ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 15 - Le procès :

Noctula



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès
- La cause
- L’accusation
- La défense
- La sentence
- Noctula

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


vant de quitter le prétoire, Pilate harangue les soldats et les serviteurs de sa suite : " Soldats, nous avons remporté aujourd’hui une grande victoire, sans coup férir : le peuple juif nous a livré son roi ! Au fir­ma­ment de l’empire brille une nouvelle étoile, celle de David. Je ne peux pas vous autoriser à piller la ville, selon le droit de la guerre, mais je double votre solde et vous permets de vous divertir avec le roi des vain­cus. Mais ne le blessez pas, il doit être cruci­fié ! "

« Alors, il leur jette des piécettes d’or. Pendant que les soldats et les esclaves se précipitent pour les ra­mas­ser, il se tourne vers les grands prêtres : " Res­tez ici, sages d’Israël, et réjouissez-vous avec mes sol­dats du triomphe de César sur le royaume de Ju­dée ! " Puis il quitte les lieux, toujours aussi nar­quois.

« Les soldats font asseoir Jésus sur le siège, couvrent ses épaules d’une étoffe pourpre, entourent sa tête de ronces, comme d’une couronne, et le contraignent à tenir un flagellum. S’adressant à la foule, un esclave crie : " Venez, vous les témoins, fêter la chute du roi des Juifs que vous venez de dénoncer. Toi, le faux aveugle, et toi le possédé... Ne vous cachez plus, vous qu’il a dépouillés au temple ! Approche, le ven­deur de moutons, et toi, le changeur de monnaie... C’est une fête qui annonce la Pâque ! "

« Une fois réunis, ils s’agenouillent devant Jésus, scan­dant : " Ave, roi des Juifs, ceux qui te conduiront à la mort te saluent ! "
« Celui qui met en scène se lève et propose :

" Jouons la montée à Jérusalem.
" Et la nymphe ? demande un autre, qui s’é­crie à l’attention du public : y a-t-il une jeune fille qui puisse représenter la reine ?

« Aucune réponse, pas une femme n’est présente ! " Eh bien, allons chercher Noctula ! "

« Quelques-uns partent en quête de Noctula, tandis que les autres poursuivent leur ronde grotesque au­tour de Jésus. Enfin, voici Noctula, l’air effronté avec son regard brillant, ses cheveux tenus en arrière par un ruban rouge, ses bracelets de cuivre et d’or aux poignets, ses seins gonflés sous les plis du cor­sage.

" Que voulez-vous ? La nuit ne vous suf­fit plus ?
Noctula, nous voulons que tu joues avec nous, et que tu chantes ’ un roi nous est donné ’. Connais-tu Jésus de Nazareth ?
" Par ouï-dire ! Est-ce lui ? Que dois-je fai­re ?
" Jouer sa montée à Jérusalem. Tu te mets à cheval sur lui et tu le talonnes en criant de joie et en invitant les filles de Jérusalem à te suivre.
" Monter sur son dos ? Sa belle était as­sise sur un âne, et non sur lui qui condui­sait la bête.
" Tu es bien informée, mais nous n’avons pas d’âne.
" Prenons l’un de ces hommes, dit-elle en désignant les témoins. Ne sont-ils pas des Juifs ? Ils sauront bien faire les ânes, s’il a vraiment été leur roi ! D’ailleurs, il paraît que le peuple juif a vécu comme un âne sauvage lors de sa traversée du désert.
" Génial ! Noctula, tu es plus savante que nous, dit le metteur en scène ; puis, s’a­dres­sant au témoin qui autrefois fut pos­sédé : Toi qui as eu l’expérience des es­prits mauvais, tu dois savoir jouer à l’â­ne ! Allons ! À quatre pattes ! Toi, Noctu­la, grimpe sur son dos, et toi, le roi, tu vas une nouvelle fois conduire ton épouse à Jérusalem. Viens, on ne te fera pas de mal.

« Jésus ne cherche pas à se dérober ; il saisit la corde qu’on a mise au cou du possédé et commence à avan­cer. " Allez, Noctula, chevauche-le ! Imagine que tu montes à Jérusalem pour être proclamée reine !
« Noctula se redresse, chevauche l’homme en cri­ant : " Au galop, au galop, Satan ! " tandis que l’hom­me-âne imite des braiments. Dans l’ardeur du jeu, elle chante :

Ô ville souveraine
Voici venir à toi
Ton victorieux roi
Menant une gitane
Parée comme une reine,
Assise sur un âne.
Il ravira le sceptre
De ton sacré grand-prêtre !

