Présentation
Texte intégral :
La rencontre d’amour
Les disciples du Royaume
Le banquet des noces
Itinéraire d’un bâtard
Le défi
La fugue
Sur le pont du bateau
Chemins d’amour
Dalmanutha
Transfiguration et insurrection
La Dédicace
Correspondances
Béthanie
Gethsémani
Le procès
- La cause
- L’accusation
- La défense
- La sentence
- Noctula
Golgotha
L’enterrement
Le jour de la Pâque
Le tombeau vide
Les semeurs
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imon reprit le fil :
- Environ un quart d’heure plus tard, Pilate entra dans le prétoire, suivi de l’avocat improvisé et d’un scribe, et prit place sur son siège. Le défenseur était très jeune, vêtu d’une tunique en coton blanc et drapé dans une toge. Une ceinture fermée par une boucle d’or entourait ses hanches. Aux pieds, des sandales de cuir, dont les lacets argentés s’entrecroisaient autour des mollets. Ayant rejeté le bord de sa toge sur l’épaule, il se tourna vers le procurateur, les bras étendus :
" Noble Pilate, je te remercie de m’avoir fourni l’occasion de défendre cette cause, et de m’associer ainsi à la mission de justice que tu exerces dans cette province. Certes, l’accusé est d’origine obscure et refuse de parler, mais les arguments de l’accusation sont si insignifiants que la tâche sera facile, même pour un orateur aussi novice que moi. Si ta sentence est favorable à ma plaidoirie, ô noble Pilate, ce sera pour moi un grand honneur. En lisant le procès-verbal de l’interrogatoire et les pièces du dossier présenté par le Sanhédrin, j’ai été convaincu que l’accusé n’a commis aucun crime passible de la peine capitale. Je reprendrai les différents points de l’accusation que tu as mentionnés : séduction du peuple, magie et atteinte à la souveraineté de l’État.
" Concernant le premier délit, que reproche-t-on à l’accusé ? Il s’est répandu en invectives contre les sectes du pays, et en malédictions contre certaines villes et contre les classes dominantes. Il aurait ainsi incité le peuple à faire fi des traditions et à transgresser certains préceptes de la loi. Or ces invectives ne sont pas originales, mais sont partie intégrante de la pratique rhétorique de sa nation. J’ai interrogé Titus, expert en affaires juives ici présent, il m’a assuré que de telles invectives et malédictions sont fréquentes chez les prophètes, qui sont les grands artisans de la nation.
- S’adressant aux accusateurs, il reprit avec un sourire sarcastique :
" Sages du Sanhédrin, puisque vous avez condamné cet homme, pourquoi n’osez-vous pas vous porter partie contre vos prophètes et défendre au peuple leur lecture ? Ou alors, si vous honorez vos prophètes, ne condamnez pas cet homme, qui trouve en eux son inspiration. Vous allez me dire qu’il a entraîné le peuple à transgresser la loi, or je constate qu’il n’a prêché que contre ses abus.
" Par Hercule ! Procurateur, permettrais-tu de laisser infecter l’eau des puits, si des cadavres d’animaux s’y trouvaient le jour du sabbat ? Dans ta province, laisserais-tu les malades privés de soins, le bétail sans nourriture ou le feu dévaster les villes, sous prétexte que c’est le jour du sabbat ? Aurais-tu la naïveté de croire que des Juifs ennemis de l’empire ne chercheraient pas à te tendre des pièges, le jour du sabbat ?
- Et, se tournant brusquement vers les accusateurs :
" Dans son opposition à l’institution du divorce, l’accusé n’a pas cherché à transgresser la loi, mais à faire progresser la société. Souhaitez-vous que les femmes se révoltent un jour contre vous ? Sinon, donnez-leur le droit de divorcer elles aussi, comme Rome le leur permet.
" Venons-en au deuxième délit : la magie. Je me demande si les témoins ont jamais eu l’expérience de la magie, tant il est vain d’accuser Jésus de Nazareth de ce délit. Il a guéri avec sa salive, dit-on ? Mais cela n’a rien de magique ! Tous les savants vous diront que la salive recèle une vertu thérapeutique, comme le montre l’observation des animaux : quand ils sont blessés, ne guérissent-ils pas leurs plaies en les léchant ? De même, ne nous léchons-nous pas, quand nous avons été piqués par des épines ? La salive n’est-elle pas la meilleure protection de la bouche ?
" L’accusé aurait fait revivre une jeune morte en soufflant dans sa bouche ! Mais elle n’était peut-être pas vraiment morte ; d’ailleurs des cas semblables ont été observés, en Israël comme dans d’autres nations. J’ai questionné notre expert, il m’a assuré qu’Élie, votre grand prophète, avait agi exactement pareil.
