ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 1 - La rencontre d’amour :

Au puits d’A
gar



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour
- Au puits d’Agar
- Martha, ma soeur
- L’ombre de ma mère
- L’onction de l’époux
- Au jardin
- Ammi et Ruchama
- Pierre et Jean
- Nuit

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


e matin, très tôt, je suis allée puiser de l’eau au puits d’Agar ; les buissons étaient couverts d’une fine cou­che de givre et le figuier paraissait ensommeillé, avec ses feuilles recroquevillées. J’ai laissé courir la corde jusqu’au fond. J’avais à peine rempli ma cruche, qu’un homme s’est approché, la barbe grisonnante et le regard sombre. Il semblait venir de loin, car il traî­nait les pieds ; une ceinture de cuir, où pendait une gourde vide, ceignait ses flancs.


- Jeune fille, peux-tu me donner à boire ?
- Approche et baisse-toi, car je n’ai pas de pot.

   Il s’est courbé, j’ai incliné la cruche. Alors, j’ai pu voir que ses yeux noirs brillaient et cherchaient à me fixer dans le scintillement des gouttelettes. Je me sen­tais rassurée, mais comme dans un rêve.

- L’eau est très fraîche et pure, a-t-il dit en s’es­suyant la bouche d’un revers de sa main calleuse, aux longs doigts effilés, comment s’appelle ce puits ?
- C’est le puits d’Agar.
- Agar ? Agar n’est sans doute jamais passée en Gali­lée, où cohabitent Arabes, Égyptiens, Grecs, Ro­mains... et aussi Juifs. Peut-être une communauté égyptienne a-t-elle voulu honorer une de ses ancê­tres !
- Agar était juive, servante d’Abraham, et elle lui a même donné un fils, Ismaël.
- Non, jeune fille, Agar était Égyptienne, et son fils a aussi épousé une Égyptienne. Cela est sans impor­tance, pourvu que l’eau soit pure !
- Et que la source soit juive !
- Merci pour cette eau juive, dont le souvenir nous conduit à une Égyptienne. Comment t’appelles-tu ?
- Maria.
- Maria et non Myriam ?
- On m’a toujours appelée Maria, jamais Myriam.
- C’est étrange, étrange... a-t-il répété, comme se par­lant à lui-même.
- Pourquoi étrange ? Connais-tu le mystère des noms ?
- Pas tout à fait, jeune fille...
- Ne m’appelle plus « jeune fille », puisque tu sais mon nom !
- Excuse-moi, j’étais perplexe : Myriam est la traduc­tion juive de l’égyptien Maria, on aurait donc dû t’ap­peler Myriam, comme la sœur de Moïse.
- Certes... c’est aussi étrange que l’eau de ce puits, qui est juive et qui tire son nom d’une Égyptienne. Que dis-tu de ce mystère ?
- Lorsque la mère donne un nom à son enfant, elle cherche à exprimer à la fois ce qu’elle a souffert en lui donnant la vie et ce qu’elle a rêvé en le con­cevant. Le nom exprime la personnalité, le destin de l’hom­me. Si ton nom est resté égyptien, tu es aussi Égyptienne, même si tu habites la terre d’Israël ; tu demeures en Israël, mais tu es d’ailleurs par ton dé­sir.
- Tu viens de révéler toute mon existence, il est vrai que j’ai toujours senti que je viens d’ailleurs, de loin... Et toi, comment t’appelles-tu ?
- Jésus.
- Ton nom est juif, lui ai-je dit, déçue.
- Oui, mais il vient d’un nom étranger, Isa, lui aussi égyptien.


Un frémissement m’a traversée. Heureuse que son nom soit aussi égyptien, je lui ai déclaré : « Peut-être nous sommes-nous rencontrés en Égypte, quand tu étais Isa et moi Maria. » J’ai fermé les yeux, cher­chant à retrouver en Égypte ce temps dont j’avais perdu la mémoire, où j’étais Maria et lui Isa. Puis je me suis assise sur la margelle, à côté de la cruche. Jésus s’était appuyé au tronc du figuier. Des rayons de soleil perçaient l’ombre du feuillage et flottaient sur lui. Par coquetterie, j’ai ôté mon voile et libéré mes cheveux, qui ondoyaient sur mes épaules.