Au galop ! Au galop, Satan !
Hi-han, hi-han, hi-han !
" Bravo, Noctula ! applaudissent les sol­dats, tu joues vraiment bien !
Vive le roi d’Israël,
Vive l’oint de l’Éternel !

« Soudain, Noctula s’arrête et descend de son âne. Dressée de toute sa hauteur, elle jette un regard courroucé autour d’elle :

" Je déteste ce jeu !
" Ce n’est pas encore fini, on a prévu d’autres scènes.
" Non, la prochaine sera sa crucifixion et je refuse de mimer la mort d’un homme. Il est moins cruel de l’exécuter !
" Attention, Noctula, tu n’es qu’une dan­seuse et une chanteuse, une pute à tes heures !
" Une pute, oui, pas une criminelle ! Je suis femme et je refuse cette mascarade.
" Alors, sers-nous du vin et danse pour ré­jouir nos cœurs !

« Noctula va chercher du vin et revient avec des gobelets remplis qu’elle offre aux soldats et aux ser­vi­teurs :

" Prenez et buvez tous, à la santé du roi des Juifs !
" Et au salut du peuple juif, qui a livré son roi à César ! Crient les autres.

« Noctula s’éclipse, pour revenir avec une coupe qu’elle tend à Jésus : " Bois, tu as eu aussi ta part de notre divertissement ! " Puis, tenant toujours la cou­pe dans sa main, elle s’assied à ses pieds, lui parlant à voix basse. Elle écoute sa réponse et fond en lar­mes. " Que t’arrive-t-il, se gaussent les soldats, t’es-tu amourachée du roi des Juifs ? Oserais-tu coucher avec lui sur le lit de la croix ? " Ils éclatent de rire, tout en trinquant : " À la santé des époux ! "

« À ce moment, un centurion se présente, ordonnant de conduire le condamné au Golgotha.


J’avais écouté Simon dans un état de complète hé­bé­tude. Ses dernières paroles m’ont ressaisie et sti­mulée :
Noctula, ma sœur, merci d’avoir suppléé mon ab­sence ! Ne te désole pas, je l’accompagnerai moi-même au Golgotha pour y consommer nos noces.
Maria, proteste Salomé, rêves-tu ou deviens-tu fol­le ?
- Cette parabole dramatique m’éblouit, comme une lumière qui éclaire tour à tour des objets différents, conservant toujours le même éclat et révélant le mê­me mystère. Poursuis, Simon ! Qu’est devenue Noc­tu­la, quand on a emmené Jésus ?
- Restée seule, elle n’a pas bougé. Je suis alors allé vers elle :

" Bonjour, Noctula. J’ai beaucoup appré­cié ta manière d’entrer dans le jeu ignoble qu’on t’a imposé. Prends cet argent, il pourra t’être utile. Et j’ai glissé dans sa main un sachet.
" Pourquoi cet argent ? M’incites-tu à pour­suivre cette mascarade au sein du cor­tège qui l’entraîne vers la mort ? Me pousses-tu à me prostituer encore ?
Noctula, tu ne m’as pas compris ! Cet argent doit t’aider à ne plus te prostituer. Tu as eu un privilège dont le sort nous a privés : un dernier entretien avec lui. Que vous êtes-vous confié ?
" Je lui ai demandé pourquoi il s’était sou­mis à cette épreuve sans résister.
" Ce n’était pas un jeu pour moi, m’a-t-il répondu, je me suis vraiment rendu à Jéru­salem.
" Mais je croyais que tu t’y étais fait proclamer roi ?
" Non ! J’y suis monté pour in­viter le peuple à rencontrer Dieu au temple. Personne n’a entendu mon appel ; aucune fil­le d’Israël ne s’est reconnue en mon épouse. À travers ce jeu, j’ai entrepris un nouveau voyage à Jérusalem, pour y figurer la mort du roi ; la fille d’Israël est venue à ma ren­contre.
" Je n’ai vu aucune fille te sui­vre !
" Crois-tu ? Pourtant tu étais là. C’est toi, Noctula, la fille d’Israël !
" Alors, j’ai pleuré.




Roman achevé en 2002




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t321560 : 22/10/2020