ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisChronique de Marie-MadeleineRoman |
Chapitre 12 - Correspondances : |
Présentation Texte intégral : La rencontre d’amour Les disciples du Royaume Le banquet des noces Itinéraire d’un bâtard Le défi La fugue Sur le pont du bateau Chemins d’amour Dalmanutha Transfiguration et insurrection La Dédicace Correspondances - En quête de nous-mêmes - Un enfant me sera donné - Sur le chemin de l’allégorie Béthanie Gethsémani Le procès Golgotha L’enterrement Le jour de la Pâque Le tombeau vide Les semeurs |
près l’évasion de Jésus, les disciples étaient retournés chez eux pour reprendre leur travail d’antan : il fallait bien vivre ! Chacun ressentait maintenant le besoin de se retrouver et découvrait qu’il avait jusqu’alors joué un personnage plutôt que vécu sa propre existence. Il n’était pas aisé de reprendre ses anciennes habitudes : qui s’était appliqué à devenir un pêcheur d’hommes était humilié de se retrouver simple pêcheur de poissons ! De même, appelé à être pauvre pour mieux servir les pauvres, il était fastidieux de retravailler pour échapper soi-même à une pauvreté réelle. Les difficultés venaient aussi de l’extérieur : nous n’étions pas persécutés (et nous en avions un peu honte !) mais les gens nous considéraient avec une compassion empreinte de mépris. Même quand ils ne nous disaient rien, ils nous laissaient entendre que nous n’étions pas bons à grand-chose, et que nous étions stupides d’imaginer que le pouvoir se conquiert avec des « alléluia ». Judas était le seul disciple à se déplacer tête haute, sans redouter le regard des gens : il était toujours ce personnage équivoque, à la lisière du règne de Dieu et du pouvoir du monde. En toutes situations, il se montrait habile à suggérer des solutions sans jamais prendre de responsabilités. Les disciples voyaient même en lui celui qui avait sauvé le Maître ! Moi aussi j’étais retournée à Magdala, obsédée comme les autres par le désir de me retrouver. Je ne voulais pas redevenir la jeune fille hautaine et séduisante de ma jeunesse, mais j’aspirais à me révéler telle que j’étais : une épouse amoureuse. Le désir de correspondre avec Jésus devint, dès les premiers jours de ma solitude, un impératif. Pour lui faire parvenir mes lettres, je profitais des visites que les disciples les plus intimes, Céphas, Jean et André faisaient à tour de rôle. Il était impossible de poursuivre mon journal, où je ne rapportais que des faits accomplis, tandis que par lettre je pouvais intervenir au présent. Je ressentais aussi le besoin d’aimer, et lui écrire était pour moi une manière de lui parler... de loin, comme je l’aimais de loin.
Rabboni, N’ayant pas de colombe sous la main, je confie ma lettre à l’un des trois disciples les plus chers. Bien qu’enfermée dans mon jardin, je poursuis une vie d’amoureuse errante : je te cherche partout et je t’attends. Il me plaît de rester suspendue à chaque bruit, dans l’espoir que tu me surprennes soudain. Je connais tes habitudes ; je sais que tu aimes arriver à l’improviste, comme un pèlerin. Un de ces matins, je suis retournée au puits d’Agar. Je savais bien que tu n’y serais pas, mais je voulais refaire l’itinéraire de mon histoire, revivre les émotions de la première rencontre. J’ai puisé de l’eau, j’ai rempli ma cruche. Puis j’ai regardé le fond du puits, mais n’y apercevant pas ton image, je me suis refusée à y refléter la mienne. Maintenant que ton nom n’est plus Ammi mais Isa, tu es une voix « qui appelle ». Qui peux-tu appeler, si ce n’est Maria ton aimée ? En effet, tout me parle de toi ; chaque bruit est un signe de toi qui me tire de ma solitude. Je t’ennuie avec ces futilités ! J’aimerais te dire des choses importantes et dignes de toi, et je ne t’écris que des bagatelles ! Tu vas penser que je suis devenue une tête de linotte, mais mon esprit a engrangé tant de paroles sérieuses et sublimes que je ressens maintenant le besoin de dire de ces frivolités qui sont le lot de l’amour. Je t’ai fait souffrir en échouant dans ma mission prophétique d’épouse, et j’en ai été très affectée. Autrefois, t’en souviens-tu, j’éprouvais le sentiment d’être devenue Ruchama (alors que personne en Israël n’avait répondu à l’appel de Dieu !) J’étais persuadée que j’étais une fille d’Israël, et j’ai répondu à cet appel. Aujourd’hui, après l’issue dramatique de la Dédicace, j’ai changé d’avis. Je suis convaincue qu’Ammi et Ruchama constituent une parabole prophétique périmée, et que Dieu a manifesté autrement son intention d’amour. Cet échec m’a fait le plus grand bien : il m’a libérée de cette image qui me restait étrangère. Ne souffre plus pour moi, Jésus. Je sais que tu as ressenti ce drame différemment : tu t’es retiré en toi-même pour redécouvrir l’intention divine. Dois-je penser que tu as cessé de m’aimer ? Moi, je t’en aime davantage, et je dirais même que je commence à m’aimer moi-même. N’en