ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


                              Auteurs Méthode Textes
  Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 15 - Le procès :

L’accusation



La logique ou l’art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664 





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès
- La cause
- L’accusation
- La défense
- La sentence
- Noctula

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


près un bref silence, Simon a repris :

- Précédé des licteurs, Pilate entre dans le prétoire ; serré dans sa toge, parfumé, il arbore un air narquois. Des soldats amènent Jésus, les pieds enchaînés ; ils le délient et le placent près de lui. Avançant de quelques pas, Pilate s’adresse aux grands prêtres :

" Vous m’avez amené cet homme, de quoi l’accusez-vous ?
" Noble Pilate, nous avons pris cet hom­me qui suscitait une sédition pour occuper le temple pendant la fête de la Dédicace. Interrogé par le Sanhédrin, il a reconnu sa culpabilité et des personnes agressées ont témoigné contre lui. Nous l’avons déclaré coupable de crime contre l’État, car il cher­chait à s’emparer du pouvoir et à se proclamer roi. Pendant l’enquête, nous l’a­vons mis en prison mais il s’en est échappé. Les témoignages recueillis contre lui pendant sa contumace ont été acca­blants. Depuis son apparition en public, il a toujours tenté de séduire le peuple, le poussant à la révolte contre la Loi et les traditions, et à transgresser le sabbat. Bâ­tard, il s’est présenté en prophète qui vou­lait être reconnu fils de Dieu. Vagabond sans feu ni lieu, il s’est associé à des pé­cheurs, des bandits et des prostituées, sub­sistant d’aumônes arrachées par super­cheries, fausses guérisons, sortilèges et actes de magie. La populace, qu’il a per­suadée qu’il est le fils du Père, l’appelle ’ Barabbas ’. Nous te livrons donc, noble Pilate, ce Barabbas, faux prophète, magi­cien et prestidigitateur, séditieux et agita­teur, afin qu’il soit jugé par la loi romaine pour des crimes qui sortent du cadre de notre juridiction.

- Après les avoir écoutés distraitement, Pilate leur jet­te un regard méprisant, puis demande à Jésus :

" Quel est ton nom ?
Jésus de Nazareth.
" Es-tu aussi Barabbas, le fils de Dieu ?
" Chaque homme est fils de Dieu !
" Moi aussi, alors ?
" Oui : toi comme moi, le grand prêtre, le lépreux et le brigand !
" Es-tu également le roi des Juifs ?
" C’est toi qui le dis !
" Reconnais-tu avoir tenté d’occuper le temple, pour t’emparer du pouvoir ?
" Je ne recherche pas la domination de la terre, mais le Royaume des cieux. J’ai chas­sé les vendeurs pour purifier le tem­ple, qu’il ne soit plus un marché et un abattoir, mais une maison de prière.
" Prier sans offrandes de moutons, de bœufs, de pigeons... et sans argent ?

- Mais Jésus garde le silence. Alors, le procurateur s’adresse aux accusateurs :

" Avez-vous des témoins de toutes ces ac­cusations ?
" Si nous n’avions pas de témoins, noble Pilate, nous ne te l’aurions pas livré ; se­lon notre Loi, personne ne peut être con­damné sans la parole de deux témoins !

- Agacé de cette réponse, Pilate les toise puis, se tournant vers l’huissier : " Appelle les témoins. Qu’ils déposent selon l’ordre des chefs d’accusation : la sé­dition, la magie, puis l’atteinte contre l’État. "

- Ces paroles suscitent une certaine confusion parmi les témoins. Alors l’huissier les interpelle à voix forte : " Que celui qui a quelque chose à dire au sujet de l’action séditieuse de l’accusé approche ! "

- Un homme du peuple se lève en tremblant :

" Je l’ai entendu dire que si un mouton chute dans un puits le jour du sabbat, il faut le repêcher pour que l’eau reste pro­pre.
" Où y a-t-il crime ? Laisseriez-vous périr un mouton et souiller un puits parce que c’est le jour du sabbat ?