" Et que dire des interventions de Jésus sur des malades qui ne l’étaient pas ? A-t-il accompli des guérisons, ou démasqué des supercheries ? Qui est le plus répréhensible, ô juges du Sanhédrin, de celui qui se trompe en croyant malade quelqu’un qui ne l’est pas, ou de celui qui fait croire malade un homme sain ?
" Enfin, il est accusé d’avoir fait commerce avec les mauvais esprits, puisqu’il avait l’habitude de pratiquer ce qu’on appelle l’exorcisme. Mais cherchait-il à contrôler la puissance de ces esprits pour amener le peuple à l’insoumission et à la révolte ? Au contraire, grâce à son intervention, les possédés devenaient des hommes paisibles et disciplinés !
" Ô noble préteur, tu devrais honorer cet homme, au lieu de le punir, car il calme les instincts de la populace !
" Venons-en au dernier chef d’accusation, le plus important, car il concerne directement le pouvoir de l’empire. Ce prophète vagabond aurait tenté de se faire proclamer roi ! Ô Zeus du Capitole, serais-tu si affaibli que ce barbare sans nom puisse te ravir une province ? Comme Prométhée, brandirait-il un flambeau dans l’espoir d’allumer la révolte chez le peuple juif ? Ses compagnons et ses ménades ont été dispersés comme fétus, à la seule apparition de la cohorte romaine ! Montait-il un cheval blanc, comme Hannibal ? Que non ! Il entraînait un âne, sur le dos duquel était assise une nymphe qu’il avait pêchée dans le lac de Génésareth !
- Toute l’assemblée se mit à rire...
Simon, réalisant qu’il pouvait me blesser, s’arrêta de conter et s’adressa à moi :
- Excuse-moi, je me laisse emporter...
- Et la nymphe est encore là, tombée de son âne, sans son roi, loin de son lac... Mais poursuis ton récit !
- L’avocat, toujours souriant, a continué à s’adresser aux accusateurs : " Sans doute est-il l’instigateur d’une émeute. Ne l’avoue-t-il pas lui-même ? Mais quel était son mobile ? Pourquoi est-il monté au temple ? Pour l’incendier ? Pour s’emparer du pouvoir des grands prêtres ? Pour abolir la religion ? Rien de tout cela ! Il est venu ’ purifier ’ le temple ; j’ai encore eu recours à Titus pour comprendre la portée de cette action, selon les textes sacrés de votre peuple. La purification s’inscrit dans l’histoire du temple, c’est pourquoi elle est l’objet du discours des prophètes, où il est question d’un nettoyage.
- Et pointant le doigt vers les accusateurs : " Vous dites qu’il en appelait aux paroles d’un de vos prophètes, qui mentionne le feu, mais qui, selon lui, purifie par le feu ? Dieu ou son messager ? Si c’est Dieu, traînez-le donc devant le procurateur, puisqu’il a l’intention de vous passer par les flammes ! La loi romaine est si noble qu’elle pourra vous rendre justice même contre votre Dieu ! Mais s’il s’agit du messager de Dieu, donnez acte à Jésus de Nazareth qu’il n’a pas cherché à embraser vos vases, vos encensoirs, vos coupes, ni vous-mêmes. Voulez-vous lui donner la mort parce qu’il a refusé de vous jeter au feu, comme il aurait dû le faire s’il s’estimait le messager de Dieu ? Peut-être redoutez-vous que le peuple, un jour, n’incendie vraiment votre temple. Peut-être redoutez-vous que d’autres hommes, non plus montés sur des ânes mais sur des chevaux, non plus armés de bâtons mais d’épées et de lances, viennent un jour occuper le temple, pour conquérir réellement le pouvoir ?
- À ces paroles, les grands prêtres et les gens de leur suite se mirent à hurler :
" Il n’est pas permis à un défenseur de se faire accusateur, en semant le doute sur ceux qui sont ici, zélés pour la justice et respectueux de la Loi. Expulse ce jeune prétentieux, qui offense notre sens moral, ô noble préteur !
" Vous participez à un procès romain, et non à un procès juif, ô pères du peuple. Notre procédure autorise le défenseur à user du raisonnement pour mettre en doute les témoignages produits contre l’accusé. Vous avez eu la liberté d’accuser, laissez au prévenu celle de se défendre !
" Si vous vous jugez dignes d’accuser parce que vous avez de l’âge, a repris l’avocat, je m’estime honoré de défendre la vie, grâce à ma jeunesse. Peut-être un certain âge fait-il oublier que l’on naît pour vivre, et non pour mourir ! En conclusion, noble Pilate, j’affirme que l’accusé n’a pas commis de crime passible de mort. Sa faute est celle qu’il a reconnue lui-même : la sédition populaire. Elle est grave, parce qu’elle a eu lieu dans le temple, mais à sa décharge l’accusé a une circonstance atténuante : à l’exclusion de toute autre, sa motivation était religieuse !
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