ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 16 - Golgotha :

Les noces par la mort



Lettere a Mons. Pietro Bembo, 1560 





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha
- Les noces par la mort
- Les deux processions
- La crucifixion
- La mort

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


e dois vous quitter, nous a dit Simon, pour entre­prendre auprès du procurateur une démarche aussi nécessaire que douloureuse. Vous savez sans doute que les familiers des suppliciés n’ont pas le droit de récupérer leur corps pour l’ensevelir religieusement ; ils ne peuvent l’obtenir que par une grâce spéciale. Je souffre de la demander pour ensevelir Jésus, qui est encore en vie ! Étrange prétention de la justice, qui revendique un droit sur le corps de celui qui a expié sa peine. C’est affreux pour des proches de supplier ces juges contre lesquels ils devraient se révolter, et de leur demander miséricorde pour ceux envers qui ils n’ont eu aucune pitié !
- Comptes-tu obtenir cette grâce de celui qui l’a si lâchement abandonné à l’injustice ?
- Je l’espère ! Les Gentils reconnaissent dans les lar­mes des suppliants la volonté de leurs dieux. J’aurais désespéré, si j’avais dû m’adresser aux autorités jui­ves !
- Ils auraient redouté que Jésus apporte chez les morts l’amour qu’ils lui ont défendu d’annoncer aux vivants ! Va et agis, de sorte qu’une fois conduit au seuil du Schéol, il puisse y pénétrer librement.


Sitôt Simon dehors, Jeanne est entrée dans la salle, suivie de la mère. Mon amie était restée près d’elle pour la consoler, elle qui, comme nous tous, en avait bien besoin. En nous voyant, la mère s’est exclamée :
- Je l’avais pressenti : ils ne pouvaient laisser en vie celui qu’ils avaient condamné dès sa naissance ! J’a­vais souhaité qu’il parte, pour échapper à la mort. Je l’arracherai à la croix comme, à sa naissance, je l’ai sauvé du dénuement de la crèche. J’avais pour­tant cru que son mariage lui ouvrirait une existence re­nou­velée !
- Moi aussi, mère, je l’avais espéré. J’avais imaginé quitter le pays pour m’évader au loin, parmi les na­tions, laissant mes oripeaux de Ruchama comme un acteur dépose son masque une fois la représentation terminée. J’aurais été l’Aimée, l’épouse de Dieu amant des hommes. Je me réjouissais que la parabole de l’amour de Dieu trouve sa plénitude dans mon bonheur ; je découvre à présent qu’elle a assujetti mon existence à sa signification inouïe, qui me donne le vertige et m’affole. La mort seule, celle de mon époux et la mienne comme épouse, sera l’aboutis­se­ment et l’accomplissement de mon mariage.
« Filles de Jérusalem, vous n’êtes pas montées au temple quand mon époux vous a invitées à recon­naître en lui Ammi, et en moi Ruchama ! Venez main­tenant au Golgotha, fêter la mort d’Ammi et la chute de son épouse. Faites résonner vos tambourins et chantez, filles de Jérusalem, la mort de Ruchama. Ôtez ma couronne, arrachez mon voile, déchirez ma tunique, exposez ma nudité comme celle d’une pro­stituée. Contemplez-vous en moi qui suis votre ima­ge, la fille d’Israël, la prostituée !
« Mon père était Amoréen, et ma mère Hétienne. À ma naissance, le cordon n’a pas été tranché et l’eau ne m’a pas inondée pour me purifier ; je n’ai pas con­nu les langes mais l’abandon à la nudité, parce que j’inspirais l’horreur. Alors, Dieu m’a plongée dans l’eau pure, Il m’a ointe d’huile, Il m’a revêtue de vêtements brodés et de chaussures en peau bleue. Je reçus tous les ornements : bracelets, colliers, an­neau à mon nez, boucles d’oreille. J’ai été séduite par ma beauté et je me suis prostituée. Découvrez, filles mes sœurs, votre portrait. Criez à vos anciens amants : " Venez, jugez-la comme prostituée. Elle n’est plus Ruchama, mais Lo-Ruchama, celle à qui Dieu a retiré sa grâce, la non-aimée. "
« Oh, mère ! L’amour de Dieu égare mon esprit, mais je ne renonce pas à suivre mon époux. Vois, l’anneau que j’ai reçu orne toujours mon doigt, et je vis à nouveau le jour de mes noces. J’irai auprès de lui, et le bois où son corps sera suspendu deviendra ma couche nuptiale. Je me prosternerai à ses pieds, com­me jadis dans la maison de Simon, même s’il ne peut plus poser sa main droite sur ma tête. Je lèverai les yeux vers sa bouche, même s’il m’est interdit de re­ce­voir le baiser de l’époux. Je souhaite que son der­nier soupir pénètre mon cœur, pour que l’accueille l’en­fant qui se forme dans mon sein.
- Un enfant ? Tu auras un enfant de mon fils ? Sois heureuse, Maria, toi par qui mon affection maternelle trouve son épanouissement : tu as relevé le défi de sa mère ! Je revois le jour où je l’ai retiré de la crèche : j’ai eu la force de préserver son corps, mais pas la grâce de ravir son amour. Tu l’as gagné, Maria, et tu le serres dans ton cœur, comme le calice contient le nectar et le rayon de miel !
Maria, dit Jeanne, doit être heureuse d’être en­ceinte, dans son malheur et sa souffrance ! Par notre grossesse nous autres, femmes, affirmons la victoire de la vie sur la mort, surtout quand la guerre, la maladie, la violence de la terre et le déchaînement des eaux présentent une menace pour le genre hu­main. Mais Maria jouit d’un privilège supplémentaire puisque, par cette espérance de maternité, Dieu don­ne aux hommes la parabole de son amour. Son en­fant sera un témoignage de la vie, mais surtout un signe de cet amour.
- Dans cette même parabole, a poursuivi Jean, la mort de Jésus rappelle que la nouvelle alliance est fondée sur l’amour, qui exige que la justice et la Loi perdent leur prééminence : comme le Droit pour les nations, la Loi n’imposera plus sa domination au peuple juif. La mort de Jésus annonce la fin de la nation juive comme peuple élu. Silence sur la terre d’Israël ! On ne trouvera plus de prophètes, on n’en­tendra plus d’oracles de Dieu, les chantres n’en­ton­ne­ront plus de psaumes de louange, car Dieu ne sera plus Celui qu’on adorait ; après le Dieu qui aime à travers le jugement, viendra le Dieu qui justifie par l’amour. Privé de son élection, le peuple juif devra renoncer à ses espérances et à ses privi­lèges de race, à ses lois et à ses prophéties, à ses symboles et à ses hymnes, ainsi qu’aux représen­tations de Dieu que, dans leurs visions et leurs rêves, les prophètes et nos pères avaient construites.
« Le Seigneur ne sera plus le Dieu d’Abraham, d’Isa­ac et de Jacob, le Dieu des pères du peuple juif. On n’entendra plus sa voix tonner sur le Sinaï, mais elle atteindra le cœur des hommes : on ne redoutera plus la foudre, mais le remords. Le soleil qui a brillé sur notre histoire sera sur son déclin, la nuit descendra sur Israël, ce sera la fin d’un temps !
- Pourquoi, demanda Salomé, notre soleil se couche-t-il, laissant la nuit nous envahir ? Ne se lèvera-t-il pas à l’aube d’un jour nouveau ? Le Dieu d’Abra­ham, d’Isaac et de Jacob meurt pour resurgir au-delà des représentations qu’en ont eues nos pères. Il abandonne sa foudre et son tonnerre, sa justice et sa jalousie, son attachement à la gloire d’une nation, pour manifester la majesté de son amour, qui apparut déjà à la création du monde. C’était la nuit, lorsque l’Esprit de Dieu se mouvait sur les eaux de l’abîme ; cependant, la lumière fut. C’était la nuit dans l’hom­me, encore glaise informe, et l’homme est devenu âme vivante. Tout ce qui avait obnubilé l’amour de Dieu sombre dans la nuit. Dieu, maintenant, vient en Esprit. J’éprouve en moi la brise de cette nouvelle aurore, mon cœur frémit sous l’impulsion du chant, comme le rossignol à la lumière du jour.