- Comme le témoin reste bouche-bée, un pharisien demande la parole :

" Noble procurateur, cet homme est inti­midé par ta majesté. Par ces paroles, Jé­sus a voulu convaincre le peuple de trans­gresser le repos du sabbat en lui incul­quant que tout travail est aussi nécessaire que de sauver un mouton tombé dans un puits.
" Ah ! Le témoin ne pouvait sûrement pas comprendre ça tout seul !

- Un autre pharisien s’avance au milieu du prétoire :

" Je l’ai entendu dire que Moïse a édicté la loi du divorce parce que le cœur des hom­mes s’est endurci à l’égard des fem­mes. Or cette loi a été donnée par Dieu.
" Votre Dieu a-t-il une femme, comme Zeus ? Le témoin restant muet, le procu­rateur poursuit : Votre loi prévoit-elle aus­si le divorce pour les femmes ?
" Oui, en cas d’adultère du mari.
" Pour quelles raisons l’homme peut-il di­vorcer ?
" Il suffit qu’il prenne sa femme en aver­sion.
" J’en conclus que votre Dieu n’a pas de femme, sinon elle ne l’aurait pas autorisé à promulguer cette loi ! À Rome, Junon a poussé les femmes à revendiquer le même droit au divorce que les hommes... Je com­prends votre réaction contre l’accu­sé !
" Je l’ai entendu proférer des imprécations et des malédictions contre notre généra­tion, nous traitant de race de vipères, de génération adultère qui a fait mourir ses prophètes, déclare un autre pharisien. Il a dit aussi que nous sommes des descen­dants de Caïn.
" Qui était Caïn ? demande le procurateur à son conseiller aux affaires juives.
" Celui qui a tué Abel, son frère, aux ori­gines des temps.
" Votre Romulus, alors ! L’accusé a rai­son d’affirmer que les Juifs descendent de Caïn, puisqu’Abel a été tué ! Il m’intrigue cependant, car il profère contre vous les mêmes injures que les Grecs et les Ro­mains. Est-il vraiment juif ?
" C’est un bâtard ! clament en chœur les accusateurs.
" Qui est ton père ? demande Pilate à Jé­sus, qui ne répond pas.
" Des bruits courent à ce sujet, déclarent les grands prêtres. Certains croient que c’est l’un de ses oncles, d’autres affirment qu’il s’agit d’un soldat romain.
" S’il en est ainsi, je comprends ses inju­res !

" Y a-t-il encore des témoins de ce chef d’accusation ? " lance l’huissier, et, com­me personne ne bouge, " Que s’appro­chent les témoins de sa magie ! "

- Un homme du peuple est poussé au milieu du pré­toire :

" J’étais aveugle et fus conduit chez lui pour recouvrer la vue. Il m’a saisi violem­ment par les épaules et m’a craché au visage. Ensuite, il m’a frotté les yeux avec sa salive.
" As-tu retrouvé la vue ?
" Oui, mais pas complètement : je voyais les gens comme des arbres.
" Comment pouvais-tu distinguer les gens des arbres, si tu étais aveugle ?
" C’est que je voyais un peu, avant qu’il n’opère sa sorcellerie !
" Et ensuite, as-tu vu distinctement ?
" Oui, car il m’avait ensorcelé !
" Et s’il t’avait rendu complètement aveu­gle au lieu de te redonner la vue, aurait-il encore été un magicien ? " demande Pilate en éclatant de rire.

- Puis vient le tour d’une femme :

" J’étais là, quand il a ressuscité par magie une jeune morte.
" Comment s’y est-il pris ?
Il lui a soufflé dans la bouche.
" Que faisais-tu là ?
" J’étais pleureuse.
" Par amitié, ou par métier ?
" Par métier, mais cependant avec toute ma pitié !
" Pleurais-tu encore, quand Jésus l’a res­suscitée ?
" Non, car il m’a chassée. Il n’a eu de com­passion que pour la morte ; aucune pour moi, qui travaillais pourtant pour mon pain !
" Moi aussi, j’ai été chassé car je jouais de la flûte ! Renchérit un homme.
" Eh oui ! Intervient Pilate hilare, le mon­de ne vacillera-t-il pas sur ses bases, si on commence à ressusciter les morts ? C’est bien la première fois que je m’amuse au­tant avec des Juifs ! confie-t-il à son con­seiller.

