ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


                              Auteurs Méthode Textes
  Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 9 - Dalmanutha :

Le signe venant du ciel



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha
- Le signe venant du ciel
- Le retour des disciples
- Comme une colombe

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


u cours du repas, une des sœurs nous a annoncé que Lévi et Judas viendraient rendre visite à Jésus. La perspective de revoir Judas me troublait profondé­ment : l’aversion que j’éprouvais pour lui persistait et je redoutais toujours ses intrigues. Je profitais d’un mo­ment où Jésus était seul :
- J’avais oublié de te dire que j’ai eu un long en­tre­tien avec Judas. Après un discours sans queue ni tête pour me déclarer qu’il était épris de moi, il m’a con­fié vos divergences. Cependant il s’estime lié à toi pour la vie et la mort, dans un destin inéluctable. Cet aveu m’a effrayée, bien plus que ses avances, car je l’ai trouvé très sincère.
- C’est vrai, nous sommes irrévocablement liés, mê­me si nous ignorons l’issue de notre union. Nous réa­gissons comme les personnages d’une parabole que nous comprenons différemment parce que nous n’a­vons pas le même critère d’interprétation. Judas a une approche humaine, qui cherche à adapter les mo­yens aux fins : son attitude est celle d’un homme in­tel­ligent qui ne considère que l’efficacité. Il en va ain­si de toute œuvre humaine, mais l’œuvre que Dieu m’a confiée n’est pas de ce monde, même si elle se réalise ici-bas. Dieu en fixe les moyens comme les fins et moi, en accomplissant cette œuvre, je dois in­ter­préter les signes pour découvrir les moyens établis par le Seigneur.
Judas m’avait déjà parlé de votre divergence sur le signe. Il craignait que son attente freine ou limite ton action, alors que la situation exigeait tout ton engage­ment.
Il aurait sans doute eu raison, s’il s’était agi d’une entreprise de ce monde où l’homme est l’arbitre, mais pas dans une mission dont Dieu est le maître. Je suis prophète, et non artisan d’un exploit humain, mê­me s’il s’agit de libérer les hommes de conditions d’exis­tence qui les enlisent, ou de pouvoirs qui les ex­ploitent. Comme prophète, je dois scruter les signes, c’est-à-dire lire dans les événements de la vie la vo­lonté de Dieu. Je ne suis pas venu pour faire ma vo­lonté, mais celle de Dieu.
- Je redoute que ce conflit ne vous enferme dans une contradiction qui n’aurait d’autre issue que la mort !
- Tu pourrais le craindre, Maria, si les conflits ne dé­pendaient pas aussi de la vie de l’homme. Crois-tu qu’en nous aimant nous échapperons à la mort ? Mê­me si l’amour est plus fort que la mort, le jour vien­dra où il devra se mesurer à elle...

   On frappa à la porte.
- Voici Judas et Lévi !
- Oui, Judas ! a répondu Jésus d’un ton si calme et si rassurant que je me suis sentie apaisée.


