mère, Israël, n’est pas une prostituée !
- Si c’était vrai, Dieu ne l’aurait pas accusée par la bouche des prophètes. Rappelez-vous Ézéchiel ! Et Osée n’a-t-il pas épousé Gomer, la prostituée, pour manifester ce qu’était devenue Israël, l’épouse de Dieu ? Gomer n’a pas abandonné la prostitution, et votre mère non plus !


Les pharisiens étouffaient de rage ; ils gesticulaient, lançaient des regards furieux, déchiraient leurs vête­ments ; les phylactères ondulaient autour de leur tête comme de petits drapeaux agités par le vent. Jésus est venu vers moi et, prenant la couronne de fleurs de mes mains, l’a posée sur ma tête puis, fixant les pharisiens, leur a dit :
- Ouvrez les yeux, docteurs en Écritures, ne les dé­tournez pas de votre sœur qui, par amour pour Dieu, délivre Israël de sa prostitution. Par son mariage, elle rachète la honte de votre mère et plaide contre vous qui avez introduit la prostitution en terre d’Israël par le privilège du divorce.
- Comment oses-tu blasphémer contre la Loi ? L’or­donnance du divorce est un commandement donné par Dieu à Moïse.
Moïse vous a concédé ce précepte à cause de votre dureté à l’égard de la femme. Selon la Loi, quel cri­tère légitime le divorce ? N’est-ce pas le plaisir de l’homme ? Vous avez placé la convoitise au-dessus de l’amour. En renvoyant vos femmes selon votre bon plaisir, vous les avez exposées à se prostituer, car elles restent privées de secours, de liberté et d’amour. Vous vous trahissez par cette loi, vous qui perpétuez la prostitution pour satisfaire votre convoi­tise. Découvrez maintenant la révolte de la femme qui refuse de vivre comme une prostituée et que ses enfants deviennent des bâtards.
- Des enfants bâtards ! Sommes-nous des fils illégiti­mes ? Si encore cette exhortation sortait d’une autre bouche que de la tienne ! Qui est ton père ?
Dieu !
- Tu blasphèmes, et atteins le comble de l’injure ; tu es sans père, et tu oses te déclarer enfant de Dieu !
- Nous sommes tous enfants de Dieu, tous nés d’Adam, créé par Dieu. Vous, vous avez renié Dieu comme père, car vous vous contentez d’être enfants de Dieu par votre descendance d’Abraham.

   Les pharisiens se sont écriés : « Un faux prophète vient de paraître en Israël ! Il ne nous est plus permis de parler à ce Samaritain, ce bâtard possédé du dé­mon ! » Ils ont déchiré leurs vêtements de plus belle et sont partis. Jésus, d’une voix forte, a accom­pagné leur fuite : « Allez-vous-en, docteurs de la Loi, fils lé­gi­times d’Abraham, hommes justes et purs ; les pu­bli­cains et les prostituées vous précèderont dans le Royaume de Dieu. »


Tous s’étaient rassemblés pour suivre l’affronte­ment. Les pharisiens aussitôt partis, les convives se sont écriés : « Bravo, Maître, tu les as réduits au si­len­ce ! » Les femmes, en particulier, se ré­jou­is­saient : « Tu as relevé notre défi, tu nous as libérées de la honte. » J’étais moi-même impressionnée : Jé­sus n’était pas seulement un amant délicat et tendre, mais un homme dont la capacité de confondre ses adversaires valait le pouvoir de persuasion. Je me suis sentie inspirée pour chanter un hymne et me suis adressée aux femmes : « Salomé, Jeanne, et vous toutes, venez près de moi. Jésus nous a proclamées les hérauts du Royaume ; à nous d’ouvrir à tous la voie du jardin où sera donné le banquet, en signe du Royaume. Comme épouse, je vous appelle à la ré­vol­te contre les hommes qui nous ont entraînées dans la prostitution ; je vous invite aussi à l’amour. » À ce moment, j’étais vraiment une femme épanouie : la rose était éclose !



CHANT DE REVENDICATION DES FEMMES


Alléluia, Alléluia !
Judith a mis sous sa robe une arme
Pour défendre son peuple et son hon­neur :
Le Seigneur veut que de courage s’arme
La fille qui défend les droits du cœur.
Alléluia, Alléluia !
Sortons, ô sœurs, de l’ignoble esclavage
Qu’impose aux filles la Loi de Moïse
Qui les unit à l’homme par mariage
Afin de contenter sa convoitise.
Alléluia, Alléluia !
L’homme nous a priées de ses yeux doux
Pour que nous lui restions toujours soumi-
[ses,
Mais il s’est retiré de nos genoux
Quand il a cru que nous étions conquises.
Alléluia, Alléluia !
Dieu veut que nous soyons obéissantes
À l’homme qui renonce à être un maître :
Nous lui serons dociles et plaisantes
Lorsqu’en amour il ne sera plus traître.
Alléluia, Alléluia !
Reprenons donc, mes sœurs, notre coura-
[ge 
Pour que l’amour que nous avons donné
Dans le ravissement du premier âge
Ne soit plus vilement abandonné.
Alléluia, Alléluia !
Judith a mis sous sa robe une arme
Pour défendre son peuple et son hon­neur ;
Le Seigneur veut que de courage s’arme
La fille qui défend les droits du cœur.
Alléluia, Alléluia !


Tandis que je chantais mes consœurs, le visage dé­voilé, reprenaient en chœur les « Alléluia ». Plusieurs n’avaient encore jamais chanté, toujours contraintes de se cacher pour pleurer après leurs pénibles ren­con­tres amoureuses ; mais aucune haine ne durcissait leur visage : elles défiaient les hommes sans provo­cation ni mépris.

   J’ai ouvert le cortège, avec à mes côtés Salomé et Jeanne, suivies des autres femmes. Dévoilées, nous avancions comme les hérauts du Royaume des cieux, les messagères de l’amour. À notre suite péagers, boi­teux, pauvres et aveugles chantaient, eux aussi, l’« alléluia » des temps nouveaux. Une fois passé le portique, nous sommes entrés dans le jardin ; la vue sur le lac s’est offerte à nous, comme le décor natu­rel préparé pour la fête de notre mariage.




Roman achevé en 2002




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t320312 : 09/04/2020