ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisChronique de Marie-MadeleineRoman |
Chapitre 9 - Dalmanutha : |
Présentation Texte intégral : La rencontre d’amour Les disciples du Royaume Le banquet des noces Itinéraire d’un bâtard Le défi La fugue Sur le pont du bateau Chemins d’amour Dalmanutha - Le signe venant du ciel - Le retour des disciples - Comme une colombe Transfiguration et insurrection La Dédicace Correspondances Béthanie Gethsémani Le procès Golgotha L’enterrement Le jour de la Pâque Le tombeau vide Les semeurs |
ésus s’opposait à ce que les femmes se rendent à Dalmanutha, car cela pouvait être dangereux, mais j’ai supplié de l’accompagner. Pourquoi éviter le danger, quand notre amour nous liait pour la mort comme pour la vie ? J’ai tant insisté qu’il s’est laissé fléchir, à condition que je sois accompagnée par Salomé. Au fur et à mesure qu’on se rapprochait, j’apercevais Dalmanutha plus distinctement, rocher sauvage qui ne peut abriter que des fugitifs ou des naufragés. J’eus le cœur serré, comme si ce lieu devait une fois de plus me dérober celui que j’aimais et l’éloigner de moi une dernière fois. Je me suis serrée contre lui : « Rabboni, dis aux rameurs de s’arrêter. C’est si bon de rester ici, bercés par les ondes, à l’aube de ce jour de printemps ». Jésus m’a embrassée, cependant que Pierre et André accompagnaient toujours d’ahans saccadés le glissement des rames sur les vagues du lac. Il m’a prise par la main pour m’aider à grimper, et m’a conduite sur une esplanade. « Ici, tu es dans le désert ! » Le sol était aride, pierreux, de rares herbes pointaient dans les fentes des rochers. Capharnaüm, au loin, se reflétait dans le lac. Une impression étrange m’envahissait, j’avais l’impression d’un dédoublement de mon être : perchée sur ces rochers, j’étais transportée là-bas, à Capharnaüm, à Magdala. Je regardais, là, devant moi, et je revivais mes souvenirs, mes passions, mes angoisses. Alors, je me suis surprise à m’aimer... de loin ! « Lorsque Jésus est loin de moi, m’aime-t-il comme je le fais de moi-même en cet instant ? » Un sentiment de nostalgie s’emparait de moi, et je m’abandonnais à une langueur douce et douloureuse, entre sommeil et mort. Me rapprochant de Jésus, je lui ai murmuré : Jésus a pris ma tête dans ses mains : « Oui, je t’aime ainsi, comme tu t’aimes ! »
Entre-temps, les autres disciples étaient arrivés l’un après l’autre. Harassés, ils étaient heureux de se retrouver, rayonnants de l’expérience qu’ils venaient de vivre. Avec des rires joyeux, ils s’embrassaient, se donnant des tapes vigoureuses sur les épaules. Quant à moi, je n’arrivais pas à détourner mes regards de la lointaine Capharnaüm. J’ai fait remarquer à Jean : À son invitation, nous nous sommes rassemblés autour de Jésus : « Frères, vous avez donné libre cours à votre joie, racontez-moi maintenant vos expériences. » Je ne rapporterai que l’essentiel de ces récits. Ils étaient reconnaissants de la confiance que Jésus leur avait témoignée, mais s’étaient trouvés comme des enfants sevrés du sein maternel. Ils avaient été bien accueillis dans la plupart des villages. On appréciait particulièrement qu’ils soient pauvres, prêts à partager leur travail comme leur nourriture. Ils étaient timides, mais le fait de parler en paraboles leur facilitait l’annonce du message. Ils parvenaient à exprimer les mystères de Dieu en s’appuyant sur l’expérience de chacun. À leur grand étonnement, ils avaient constaté que tous, Juifs et étrangers, attendaient la venue de Dieu : Jésus avait bien raison de déclarer les pauvres et les malheureux héritiers du Royaume. « Chez vous, ai-je demandé, les esprits mauvais sont-ils des animaux ? Le conte de Céphas a fait aussi pouffer tous les disciples, mais Jésus est resté triste et pensif. Ce récit ne m’a pas paru risible, à moi non plus : j’y ai vu l’avertissement que nous étions encore trop inexpérimentés pour mener à bien la tâche du Royaume.
