ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 12 - Correspondances :

En quête de nous-mêmes



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances
- En quête de nous-mêmes
- Un enfant me sera donné
- Sur le chemin de l’allégorie

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


près l’évasion de Jésus, les disciples étaient retournés chez eux pour reprendre leur travail d’antan : il fallait bien vivre ! Chacun ressentait maintenant le besoin de se retrouver et découvrait qu’il avait jusqu’alors joué un personnage plutôt que vécu sa propre exis­tence. Il n’était pas aisé de reprendre ses anciennes habitudes : qui s’était appliqué à devenir un pêcheur d’hommes était humilié de se retrouver simple pê­cheur de poissons ! De même, appelé à être pauvre pour mieux servir les pauvres, il était fastidieux de retravailler pour échapper soi-même à une pauvreté réelle.

   Les difficultés venaient aussi de l’extérieur : nous n’étions pas persécutés (et nous en avions un peu honte !) mais les gens nous considéraient avec une com­passion empreinte de mépris. Même quand ils ne nous disaient rien, ils nous laissaient entendre que nous n’étions pas bons à grand-chose, et que nous étions stupides d’imaginer que le pouvoir se con­quiert avec des « alléluia ».

   Judas était le seul disciple à se déplacer tête haute, sans redouter le regard des gens : il était toujours ce personnage équivoque, à la lisière du règne de Dieu et du pouvoir du monde. En toutes situations, il se montrait habile à suggérer des solutions sans jamais prendre de responsabilités. Les disciples voyaient mê­me en lui celui qui avait sauvé le Maître !

   Moi aussi j’étais retournée à Magdala, obsédée com­me les autres par le désir de me retrouver. Je ne voulais pas redevenir la jeune fille hautaine et sé­dui­sante de ma jeunesse, mais j’aspirais à me révéler telle que j’étais : une épouse amoureuse. Le désir de correspondre avec Jésus devint, dès les premiers jours de ma solitude, un impératif. Pour lui faire par­venir mes lettres, je profitais des visites que les disciples les plus intimes, Céphas, Jean et André fai­saient à tour de rôle. Il était impossible de poursuivre mon journal, où je ne rapportais que des faits accom­plis, tandis que par lettre je pouvais intervenir au présent. Je ressentais aussi le besoin d’aimer, et lui écrire était pour moi une manière de lui parler... de loin, comme je l’aimais de loin.





Maria de Magdala,
 
Jésus de Nazareth       
son époux bien-aimé


Rabboni,


   N’ayant pas de colombe sous la main, je confie ma lettre à l’un des trois disciples les plus chers. Bien qu’enfermée dans mon jardin, je poursuis une vie d’amoureuse errante : je te cherche partout et je t’attends. Il me plaît de rester suspendue à chaque bruit, dans l’espoir que tu me surprennes soudain. Je connais tes habitudes ; je sais que tu aimes arri­ver à l’improviste, comme un pèlerin.

   Un de ces matins, je suis retournée au puits d’Agar. Je savais bien que tu n’y serais pas, mais je voulais refaire l’itinéraire de mon histoire, revivre les émotions de la première rencontre. J’ai puisé de l’eau, j’ai rempli ma cruche. Puis j’ai regardé le fond du puits, mais n’y apercevant pas ton image, je me suis refusée à y refléter la mienne.

   Maintenant que ton nom n’est plus Ammi mais Isa, tu es une voix « qui appelle ». Qui peux-tu ap­peler, si ce n’est Maria ton aimée ? En effet, tout me parle de toi ; chaque bruit est un signe de toi qui me tire de ma solitude.