- Un homme s’avance :

" J’affirme que Jésus est un magicien, qui a eu commerce avec les démons. Un jour qu’il s’approchait d’un possédé pour l’e­xor­ciser, celui-ci lui a dit : ’ Que t’arrive-t-il, fils de pute, pour que tu viennes me dé­li­vrer ? ’ Mais il lui a ordonné de partir.
" Et le démon l’a quitté ?
" Oui, il lui a obéi, comme au chef des dé­mons !
" Heureux pays, s’exclame Pilate, où pos­sédés et exorcistes sont tous liés par les dé­mons !

- Un autre homme, aussi décidé que le précédent, vient au milieu du prétoire :

" Je déclare que c’est un prestidigitateur ! Un jour que j’étais dans la synagogue, je laissais tomber ma main comme si elle était inerte : je voulais le tenter pour prou­ver que c’était un faux guérisseur. En me voyant, il a dit ’ Étends ta main ! ’ Il cro­yait que ma main était paralysée !
" Pourquoi as-tu cherché à le tenter ?
" On me l’avait demandé.
" As-tu eu peur ?
" Oui ! Je craignais que si ce qu’on m’a­vait dit était exact, ma main ne devien­ne vraiment paralysée.
Jésus a bien fait de ne pas réaliser de miracle ce jour-là, n’est-ce pas ? demande Pilate en riant.
" Ah oui ! répond l’homme.

" Que les témoins de l’occupation du tem­ple s’avancent maintenant ! crie l’huissier.

" J’étais au bureau de change, quand Jé­sus s’est avancé. Il est venu vers moi, a ren­versé ma table, et l’argent s’est ré­pan­du par terre. Il m’a dit : ’ C’est péché d’é­changer le pardon de Dieu contre de l’ar­gent ’ !
A-t-il pris de l’argent ?
" Non, mais il n’a pas empêché les gens de se servir.
" Les mêmes qui étaient venus changer de l’argent et acheter le pardon de Dieu ? De­man­de Pilate ; mais le témoin se tait.

- Un autre se présente à son tour :

" J’étais gardien dans l’enclos à moutons. Jésus s’est approché avec deux hommes armés de bâtons, et m’a demandé : ’ Pour­quoi transformes-tu la maison de Dieu en marché à bestiaux ? Vient-on ici pour pri­er, ou pour nourrir Dieu et ses prêtres ? ’ Alors, il a ouvert l’enclos et les moutons se sont échappés.
A-t-il volé des moutons ?
" Non, mais le peuple ne s’en est pas pri­vé !
" Le peuple qui était venu acheter des mou­tons pour les offrir à Dieu ?
" Oui !
" Ont-ils offert à Dieu les moutons volés ?
" Je l’ignore. Peut-être ont-ils offert les moutons achetés, et emporté chez eux ceux qu’ils avaient dérobés.

- Un prêtre s’avance à pas comptés, les yeux clos, l’air concentré :

" Je l’ai entendu haranguer la foule, quand il était encore sur le parvis : ’ Détruisez ce temple, et en trois jours je le rebâtirai. ’
Était-il armé ?
" Non.
" Ses acolytes avaient-ils des torches en­flammées ?
" Non.
" Comment s’y serait-il pris pour détruire le temple ?
" Il ne s’agit pas de cela. Il voulait priver les grands prêtres de leur suprématie, com­me il y était parvenu avec les ven­deurs. Il cherchait à s’emparer du pouvoir grâce à une révolte populaire.
" Sur quoi aurait-il pu s’appuyer, pour capter la sympathie populaire ?
" Sur son pouvoir de guérisseur et de pro­phète, car le peuple le reconnaît pour tel.
" Alors, on ne peut pas dire que le peuple voyait en lui un faux prophète, un magi­cien ni un prestidigitateur !
Il avait égaré le peuple !
" Penses-tu qu’il aurait pu entraîner le peu­ple à se révolter, s’il n’avait pas béné­ficié d’appuis et de connivences avec des zélotes ou avec des pharisiens, adversaires des sadducéens qui détiennent le pouvoir de la prêtrise ?

- À ces mots du procurateur, les accusateurs s’agi­tent ; tout le monde prend peur. Gêné, le témoin répond :

" Je l’ignore. Mon office est seulement le culte de Dieu, je ne me mêle pas aux in­trigues des hommes !
" Certes, c’est pour honorer Dieu que tu portes témoignage contre l’accusé !

