Présentation
Texte intégral :
La rencontre d’amour
- Au puits d’Agar
- Martha, ma soeur
- L’ombre de ma mère
- L’onction de l’époux
- Au jardin
- Ammi et Ruchama
- Pierre et Jean
- Nuit
Les disciples du Royaume
Le banquet des noces
Itinéraire d’un bâtard
Le défi
La fugue
Sur le pont du bateau
Chemins d’amour
Dalmanutha
Transfiguration et insurrection
La Dédicace
Correspondances
Béthanie
Gethsémani
Le procès
Golgotha
L’enterrement
Le jour de la Pâque
Le tombeau vide
Les semeurs
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près le repas nous nous sommes séparés, nous souhaitant une bonne nuit. J’ai mené Jésus à ma chambre, spacieuse et ouverte sur une terrasse agrémentée de plantes odoriférantes. Un citronnier, que j’aimais beaucoup, était chargé de fruits ensoleillés et aromatisés. Mon lit, large et confortable, avait des matelas de soie et des oreillers de plumes. Un voilage blanc brodé descendait du plafond, formant une coupole. Aussitôt entrée, j’ai soulevé le rideau à la tête du lit et me suis assise.
- Ton lit est paré pour une nuit de noces, a dit Jésus.
- Ne te plaît-il pas ?
- Pourrais-je ne pas aimer ce que tu aimes ? Mais pour se reposer, doit-on s’enfermer dans une cage dorée, comme des oiseaux captifs ? Ne préférerais-tu pas dormir sur la terrasse ?
- Cette nuit ne ressemblera à aucune autre !
- Oui, ce sera notre nuit d’amour. Aimer serait-il si blâmable qu’on devrait se cacher pour ne pas déshonorer la lune et les étoiles ?
- J’aurais honte de faire l’amour à ciel ouvert. Comprends ma pudeur, qui est le lot des femmes; depuis qu’Adam et Ève ont été chassés du Paradis, la coutume veut qu’hommes et femmes fassent l’amour dans la pénombre d’une chambre. Je rougirais si je devais découvrir ma nudité.
- Si tu rougis, c’est que tu as honte de commettre un péché, ou du moins de te souvenir d’un péché commis.
- Peut-être le péché d’Ève, refoulé dans ma conscience de femme, refait-il surface ?
- Serait-ce le péché qu’Ève a commis en invitant Adam à faire l’amour tout nus ? Mais peut-on faire l’amour autrement ? Serait-il lui-même un péché, si Dieu en a fait le premier commandement ? Non, Maria, l’homme éprouve cette honte à cause du déclin de sa pureté originelle.
- À leur origine, l’homme et la femme étaient-ils purs ?
- Par notre amour, nous ne faisons qu’accomplir l’œuvre de Dieu, qui réalise l’unité de l’être masculin et féminin ; alors pourquoi rougir, quand Dieu lui-même a vu notre nudité pour s’en réjouir ? Il a ouvert nos yeux, Il s’est reflété en eux ; Il a vu qu’ils étaient beaux. Il a contemplé les seins de la femme s’épanouissant comme des grenades ; Il a vu qu’ils étaient désirables. Il a formé leur sexe, et Il a vu qu’il était pur comme une source. Nous renouvelons l’acte de création de Dieu, nous accueillons de nouveau son souffle quand nos bouches s’unissent dans un baiser. Maria, nous ne devons pas rougir de faire sur la terrasse ce que nous jugeons bon et sain d’accomplir dans le secret.
J’ai senti un souffle frôler ma peau et une douce chaleur m’envahir. Mes vêtements, mes bandes brodées et mes dentelles m’empêchaient de respirer. Je me suis dévêtue. Immobile devant moi, Jésus me contemplait longuement, passionnément.
- Pourquoi ne te déshabilles-tu pas aussi ? À ton tour de rougir de ta nudité sous les étoiles !
- C’est la première fois que je découvre une femme entièrement dévêtue ! Tu es très belle... On croirait voir les beautés cachées du ciel se refléter sur ton corps et briller dans tes yeux ; couler le lait et le miel sur la terre promise, foisonner les lis dans les champs, briller d’argent les ondes du lac.