   Je t’ennuie avec ces futilités ! J’aimerais te dire des choses importantes et dignes de toi, et je ne t’écris que des bagatelles ! Tu vas penser que je suis devenue une tête de linotte, mais mon esprit a engrangé tant de paroles sérieuses et sublimes que je ressens maintenant le besoin de dire de ces fri­volités qui sont le lot de l’amour.
   Qu’il est singulier d’être amoureuse ! Au début, on parle beaucoup ; on dit des choses sans impor­tance et décousues ; puis, quand l’amour vous tient au cœur, toutes ces paroles insignifiantes donnent à la vie un sens profond, car l’amour ne transmet pas un message, il unifie le cœur. Peut-être le discours amoureux ressemble-t-il à une musique ? Quand je joue sans âme de ma harpe, j’en arrache pénible­ment des accords académiques ; mais lorsque l’ins­piration me vient, ils deviennent une mélodie sensi­ble, où ils sont tous en harmonie. Oh ! Je voudrais pouvoir t’écrire comme on joue sur la harpe la plus harmonieuse des mélodies ! Je voudrais que mes pa­roles futiles se transforment en chant pour toi, car tu vis au plus profond de mon cœur, et d’autant plus que tu es loin.


   Je t’ai fait souffrir en échouant dans ma mission prophétique d’épouse, et j’en ai été très affectée. Autrefois, t’en souviens-tu, j’éprouvais le sentiment d’être devenue Ruchama (alors que personne en Israël n’avait répondu à l’appel de Dieu !) J’étais persuadée que j’étais une fille d’Israël, et j’ai ré­pon­du à cet appel. Aujourd’hui, après l’issue dra­ma­ti­que de la Dédicace, j’ai changé d’avis. Je suis con­vaincue qu’Ammi et Ruchama constituent une para­bole prophétique périmée, et que Dieu a mani­festé autrement son intention d’amour. Cet échec m’a fait le plus grand bien : il m’a libérée de cette image qui me restait étrangère.

   Ne souffre plus pour moi, Jésus. Je sais que tu as ressenti ce drame différemment : tu t’es retiré en toi-même pour redécouvrir l’intention divine. Dois-je penser que tu as cessé de m’aimer ? Moi, je t’en aime davantage, et je dirais même que je commence à m’aimer moi-même. N’en sois pas surpris ! Au­paravant je me détestais, si fascinée par l’image de Ruchama que je me méprisais pour parvenir à l’in­car­ner. Maintenant que Ruchama s’est évanouie, je recherche celle dont tu t’es épris à la première rencontre, cette femme que je porte en moi et qui m’a rendue digne de toi. Je veux devenir Maria, l’aimée. Aussi, tu as tort de te retirer en toi-même. Tu m’as aimée parce que tu étais Isa, et non Ammi, comme je n’étais pas Ruchama mais Maria.

   Qu’espères-tu ? Dieu savait que la parabole d’Am­mi et Ruchama n’était que temporaire, et qu’elle devait nous conduire à la parabole nouvelle de notre existence, celle d’Isa et Maria.

   Oh, Jésus, quitte ta retraite ! Nous sommes nés en terre d’Israël, mais nous ne sommes pas entière­ment Juifs. Notre nom nous invite hors des limites du Jourdain, en Égypte. Notre amour s’accomplira au-delà de notre appartenance au judaïsme. Ne te soucie plus de monter à Jérusalem pour préparer la voie du Seigneur. Notre rencontre avec Lui se ré­alisera dans la plénitude de notre amour. Quit­tons ce pays pour trouver la terre qui nous ac­cueillera comme des hommes. Jusqu’à ce jour, tu as voulu reproduire dans ta vie la marche du peuple, de l’Égypte à la terre promise ; ta nouvelle vie te conduira, par une démarche inverse, de la terre promise en Égypte. Le peuple juif n’atteindra l’idé­al de ses origines qu’en remontant son histoire.

   J’entends le rossignol chanter au loin, j’ai répan­du des grains sur la terrasse pour l’attirer vers moi. Son chant me réjouit : Dieu s’égaie à exprimer en lui l’appel de celui que mon cœur aime.


   Au revoir, Rabboni. Je reste aux aguets, dans l’at­tente de ton retour. Je t’embrasse.


Maria    





LE ROSSIGNOL

Je t’ai entendu chanter encore
à la première lueur de l’aube,
ô rossignol.
M’apportes-tu le salut
de mon ami de loin ?

Mais pourquoi restes-tu
dans le creux du cyprès ?
Viens au jardin !
Les fleurs éclosent,
les grenades éclatent,
grosses déjà de graines.
Le soleil scintille
sur les branchages
où se bercent les nids.