Après Pierre, Jean demanda la parole : « Maître, je vais raconter un fait qui me trouble profondément et sur lequel je ne cesse de m’interroger. J’étais certainement aussi dans un hameau de non-Juifs. On m’y avait bien accueilli et, vu mon âge, on avait permis aux jeunes filles de s’entretenir avec moi. Ô mort, tu as ôté cette gentille" Chanteuse, lui ai-je dit quand elle s’est tue, es-tu sûre qu’elle est morte ? Elle est si belle et fraîche que je n’arrive pas à le croire... je veux dire éternellement dans la mort, et non appelée à revivre sous une autre forme... " Qui es-tu, jeune homme ? Es-tu un sectateur de Zarathoustra, pour croire à la résurrection des morts ? Nous savons que personne ne peut sortir des enfers, une fois qu’il y est entré... Orphée lui-même, de sa divine voix, n’est pas parvenu à en extraire Eurydice ! " Je ne pensais pas à une résurrection ; seulement que cette jeune fille n’est pas morte, mais qu’elle dort. " Attends que les derniers échos de ma lamentation soient éteints, et je répandrai un parfum de rose pour transformer cette chambre mortuaire en chambre nuptiale. Va, jeune homme, réveille la petite qui dort du sommeil de la mort ! « Me souvenant d’Élie et de toi, Maître, quand tu rappelas à la vie la fille de Jaïrus, je me suis étendu sur le corps, bouche sur bouche, pour insuffler mon haleine. J’éprouvais des sensations excitantes, un plaisir intense, à penser que ma respiration ne se perdait pas inutilement dans l’air mais devenait un esprit dans un corps sans vie. Cette sensation éveillait mon imagination jusqu’au souvenir oublié de la création. J’embrassais la femme au-delà de la femme, la femme incarnée mais libérée de la passion, de l’instinct et de l’attrait sensuel ; la femme qui n’attire plus l’homme vers la terre, mais vers le ciel, devenue elle-même la personnification du miracle de beauté et de douceur que son corps dévoile, le baiser à une femme devenue ange. « Cette sensation fut de courte durée. L’haleine que je soufflais revenait à ma bouche, mais était-ce la même ? C’était bien la mienne, mais renvoyée par une autre... par la mort qui se tenait au dedans de la jeune fille. Je me suis rappelé qu’après la mort l’âme reste trois jours durant comme un fantôme, errant dans le corps ou autour de lui, avant d’entrer au Schéol ; pendant ce temps la mort, comme une chienne, est prête à se lancer sur quiconque tenterait de lui ravir sa proie. « Avec courage et force, je luttais contre la mort. J’insufflais encore mon haleine, qui m’était à nouveau renvoyée. Je donnais la vie, je recevais la mort. J’ignore si la jeune fille éprouvait quelque chose, mais je sais que le souffle qui me revenait était insupportable. Il était si glacé, nauséabond et sulfureux que j’étouffais. La mort devait venir du chaos originel, de l’absence de lumière, d’ordre, de mouvement, d’amour ; le néant contre l’être ; je voyais Dieu planer en Esprit à la surface du chaos. Je résistais toujours, je soufflais, soufflais... « Les voisins et les proches venus veiller la morte suivaient la lutte. Deux hommes prirent même un pari : " C’est le garçon qui va gagner : il a du souffle et il aime cette fille plus que sa vie. " Non, il sera vaincu. Il l’aime, mais même morte, la femme est plus forte que l’homme... Elle va l’entraîner aux enfers pour la danse nuptiale qu’il souhaite tant ! « Le souffle court, je sentais le froid me gagner et le sang se retirer de mes veines. La pleureuse s’était levée et j’entendis sa voix, profonde et gutturale : Arrête donc ton défi de victoire :« Mon haleine ne ressortait plus : certaine de conserver son butin, la mort m’avait abandonné. Je me suis détaché du corps et mes yeux se sont dessillés. Je me sentais aussi fragile et tremblant qu’un poussin au sortir de l’œuf, tout baignait dans une atmosphère d’étrangeté, je sortais d’un rêve. La fille gisait, bien morte, sur sa couche. " Jeune homme, m’a dit la pleureuse en cherchant mon regard perdu, tu connais maintenant le sommeil de la mort. Tu as fait preuve de courage, tu as cru l’amour plus fort que la mort, mais elle t’a convaincu que rien ne lui résiste, sauf l’amour voué à la mort. Sache que tu ne pourras vivre heureux que si tu restes vierge, car tu as reçu le baiser d’une morte : elle a laissé sur tes lèvres une macule qui tuera la femme qui y portera les siennes. Ces paroles semèrent la confusion parmi les disciples : tous tentaient d’apercevoir la trace du baiser de la mort. Chacun y allait de son diagnostic, voyant une éraflure, une tache, une enflure... Les regards se portèrent enfin sur Salomé, qui était restée à l’écart, silencieuse, comme si le récit de Jean ne la concernait pas. Elle s’approcha de lui et l’embrassa longuement, passionnément, sur la bouche : « Tu vois, cela ne me fait pas mourir de toucher ta bouche blessée par le baiser de la mort : l’amour est plus fort que la mort. Pourquoi as-tu préféré une morte à une vivante ? Il n’y a pas de place dans le royaume de l’amour pour des vierges qui recherchent le baiser de la mort ! » Dans un silence lourd Salomé, altière et glaciale, regagna sa place. Dans ce lieu aucune branche n’était agitée par le vent, aucun oiseau ne faisait entendre son chant. Dalmanutha était vraiment ce désert où rien ne pouvait naître, que l’amour ou la haine. Jésus, qui s’était tu jusqu’alors, rompit le silence : « Laissez les morts ensevelir les morts ! Aimez-vous, si vous souhaitez échapper aux affres de la mort. » Personne n’a réagi, je n’ai même pas entendu l’écho de ces paroles : une voix crie dans le désert ! |
t320936 : 12/06/2020