ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 1 - La rencontre d’amour :

L’onction de l’époux



Lettere a Mons. Pietro Bembo, 1560 





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour
- Au puits d’Agar
- Martha, ma soeur
- L’ombre de ma mère
- L’onction de l’époux
- Au jardin
- Ammi et Ruchama
- Pierre et Jean
- Nuit

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


on père avait raison de me dire que j’avais un pen­chant pour la prostitution : il savait bien que j’étais le fruit d’un amour illégitime. Mais l’ombre de ma mère est apparue pour me protéger et faire dis­paraître tous ceux qui vou­laient abuser de moi. Je m’égare ! Pour­quoi les esprits des parents cherche­raient-ils à se ven­ger par leurs enfants des injustices et des vexations subies dans leur existence ? Je m’étonne de vivre toujours à l’ombre de ma mère, son image me pro­tège comme l’aile de la tourterelle couvre ses oisillons au nid. Si ma mère savait com­bien je désire la voir m’apparaître !

   Un cauchemar m’est venu à l’esprit. En faisant dis­paraître ceux qui tentent de m’assujettir, l’image de ma mère me détruit ; sa présence fantomatique m’empêche d’aimer. Ce n’est pas moi que recher­chent ceux qui m’ap­prochent, mais leur fille ou leur mère ! Je me suis remise à pleurer.


Je me suis rendue chez Martha. En me voyant, elle s’est écriée :
- Mon Dieu ! Tu as encore pleuré, prise par l’angois­se, cette nuit de nos cœurs de femmes.
- Je ne pleure plus, Martha, car l’esprit de Judith m’a sai­sie.
- Qui veux-tu encore tuer, ma sœur bien aimée ?
- Celui qui me tient enchaînée à son désir par un bijou, et qui m’empêche d’aimer qui bon me semble.
- Mais c’est le diadème que Simon t’a offert comme gage de son amour !
- Ce dernier sortilège qui me relie aussi à l’ombre de ma mère, je le romprai : je veux être libre d’aimer celui que j’aime.
Maria, je ne comprends plus. N’aimes-tu pas Si­mon ?
- Non, Martha, j’aime Jésus !
Jésus ? Ce prophète que Simon a invité chez lui ? Tu te jettes dans un imbroglio dont tu ne sortiras pas sans dom­mage. Tu t’engages dans un amour qui te consumera com­me un feu.
- Non, Martha, je ne pourrai pas périr ni être brûlée, puisqu’il sera là.
- Comment pourrait-il t’aider, s’il est aussi consumé par ce feu ? Es-tu vraiment sûre de son amour ? Tu sais bien qu’en amour les prophètes sont les plus malheureux des hommes. Osée ne s’est-il pas jeté dans les bras d’une pro­stituée ? D’une adultère, mê­me ? Maria, tu es encore une ingénue ! Tu imagines que ton prophète va te con­dui­re au jardin des déli­ces ? Pour l’amour de qui crois-tu qu’il prenne fem­me : pour elle, ou pour Dieu ?
- Écoute, Martha, tu connais mieux que moi l’histoire des prophètes ; tu as sans doute raison de t’interroger sur les motifs profonds de leur amour. Mais ce qui me pousse vers lui, ce n’est pas son amour pour moi, mais que je l’aime. Comprends-tu ? Jusqu’à mainte­nant, les autres m’ont désirée et je restais passive et froide, spectre qui attire et foudroie les amants. Au­jourd’hui j’aime, et mon amour jaillit comme l’eau vive de la source !

   Nous nous sommes embrassées, et aussitôt après les pleurs nous avons ri. Se penchant à mon oreille, Martha m’a dit :
- Il vaut mieux ne pas aller chez Simon. Nous trouve­rons une excuse, et Jésus ne sait pas que tu es invitée.
- Non, Martha, j’irai. J’irai ! Je dois me sauver, com­prends-tu ? Ne m’as-tu pas déclaré que je suis Judith ? Eh bien, aujourd’hui, je le serai vraiment ; je me sens aussi forte et courageuse qu’elle. Non seule­ment je suis belle et provocante, mais je possède une arme, ce dia­dè­me qui peut le tuer par mon amour, pour mon amour.


Le souci de me préparer à cette rencontre était tel que la dépression du matin avait fait place à une tension fébrile, où la soif de vengeance s’associait au désir d’amour. J’al­lais d’une chambre à l’autre, à la recherche d’un objet qui s’avérait inutile par la suite. Je m’attardais devant le grand miroir de bronze poli pour ajuster ma coiffure ou re­tou­cher mon rouge à lèvres, car je voulais être belle. Cette agitation m’ayant mise en nage, j’ai pris un bain chaud, m’en­duisant d’huile d’amandes, massant mes joues avec de la crème, rehaussant l’arc de mes sourcils.
Martha, Martha ! Comment vais-je m’habiller ?
- Possèdes-tu une robe dont la couleur allie le velouté du lapin et la férocité du félin ? Revêts-toi comme une vierge sauvage, qui piège les hommes pour les détruire.
- Tu es méchante ! Pourtant tu as raison, je ne peux ai­mer que celui qui m’a ensorcelée ; je m’habillerai comme une vierge et offrirai mon cœur au plus di­gne.

   Dans mon coffre, j’ai choisi une tunique blanche et une ceinture dorée. « Et sur ma tête ? Bien sûr ! Le diadème de Simon. »


Je suis arrivée chez Simon alors que le repas était déjà commencé. Les serviteurs qui attendaient à la porte se sont empressés de m’introduire dans la salle. Les con­vi­ves, allongés autour d’une longue table, piquaient de la viande dans un grand plat et buvaient dans leurs coupes. Aux deux extrémités de la table, Jésus et Simon se fai­saient face. Je me suis installée au milieu, ignorant la place libre à côté de Simon, qui m’avait accueillie d’un clin d’œil. Je me suis tournée vers Jésus, surprise que son regard évite le mien comme s’il ne m’avait pas vue. J’étais métamorpho­sée en vierge de marbre par un tour de sorcellerie ; seul mon regard brillait d’une lueur spec­trale.

