évi nous avait offert pour la nuit une chambre au premier étage, celle des hôtes. Le décor était sans prétention, les meubles rustiques : un coffre de noyer ciselé, un lit spacieux en osier avec un matelas de laine d’agneau. La fenêtre qui s’ouvrait sur le jardin était garnie de branches de figuiers aux fruits déjà mûrs. Les grosses figues m’ont tentée : poussée par le plaisir plus que par la gourmandise, j’en ai cueilli une parmi les plus belles. « Regarde, ai-je dit en me tournant vers Jésus, je l’aurais bien mangée, à la place des fruits secs du repas. »
Jésus était assis, le regard absent, sur le point de s’évanouir. « Qu’as-tu, mon amour ? Es-tu souffrant ? »
J’ai rempli une cuvette d’eau, lui ai lavé les pieds et l’ai aidé à se mettre au lit. Il s’est mis à trembler, se couvrant d’une sueur inquiétante. J’ai allumé la lampe : en l’observant de près, sa sueur ressemblait à du sang. N’était-ce qu’un reflet, ou véritablement du sang ? J’ai pris peur et j’ai couru à la porte pour appeler les disciples, mais je n’ai pas osé les arracher à la joie de la fête qui se prolongeait. Je suis revenue auprès de Jésus : il était fiévreux et délirait : « Jérusalem, Jérusalem... La voix de la chair... Le veux-tu ? »
Affolée, je me suis souvenue de ce que Jésus m’avait dit au sujet des maladies, qui sont un déséquilibre entre les puissances de vie : la terre, l’eau et l’air, puissances que Dieu a mises en l’homme quand il l’a modelé dans la glaise et lui a insufflé son esprit. Pour guérir un malade, il faut refaire sur lui les gestes que Dieu a réalisés pour le créer : lui imposer les mains, l’oindre de sa salive et lui insuffler de l’air. Alors, j’ai imbibé de ma salive le visage et la poitrine de Jésus, puis j’ai soufflé sur sa peau et l’ai caressé doucement, comme avec un baume. Son visage a repris sa couleur naturelle et les battements de son cœur sont redevenus normaux : il était guéri. Je me suis étendue auprès de lui, posant ma tête sur son cœur qui battait comme l’onde bercée par la brise. J’ai ainsi attendu jusqu’au milieu de la nuit, quand au sixième jour débute le repos du sabbat. Je restais vigilante pour prier l’aube de ne pas réveiller mon ami !
Ô lune, qui t’allumes dans la nuit
pour éclairer la terre,
regarde si l’époux se serre
contre le cœur de son épouse ;
regarde, à la lumière de ta lampe,
s’il tend la bouche à son baiser d’amour.
Oh ! Les amants s’enlacent dans leur [couche,
oiseaux blottis au fond plumeux du nid ;
transportés par les ailes du désir
ils se couchent au seuil de l’oubli.
L’époux soupire au cœur de son épouse :
il rêve les promesses du Royaume.
L’épouse dort dans les bras de l’époux :
elle s’évanouit dans le bonheur.
Or que la lune éteigne sa lumière :
qui osera troubler leur doux sommeil ?
La brise les caresse alors que l’onde
se tait tranquille au berceau du lac.