sois pas surpris ! Auparavant je me détestais, si fascinée par l’image de Ruchama que je me méprisais pour parvenir à l’incarner. Maintenant que Ruchama s’est évanouie, je recherche celle dont tu t’es épris à la première rencontre, cette femme que je porte en moi et qui m’a rendue digne de toi. Je veux devenir Maria, l’aimée. Aussi, tu as tort de te retirer en toi-même. Tu m’as aimée parce que tu étais Isa, et non Ammi, comme je n’étais pas Ruchama mais Maria. Qu’espères-tu ? Dieu savait que la parabole d’Ammi et Ruchama n’était que temporaire, et qu’elle devait nous conduire à la parabole nouvelle de notre existence, celle d’Isa et Maria. Oh, Jésus, quitte ta retraite ! Nous sommes nés en terre d’Israël, mais nous ne sommes pas entièrement Juifs. Notre nom nous invite hors des limites du Jourdain, en Égypte. Notre amour s’accomplira au-delà de notre appartenance au judaïsme. Ne te soucie plus de monter à Jérusalem pour préparer la voie du Seigneur. Notre rencontre avec Lui se réalisera dans la plénitude de notre amour. Quittons ce pays pour trouver la terre qui nous accueillera comme des hommes. Jusqu’à ce jour, tu as voulu reproduire dans ta vie la marche du peuple, de l’Égypte à la terre promise ; ta nouvelle vie te conduira, par une démarche inverse, de la terre promise en Égypte. Le peuple juif n’atteindra l’idéal de ses origines qu’en remontant son histoire. J’entends le rossignol chanter au loin, j’ai répandu des grains sur la terrasse pour l’attirer vers moi. Son chant me réjouit : Dieu s’égaie à exprimer en lui l’appel de celui que mon cœur aime. Au revoir, Rabboni. Je reste aux aguets, dans l’attente de ton retour. Je t’embrasse.
Tu as accompli de tels progrès dans la compréhension de la parabole, que tu es parvenue à te voir telle que Dieu t’a prédestinée. Ta lettre a été une lueur dans ma nuit prophétique, elle m’a grandement aidé à trouver le sens des derniers événements qui ont bouleversé mon existence. Je partage ta conviction que Dieu nous a choisis pour être la parabole de son amour pour tous les hommes, mais je ne te suis pas dans le lien que tu établis entre notre amour et celui d’Ammi et de Ruchama. Je m’explique : je t’avais dit que le mariage d’Ammi et de Ruchama signifiait l’union de Dieu et du peuple juif comme parabole de son amour pour tous les hommes. Je suis monté à Jérusalem pour cela. En dépit de mon éloignement du judaïsme, j’étais suffisamment juif pour croire à la fonction historique de mon peuple. Or, nous avons échoué. Dans un premier temps, j’ai attribué cet échec à la résistance du peuple à notre appel, et donc à la volonté de Dieu. En approfondissant ce qui s’est passé, j’ai découvert que le refus du peuple n’était pas une raison suffisante, et j’ai compris que nous avions échoué parce que Dieu ne s’était pas trouvé à ce rendez-vous : Il a retiré au peuple juif son rôle historique et désormais tout homme, quelle que soit son origine mais capable d’aimer du même amour que le Sien, remplace Israël dans cette mission. Le message d’Osée est tout nouveau : il n’y a plus de peuple élu par la race, Dieu ne se révèle plus dans l’histoire d’un peuple ou par le culte d’un temple, mais dans celle de tous les peuples et par le culte de l’amour. Le Temple de Dieu est dans le cœur des hommes. Mon prophétisme n’a-t-il plus de raison d’être ? Cette méditation m’a convaincu, au contraire, que Dieu m’avait confié la mission d’annoncer ce don de l’amour à tout le genre humain, et non au seul peuple juif, non de purifier le temple de Jérusalem, mais le cœur des hommes. Chère Maria, ton intuition t’a fait saisir ce que ma méditation m’a appris. Par des voies différentes nous sommes arrivés à la même conclusion : nous devons quitter la terre d’Israël pour aller à la rencontre des hommes. Bien d’autres énigmes de nos existences se sont ainsi éclairées : Pourquoi sommes-nous des bâtards ? Pourquoi avons-nous toujours et partout été rejetés ? Pour que nous devenions la parabole de l’amour de Dieu, refusé dans son universalité par le judaïsme. Je comprends ton désir de rechercher en toi, et non dans les figures bibliques, l’image de la femme qu’exprime ce nom de Maria ; mais aussi j’ai aimé cette femme dès notre première rencontre, Ruchama n’était qu’une marque de reconnaissance. Mon itinéraire prophétique ne peut plus être séparé de mon amour pour toi. Voilà, Maria, des paroles qui te combleront d’aise ! Je te dirai encore ceci, qui te consolera davantage : puisque notre amour s’inscrit dans cette nouvelle dimension, j’ai décidé de le marquer d’un sceau nouveau. Avant de quitter le pays, nous célébrerons une nouvelle fois notre amour, pour manifester le sens universel de la parabole qu’il incarne. Je dois arrêter ma dictée, car la colombe qui t’apportera la lettre est pressée de s’envoler. Tu peux bien te croire une femme comblée, car tu as obtenu ce que ton cœur désirait. |
t321244 : 04/10/2020