Me reconnais-tu ?
je suis à la fenêtre,
mon voile baissé
pour que personne ne sache
que j’ai les larmes aux yeux.
Mes tresses descendent sur les épaules
en bandes noires de deuil.
Non, rossignol, je ne suis pas Ruchama,
la jeune fille à qui Dieu a fait grâce ;
je suis Maria,
l’aimée délaissée.

Si tu retournes chez mon ami,
ô rossignol,
ne lui dis pas que je languis d’amour
et que mes joues pâlissent
sur l’ivoire de leur peau.
Mais chante,
gazouille sans répit,
afin qu’il sache
que je l’aime de loin.





Jésus de Nazareth,                                  
à Maria de Magdala sa bien-aimée,
Salut !


   Tu as accompli de tels progrès dans la compré­hension de la parabole, que tu es parvenue à te voir telle que Dieu t’a prédestinée. Ta lettre a été une lueur dans ma nuit prophétique, elle m’a grande­ment aidé à trouver le sens des derniers événements qui ont bouleversé mon existence.

   Je partage ta conviction que Dieu nous a choisis pour être la parabole de son amour pour tous les hommes, mais je ne te suis pas dans le lien que tu établis entre notre amour et celui d’Ammi et de Ruchama. Je m’explique : je t’avais dit que le ma­riage d’Ammi et de Ruchama signifiait l’union de Dieu et du peuple juif comme parabole de son amour pour tous les hommes. Je suis monté à Jéru­salem pour cela. En dépit de mon éloignement du judaïsme, j’étais suffisamment juif pour croire à la fonction historique de mon peuple.

   Or, nous avons échoué. Dans un premier temps, j’ai attribué cet échec à la résistance du peuple à notre appel, et donc à la volonté de Dieu. En appro­fondissant ce qui s’est passé, j’ai découvert que le refus du peuple n’était pas une raison suffisante, et j’ai compris que nous avions échoué parce que Dieu ne s’était pas trouvé à ce rendez-vous : Il a retiré au peuple juif son rôle historique et dé­sor­mais tout homme, quelle que soit son origine mais capable d’aimer du même amour que le Sien, rem­pla­ce Israël dans cette mission. Le message d’Osée est tout nouveau : il n’y a plus de peuple élu par la race, Dieu ne se révèle plus dans l’histoire d’un peuple ou par le culte d’un temple, mais dans celle de tous les peuples et par le culte de l’amour. Le Temple de Dieu est dans le cœur des hommes.

   Mon prophétisme n’a-t-il plus de raison d’être ? Cette méditation m’a convaincu, au contraire, que Dieu m’avait confié la mission d’annoncer ce don de l’amour à tout le genre humain, et non au seul peuple juif, non de purifier le temple de Jérusalem, mais le cœur des hommes.


   Chère Maria, ton intuition t’a fait saisir ce que ma méditation m’a appris. Par des voies différentes nous sommes arrivés à la même conclusion : nous devons quitter la terre d’Israël pour aller à la ren­contre des hommes.

   Bien d’autres énigmes de nos existences se sont ainsi éclairées : Pourquoi sommes-nous des bâ­tards ? Pourquoi avons-nous toujours et partout été rejetés ? Pour que nous devenions la parabole de l’amour de Dieu, refusé dans son universalité par le judaïsme. Je comprends ton désir de rechercher en toi, et non dans les figures bibliques, l’image de la femme qu’exprime ce nom de Maria ; mais aussi j’ai aimé cette femme dès notre première rencontre, Ruchama n’était qu’une marque de reconnaissance. Mon itinéraire prophétique ne peut plus être séparé de mon amour pour toi.

   Voilà, Maria, des paroles qui te combleront d’ai­se ! Je te dirai encore ceci, qui te consolera davan­tage : puisque notre amour s’inscrit dans cette nouvelle dimension, j’ai décidé de le marquer d’un sceau nouveau. Avant de quitter le pays, nous célé­brerons une nouvelle fois notre amour, pour mani­fester le sens universel de la parabole qu’il incarne.


   Je dois arrêter ma dictée, car la colombe qui t’apportera la lettre est pressée de s’envoler. Tu peux bien te croire une femme comblée, car tu as obtenu ce que ton cœur désirait.


   Je t’embrasse,


Jésus    




Roman achevé en 2002




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