S’il en est ainsi, pourquoi restons-nous ici, ai-je re­pris. Allons au Golgotha, partager cette mort et pré­parer cette aube nouvelle. Nous serons les témoins de l’amour et contesterons qu’il meure en criminel, condamné par la justice de la Loi ; nous témoigne­rons qu’il expire en victime de l’amour ! J’étais stupi­de de souhaiter me rendre dans le monde des na­tions ! Il s’agit aujourd’hui d’un autre itinéraire, celui de la semence jetée en terre, du soleil qui déchire la nuit, de l’or fondu au feu. Allons au pied de la croix recueillir ses dernières paroles, ses ultimes gouttes de sang. Tout, de lui, doit être sauvegardé dans nos cœurs.
- Mais comment nous y prendrons-nous ? Les Ro­mains nous interdiront d’approcher de la croix, et les Juifs ne laisseront pas dire que Jésus va mourir par amour !
Jean ! Pour nous, les femmes, l’amour n’est pas si­gne de faiblesse, mais puissance de vie. Il vaincra les Romains et résistera aux intimidations des Juifs, car il est plus fort que la mort. Si tu as peur, rejoins les au­tres disciples et contente-toi de regarder de loin, dans la foule des gens assoiffés de son sang. Nous, les fem­mes, creuset de la création de Dieu, allons-y maintenant ! Mère, viens, toi qui as toujours souhaité voir ton fils s’éloigner de ce pays : il part vers l’orient pendant que la terre retombe dans la nuit. Salomé, revêts tes habits de fête, parfume-toi, sois la plus belle des filles d’Israël pour célébrer le crépuscule. Et moi, parée comme l’épouse, j’apporterai l’eau et l’hui­le pour soulager ses blessures, et du baume pour par­fumer son corps. Préparons-nous à saluer la vie nou­velle qui jaillit de sa mort !




Roman achevé en 2002




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t321661 : 22/10/2020