- Nous trouver ensemble, près de ce puits, doit avoir un sens, s’il est vrai que nous nous sommes rencon­trés ailleurs, ne serait-ce qu’à travers notre nom.
- Alors, ma vie doit être inspirée par Dieu, comme la Bible elle-même.
- Sans doute... puisque dans notre langue « bara » signifie « parler » et « faire ».
- Comment nos actes peuvent-ils devenir parole ou écriture de Dieu, si c’est nous qui les accom­plis­sons ?
- Comme il en est des paroles des Écritures qui, dites ou écrites par des hommes, sont cependant des paro­les de Dieu.
- La vie sans lien avec les Écritures est-elle aussi vai­ne qu’une lecture des Écritures sans référence à la vie ?
- Certainement ! Par la parole des prophètes et à tra­vers les actions des hommes, Dieu a établi entre sa parole et son écrit des analogies et des convergences, que la parabole a pour fonction d’interpréter.
- Tu es venue ici pour accomplir le désir de ton cœur, l’eau que tu as puisée en est devenue le sym­bole.
- En effet, en remplissant ma cruche je me deman­dais pourquoi je me fatiguais ainsi ; puis tu es venu, je t’ai donné à boire... et tu avais vraiment soif !
- D’une eau offerte par toi, et chargée de ton désir.

   Je me suis sentie faiblir et me suis appuyée à la cruche. Une fois remise, je lui ai dit : « je suis cap­tive de la parabole, et la rencontre de Jacob et de Rachel se renouvelle en nous ; c’est extraordinaire !»


Sortant de l’ombre du figuier, Jésus s’est dressé face au soleil, comme pour se plonger dans sa lumière. Il s’est penché sur le puits et, tout en regardant, m’a demandé :
- Jamais le puits ne t’a servi de miroir ?
- Non, jamais ! Lorsque je viens au puits, le seau touche l’eau avant que j’aie le temps de voir le fond.
- Regarde, a-t-il dit en me prenant la main.
   Tout contre lui, j’ai vu le fond où nos images flottaient sur l’eau calme, comme deux lunes qui sem­blaient rire en se balançant à la surface ; dès que je me retirais, elles s’éloignaient. Nous étions si pro­ches que ma joue effleurait la sienne. « Vois, lui ai-je dit, nos images se sont unies. »

   Il m’a prise dans ses bras et m’a embrassée sur la bouche. Puis, se détachant de moi, il m’a dit en me regardant droit dans les yeux :
- J’ai souvent été intrigué par le jeu des images. Une image est un double de nous-même et des choses ; elle s’en détache et va là où nous ne pourrions aller, puis elle revient dans le puits, jusque dans nos yeux.
- Oui, grâce à elle nous quittons notre solitude et dé­couvrons les choses les plus lointaines, pour nous réjouir en elles.
- Mais les choses ne seraient-elles pas, elles-mêmes, images d’autres choses ?
- De quoi ?
- De Dieu, Maria. Quand Dieu a créé le monde, après l’avoir contemplé, Il le trouva beau et parfait. Le monde a été créé selon la perfection de l’Être di­vin, Dieu s’est vu lui-même dans cette contem­pla­tion. Dieu a fait l’être humain masculin et féminin, Il l’a re­gardé et son image s’est projetée dans les deux indivi­dualités. Alors, l’homme et la femme ont été saisis du profond désir de s’unir.
- Veux-tu dire qu’au moment où l’homme et la fem­me se découvrent, l’image de Dieu se recompose en eux, les invitant à réaliser l’œuvre de la création ?
- Ils connaissent la joie de la béatitude originelle, qui devient comme une source d’eau vive qui sourd du cœur et s’épanche des yeux.
- Je n’ai jamais pleuré ainsi, lui ai-je répondu en me remémorant les rencontres amoureuses de ma vie. Aucune ne m’avait jamais permis d’accomplir le dé­sir de mon être, comme le reflet de l’image divine.


Des femmes, la cruche sur la tête, s’approchaient du puits en chantant.
- Voici des femmes, je dois rentrer.
- As-tu peur qu’elles te voient parler à un homme ? Crois-tu qu’elles ignorent que tu en cherches un ? De toute façon, elles le sauront, Maria !
- Je n’ai pas peur, mais je suis très émue et il se fait tard. Si tu as soif, l’eau de ma cruche est encore fraî­che.
- Merci, Maria, je n’ai plus soif d’eau.
- Dis-moi, quand tu m’as demandé à boire, ne vou­lais-tu que de l’eau, ou me cherchais-tu aussi ?
- Je t’ai cherchée depuis que le visage de ma mère s’est évanoui de mes yeux ! Et il s’en est allé.




Roman achevé en 2002




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t320101 : 11/05/2013