- Vient le tour d’un autre grand prêtre :

" Je l’ai entendu dire : ’ Je suis le messa­ger de l’alliance. ’ Il s’est ainsi appliqué les paroles du prophète : ’ Voici le messa­ger de l’alliance que Dieu envoie pour pré­pa­rer sa venue ; il s’assiéra, fondra et puri­fiera l’argent ; il purifiera les fils de Lévi. ’
" Qui sont les fils de Lévi ?
" La caste sacerdotale.
" Selon votre prophète, Dieu doit donc pas­ser par le feu ceux qu’Il a choisis pour purifier le peuple ? Le témoin gardant le si­lence, Pilate poursuit : de quoi accusez-vous Jésus de Nazareth, si Dieu doit vous consumer comme on fait fondre l’argent ?
" En s’identifiant à l’envoyé de Dieu, il prétend préparer sa venue en bouleversant l’ordre établi, en s’arrogeant le droit de pu­rifier les fils de Lévi. N’est-il pas monté au temple, lors de la Dédicace, pour cela ?
" Ne crois-tu pas qu’il est insensé de pré­tendre purifier les fils de Lévi comme de l’argent ? Lance Pilate, un sourire narquois au coin des lèvres.

- Le dernier témoin est un pharisien :

" Lorsque cet homme est entré à Jéru­salem, le jour de la Dédicace, il conduisait un âne monté par une fille habillée en épouse.
" Et alors ? N’était-il pas permis d’entrer à Jérusalem, ce jour-là, pour célébrer ses no­ces ?
" Certes ! Mais ses acolytes entonnaient les paroles du prophète : ’ Voici, Jéru­salem, ton roi vient à toi, il est juste et victorieux et monté sur un âne. ’ Il avait bien l’intention d’être reconnu roi, puis­qu’il avait installé son épouse sur le dos d’un âne, comme une reine !
" D’autres personnes conduisaient-elles ou montaient-elles des ânes, ce jour-là ?
" Oui, mais elles n’avaient aucune préten­tion prophétique.
" Y avait-il aussi des chevaux ?
" Oui, des cavaliers, somptueusement vê­tus et armés.
" Sans doute pour se protéger du roi qui entraînait sa reine sur un âne ! Va, tu peux te retirer.

" Y a-t-il d’autres témoins ? " crie l’huis­sier.
" Personne ? " demande le procurateur en regardant autour de lui. Il s’adresse alors à Jésus : " Que réponds-tu à ces innombra­bles accusations ? "

- Mais Jésus reste enfermé dans son silence.
Il reprend : " Pourquoi ne réponds-tu pas ? Ne sais-tu pas qu’il me revient de te libérer ou de te condam­ner ? "
- Mais Jésus persiste. Le procurateur, étonné, se tour­ne alors vers les grands prêtres :

" Avez-vous, conformément à votre loi, appelé aussi les témoins à décharge ?
" Bien sûr, mais seuls les accusateurs ont répondu.
" Alors, je dois commettre un avocat d’of­fice et, s’adressant à un de ses officiers : Cornélius, je t’offre une chance de dé­mon­trer ta valeur oratoire. Prends le dos­sier et prépare-toi à plaider. L’audience est suspendue.


Simon avait raconté cette première partie du procès avec tant de détails que j’avais l’impression d’y avoir participé.
- Comment expliques-tu, ai-je demandé, que le pro­curateur ait cherché à être équitable, alors que l’em­pire ne cesse de violer la justice envers toutes les nations ?
Rome use de la justice avec excès, car elle croit être destinée par Dieu à exercer la justice dans le monde. S’ils se montrent injustes quand ils prennent le pou­voir, les Romains deviennent des médiateurs de la justice une fois en possession de l’empire. Ils font la guerre pour gagner la paix. Ils croient comme nous qu’ils sont un peuple élu pour le salut du monde, mais le salut par la domination et non par la parole.




Roman achevé en 2002




Retour à l’accueil La cause Retour à la table des chapîtres La défense     Choix de l'impression

t321557 : 18/10/2020