   J’ai regardé Simon, mais lui aussi gardait les pau­pières baissées. Dans mon émoi, le diadème a glissé de mon front et mes cheveux se sont défaits : je me suis sentie li­bé­rée. J’ai couru vers Jésus, m’agenouil­lant devant lui, en larmes. Puis, apaisée, j’ai essuyé ses pieds de mes che­veux et, brisant le vase d’al­bâtre, je les ai oints de baume.

   Le parfum m’enivrait. J’ai bondi sur le coussin où Jésus avait posé la tête et j’ai répandu le baume sur ses che­veux. Mes larmes coulaient comme des gout­tes d’eau sur des feuilles d’acanthe ; mes mains ruis­selaient de myrrhe. Enfin, prise de langueur, je me suis abandonnée sur sa poitrine, les yeux clos.

   J’entendais les lits craquer, les gens ricaner, des mur­mures confus d’étonnement, des exclamations in­dignées, des vociférations scandalisées, méprisantes :
- C’est inouï...
- Incroyable !
- Un prophète... Avec une pécheresse !
- Du jamais vu !
Personne n’avait bronché pour ramasser le diadème, qui gisait à terre et qui narguait cette hystérie de tout l’éclat de ses pierres !


Simon, s’efforçant de rester maître de lui, a deman­dé, sur un ton détaché : « Maître, veux-tu être libéré de cette importune qui compromet ta dignité et of­fense ton hon­neur ? »
Jésus, sans me repousser, lui a répondu :
- J’ai une question à te poser. Il y avait une femme très belle, aimée de deux hommes ; le premier, par convoitise, l’attirait à lui par de riches cadeaux, des fêtes et des hon­neurs, sans jamais se donner à elle ; le second, qui était pauvre, ne l’attirait à lui que par les inclinations de son cœur. Lequel des deux a-t-elle préféré ?
- En toute honnêteté, Maître, si cette femme n’est pas une courtisane, elle aura choisi le second.
- C’est bien, Simon. Connais-tu cette femme ? De­puis qu’elle est entrée dans ta maison, elle n’a pas cessé de me manifester son amour. Elle a baigné mes pieds de ses larmes, les a essuyés de ses cheveux, les a oints de baume et a répandu son parfum sur ma tê­te. Elle a refusé le dia­dème, cadeau de l’amant riche, et a choisi l’amant pau­vre, par amour. Si j’en crois ton sage jugement, elle n’est pas une prostituée. Dieu lui a beaucoup pardonné, non pour m’avoir beau­coup aimé, mais parce qu’il lui a donné un cœur d’épouse pour m’aimer beaucoup.

Puis il s’est tourné vers moi, m’a pris la tête dans sa main droite et m’a embrassée sur la bouche. Un grand silence a envahi la salle, les serviteurs ont mê­me suspendu leur of­fice, le temps a paru s’arrêter. Jésus, se redressant sur son lit, a poursuivi : « Au­jourd’hui, la parole du prophète est accomplie dans ta maison : "la femme recherche l’homme". Grâce à l’amour de cette femme, les filles d’Israël renon­ceront à leur désir de séduction et à leur penchant à la prostitution, pour se convertir à l’amour. Cette con­version, Dieu l’attendait depuis le message d’Osée. En vérité, en vérité je te le dis, Osée a pris pour épouse Gomer, la femme prostituée, en signe de l’amour de Dieu pour son peuple infidèle ; moi, je prends cette femme pour épouse, en signe de l’amour de Dieu envers un peuple à nouveau in­fidèle. »

   Puis, se levant du divan, il m’a pris la main : « Le ro­yaume de Dieu est semblable à la femme qui se donne à l’homme qu’elle a oint du parfum de son amour. Va, Maria, demain je serai chez toi. »

   En sortant, j’ai entendu des gens courir chez Simon. « Seigneur, me suis-je demandée, que lui est-il arrivé ? »




LA PREMIÈRE ONCTION DE MARIA

Pourquoi ne m’as-tu pas regardée
quand je suis venue près de toi ?
Ma robe était blanche,
sans tache,
mes yeux de colombe
derrière mon voile.
Tu n’as pas imposé silence
à ceux qui ricanaient de moi ;
tu n’as pas blâmé
ceux qui voulaient me chasser
comme honte d’Israël.

Mon sang s’est arrêté dans mes veines,
mon image s’est figée dans ma chair :
suppliante que le potier enclot
dans le silence d’une pierre,
près d’un tombeau.

Ô ombre de ma mère,
emporte ce diadème
qui hante mon âme.
Jaillissez de mes yeux, ô larmes,
pour arroser ses pieds,
baigner sa tête.
Cheveux, dénouez vos tresses
pour les essuyer de votre soie.
Car je veux oindre
celui qui m’a ravie,
je veux sacrer époux
celui que mon cœur aime.

Oh, ses cheveux ! Ils sont parfumés
d’aloès et de myrrhe, de lys et de jacin-                                                             [the ;
toutes les fleurs de mon jardin
ont ouvert leur calice.
Mes larmes sont des perles
sur son visage ;
le baume, de la rosée
sur sa tête.
Mes baisers courent sur ses joues
emportés par le désir.

Or que tu me serres dans tes bras
Je me repose sur ton cœur :
mes oreilles attendent une parole
de ta bouche,
mes lèvres ton baiser d’époux.




Roman achevé en 2002




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t320104 : 06/04/2020