Je me suis efforcée d’embrasser Judas sans trahir ma gêne, mais il m’a été impossible de lui sourire. Par contre, j’ai été heureuse d’embrasser Lévi qui a aus­sitôt ressuscité en moi les souvenirs des noces, le banquet, les chants, nos cœurs ouverts sur un monde transfiguré par l’amour. Comme tout peut changer en si peu de temps ! D’ailleurs les mines attristées de Lé­vi et de Judas, le regard soucieux de Jésus, m’en fournissaient la preuve. Curieuse d’entendre ce qu’ils diraient, j’étais plus attentive qu’à l’ordinaire, tout en m’affairant pour les accueillir.
- Comment vont les choses ici, à Capharnaüm ? a demandé Jésus.
- Maître, a dit Lévi, les pharisiens et les hérodiens se sont coalisés contre toi : n’ayant pas réussi à s’empa­rer de toi, ils se sont unis pour t’aliéner le peuple. Ils se montrent très attentifs aux besoins des pauvres et des malades, et très généreux ; ils profitent de l’occa­sion pour les interroger, les troubler et les pousser à t’accuser.
- Les pauvres et les malades se prêtent-ils à ce jeu ?
- Tu sais comme moi, Maître, a répondu Judas, que les pauvres sont à mi-chemin entre hommes et bêtes : ils n’existent que pressés par leurs besoins, ne jau­gent pas les hommes et les situations à l’aune de l’hon­nêteté, mais à celle de l’utilité qu’ils peuvent en atten­dre. Qui donne beaucoup est un sauveur, même si c’est un tyran comme Tibère, un loup comme Héro­de, ou un renard comme notre roitelet de Gali­lée.
- Il est donc étrange que Dieu appelle ce sous-hom­me, ce « minus », à devenir son fils ?
- Ce problème m’a tracassé dès le jour où je t’ai ren­contré, Maître. J’incline à penser que Dieu a réduit ces hommes à la condition animale pour offrir aux libérateurs qu’Il envoie une force brutale pour écra­ser les exploiteurs.
- Cela serait possible si Dieu était l’auteur de leur in­famie, mais les pauvres et les affligés connaissent cet­te condition à cause des puissances du mal. Pour moi leur existence est le signe d’une intervention cré­atrice de Dieu. Ces hommes sont ce qui reste de l’humanité que Dieu avait créée souveraine, à qui Il avait donné le pouvoir de transformer et de maîtriser la terre. Dieu viendra pour modeler ce « reste » et lui insuffler l’Esprit de vie pour une nouvelle création, une résurrection de la mort.
- Si cette condition est un signe, c’est maintenant qu’il faut agir !
- Que faire ? Sommes-nous des sauveurs envoyés par Dieu pour écraser les pouvoirs oppresseurs par la force des masses, ou au contraire l’holocauste que ces mêmes pouvoirs immolent, à leur insu, pour la rédemption des hommes ?
- Je constate, Maître, a réparti Lévi, que les phari­siens et les hérodiens se préparent à ce sacrifice ! Leur coalition tend un filet auquel nous ne pourrons pas échapper. Ils rassasient les pauvres et soignent les malades pour les interroger sur la façon dont tu as opéré guérisons et exorcismes. Ces malheureux ré­pon­dent sans arrière-pensées, spontanément, en s’ar­rêtant aux détails, ce que souhaitent les enquêteurs.
" C’est un prophète, disent-ils, mais nous sommes surpris par sa manière d’opérer les guérisons, par l’im­position des mains, par les massages à la salive, parfois par la violence de ses gestes. La pratique de ses exorcismes est plus étrange encore car, sans qu’il invoque Dieu, les démons lui obéissent comme s’il était leur chef ". Les pharisiens sèment le trouble en eux :
" Ce n’est pas ainsi qu’Élie et Élisée ont guéri. Cer­tes, c’est un prophète, mais il agit en dehors de nos tra­ditions... Ce n’est pas un prophète comme les au­tres, dont l’authenticité est confirmée par les œuvres : les prophètes ont réalisé des prodiges démontrant qu’ils étaient envoyés par Dieu. Moïse a fait pleuvoir du pain, Élie du feu, Élisée a ressuscité des morts ; mais Jésus, qu’a-t-il fait ? Des guérisons banales ou dou­teuses.
" De plus, les prophètes ont tous été irréprochables dans leur vie privée, observant le jeûne et les purifi­cations, tandis que Jésus mange et boit avec des prostituées et des pécheurs. Il s’est même uni à une femme de mauvaise vie ! Certes, les voies du Sei­gneur sont mystérieuses et toutes ces choses sont peut-être des énigmes, mais il devrait donner des si­gnes pour qu’on le croie, de vrais signes qui viennent du ciel. Il y va d’ailleurs de son intérêt, selon l’ordon­nance donnée par Moïse à tout homme qui se pré­tend prophète ".
« Les malheureux se laissent circonvenir : " Oui, il doit donner un signe du ciel, sinon comment pour­rions-nous savoir s’il est vraiment un prophète, ou seulement un magicien et un charlatan ? "
« Ainsi les pharisiens interrogent et recherchent des témoins, les scribes verbalisent pour préparer les chefs d’accusation, et leurs dossiers sont pleins de té­moignages où tu apparais comme un faux prophète, un homme possédé par les démons, un transgresseur de sabbat et des traditions, un blasphémateur !
- Je dois ajouter, a repris Judas, que tout en prépa­rant le procès, ils voudraient te faire condamner par jugement populaire. Ils veulent profiter de ton retour, qu’ils attendent avec impatience, pour pousser vers toi les gens acquis à leurs intrigues et leur faire exiger de toi le signe, selon la procédure traditionnelle de dé­non­ciation des faux prophètes. Si tu le donnes, tu seras en principe sauvé, mais si tu ne le peux pas, ou si tu refuses, le peuple te lapidera. Ainsi les pharisiens n’auront pas à intenter un procès, ce qui serait plus long et plus compliqué, car le roi craint de se charger de la mort d’un autre prophète.


Au moment où Judas prononçait ces paroles, j’ap­portais des fruits. Je tremblais tellement que le pla­teau m’a glissé des mains et j’ai dû serrer fortement les paupières pour éviter de pleurer. « Oh, Maria, m’a dit Jésus, je parie que tu as frémi parce que tu te doutes que je ne donnerai pas le signe ». Il s’est levé pour me faire asseoir à sa droite, puis a ramassé les fruits. « On dirait que Dieu a ordonné au temps d’ac­célérer son cours pour avancer la saison de la récolte. Voilà des fruits qui tombent du ciel ! »

   Puis, se rasseyant, il a offert un fruit à chacun de nous : « Ils veulent empêcher l’amour de régner sur la terre, mais l’amour est plus fort que la mort. Quel autre signe que l’amour puis-je donner ? » Il s’est mis à croquer une pomme et nous l’avons imité, mê­me si nous n’en avions aucune envie. Puis il a renoué le dialogue :
- Avant les pharisiens, les baptistes m’avaient deman­dé un signe, et Dieu leur a donné ce signe !
- À ce moment, tu avais du temps devant toi, a ré­pondu Judas, car ils t’ont envoyé dans le désert. Cet­te fois, ils ne te laisseront aucun délai.
- As-tu peur pour moi, ou pour toi ?
- Pour toi et pour moi, Maître. Tu sais comme moi que rien ne peut nous séparer, quel que soit le sort de chacun.
- Il nous reste à tenter d’échapper au mauvais sort. Faites qu’à leur retour les disciples se retrouvent hors du territoire d’Hérode... À Dalmanutha, de l’autre côté du lac, dans ce lieu désert que j’ai visité après mon départ de Capharnaüm. Préparez les barques et faites-les avertir.
- Et si nos adversaires viennent à Dalmanutha ?
- Alors, nous adopterons ton procédé : nous dégaine­rons nos épées, nous ordonnerons aux aveugles de saisir leurs bâtons et nous frapperons jusqu’à ce qu’ils rendent l’âme ; puis nous soulèverons le peuple con­tre Hérode et les pharisiens... Judas, il est des mo­ments où il faut agir comme des colombes, puis s’envoler... Si nous y parvenons, peut-être y verront-ils le signe du ciel.




Roman achevé en 2002




Retour à l’accueil De Ruchama à Maria Retour à la table des chapîtres Le retour des disciples     Choix de l'impression

t320935 : 06/06/2020