Il s’est alors déshabillé. À cette vue, j’ai ressenti une violente émotion, puis j’ai éprouvé le désir de revenir à la source de mon existence. Nous nous sommes enlacés sur la terrasse et nous sommes allongés sur la natte. La lune éclairait nos corps.
- Regarde, lui ai-je dit en élevant les bras, je saisis la lune, qui illumine l’œuvre que Dieu accomplit en nos corps. Sa bouche s’est ouverte à mes baisers.
- Ta bouche est exquise, Jésus.
- Ton baiser est pur, Maria ; tes seins sont lisses comme les dunes du désert.
Nous nous sommes aimés. Le rouge de la honte avait disparu de mon visage, chassé par le feu de l’amour. Dans notre étreinte, ses bras faisaient un avec les miens, comme si je me serrais contre moi-même. Les battements de nos cœurs s’accordaient, je vivais en lui et lui en moi. Un souffle nouveau nous habitait ; détendus, nous goûtions enfin la douceur du repos, nos corps s’offraient à Dieu pour qu’il vienne Lui-même s’y détendre.
- Que doit penser Osée de notre amour, lui qui a prophétisé notre mariage ? Ai-je murmuré.
- Sans doute s’en réjouit-il, puisqu’il aperçoit l’aube de l’accomplissement de l’oracle dont son amour était la parabole.
- Sa joie doit être parfaite : les enfants que nous engendrerons ne seront pas des fils de prostitution.
- Notre union est moins la parabole de la génération que celle de la plénitude de l’amour.
- Et nos enfants, alors ?
- Nous en aurons lorsque notre mariage se réalisera pleinement. L’important aujourd’hui n’est pas d’avoir des enfants, mais de nous aimer d’un amour parfait, unique, gratuit, jusqu’à la mort, pour témoigner de la nouvelle relation d’amour entre l’homme et la femme, de la nouvelle alliance entre Dieu et les hommes. Nous sommes aujourd’hui partenaires uniques, l’« enfant » de notre parabole.
- Oui, Jésus, c’est un amour jusqu’à la mort... Jusqu’à ta mort comme père et la mienne comme mère...
- Afin que Dieu se manifeste comme père dans l’amour, au-delà de la génération, et que nous devenions fils dans l’amour... fils de Dieu selon le message d’Osée. Ainsi naîtront les hommes, dans le « surhumain ».
LE PREMIER AMOUR
Nous retournons, Seigneur,
au temps des origines,
quand Tu nous as formés
de la glaise du sol.
Nous revenons à Toi
pour que Tu nous façonnes
en une seule chair,
à Ton image.
Approche-toi, ô lune,
de ta lueur de lampe,
pour éclairer la voie
au Dieu qui vient.
Découvre-lui nos corps
qui s’entrelacent nus,
hantés par le désir.
Déjà le berceau s’ouvre
au surhomme qui naît.
Déjà l’âme s’égare
en rêvant le retour
à l’Esprit créateur.
Tu passes sur nos chairs
de ta main de potier ;
Tu creuses et Tu remplis,
Tu dessines des courbes
Tu arrondis, polis,
Tu lisses et Tu caresses.
Oh ! Le jeu de Tes doigts
qui frôlent notre peau
et flattent notre chair.
Mon sang court, ô Ruchama,
derrière ton cœur qui bat,
et ma sueur s’assèche
au velours de tes mains.
Ma bouche, Ammi, est lasse
du feu de tes baisers :
elle est déjà amère
en te donnant du miel.
Avant que Tu n’insuffles, Sei-
[gneur,
Ton souffle dans nos bouches
liées par un baiser,
va au jardin du lac
aspirer le parfum des lis,
l’haleine du jasmin.
Va vite à Nazareth,
où se froissent les vents,
embaument les cyprès.
Où sommes-nous, Ammi ?
Au temps des temps, Ruchama
Quand la lumière a quitté les
[ténèbres,
le jour s’est détaché de la nuit,
la terre a émergé des eaux.
Que vois-tu, Ruchama ?
Je vois, Ammi, la terre se cou-
[vrir
d’herbes et de plantes, d’arbres et de fruits ;
je vois des animaux courir au
[sol,
des oiseaux voltiger dans le
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