ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 14 - Gethsémani :

La trahison



Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani
- La trahison
- Le baiser de Jésus à Judas
- Le jugement d’amour

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


AUBE

Depuis longtemps tu chantes,
merle,
au-dessus du cyprès
ici tout près,
mais la jolie aurore
ne pointe pas encore,
ni l’horizon ne perle.
Je crois que tu la hantes
par le triste présage
de ton langage.
Arrête ton pipeau
car tu peux nous nuire !
J’appellerai l’oiseau
qui peut la séduire
par sa chanson d’amour.

Ô toi qui brûles du désir du jour,
aimable rossignol,
prends ton envol
vers le haut de la tour
pour charmer de ton chant
la belle sans tache
qui se cache,
par peur de son amant,
derrière les nuages.

Jaillis, aurore convoitée des âges !
Les ombres se retirent dans les creux
et dans les fentes des hautes montagnes
en emportant nos rêves comme otages.
Répands sur terre la lueur des cieux
afin que dans nos villes et campagnes
la vie reprenne
et cette paix revienne
qui fut jadis à ton lever promise.

Réveille-toi, Maria, l’aurore brise
les sombres puissances de la nuit.
Le soleil la charme et la séduit,
elle est déjà de notre terre éprise.

Pourquoi m’éveilles-tu ? Je suis fort prise
par la foi de revoir l’époux qui fuit
loin sur la mer, après m’avoir conquise.
En rêve son image encor reluit.

Aube, éloigne de moi ta lumière
car je veux en dormant me réjouir
de ce qu’éveillée je désespère.

Laisse-moi dans le rêve et dans les
[pleurs !           
Si le sommeil doit s’évanouir,
sache que je languis et que je meurs.





La trahison



J’ai été réveillée aux premières lueurs de l’aube par la voix de Salomé qui chantait, penchée sur ma cou­che :

Voici surgir à l’horizon l’aurore
aux yeux brillants et rouges de courroux :
s’enfuit la nuit parmi les morts.
Maria, lève-toi, son aide implore
si tu veux rejoindre ton époux
et le mener au-delà de nos ports.
- Merci de m’avoir réveillée et de m’avoir consolée par ton chant, ai-je dit en ouvrant les yeux, mais le rêve de cette nuit continue de m’angoisser.
- Tu étais si soucieuse et si triste, hier soir, qu’il aurait été surprenant que tu n’aies pas de cauche­mars ! Heureusement, l’aube t’arrache à cette som­bre nuit.
- Tu es confiante, mais mon rêve s’est produit peu avant l’aube, et on dit que les rêves de la dernière heure sont prémonitoires... J’ai peur maintenant qu’il se réalise.
- Qu’as-tu rêvé ?
- Je me trouvais avec Jésus au bord de la grande mer, attendant le bateau qui devait nous emmener. J’ai entendu une voix crier : « Il n’y a plus de ba­teaux pour l’étranger ». Alors Jésus, saisi par l’Esprit, m’a dit « Reste ici, Maria, tu ne pourrais pas me sui­vre » et il s’est jeté à l’eau, nageant vers les nations. Il était déjà loin du rivage, lorsqu’un gros poisson a surgi de la mer et l’a englouti. Terrorisée, je regardais alentour pour voir à qui demander du secours. À l’ombre d’un sycomore, un vieil homme que j’ai pris pour un pêcheur se reposait. Je lui ai crié :
" Père, peux-tu appeler des hommes, pour qu’ils jettent à la mer de gros filets ? Un poisson a englouti mon époux et pro­phète !
" Il n’y a pas de filets assez grands et so­li­des pour de tels poissons, mais ne pleure pas, car ce fait est un prodige. Quand j’é­tais jeune, le Seigneur m’a or­donné de me rendre chez les nations ; comme je m’y op­posais, Il a fait souffler un grand vent qui m’a projeté dans la mer. Je fus avalé par un poisson, qui me cracha sur le riva­ge d’une ville des nations. Expé­rience ter­ri­ble, car son ventre est comme un Sché­ol, privé de lumière, d’air, d’espa­ce et de temps, semblable au chaos origi­nel. Ce qui est arrivé à ton époux le pro­phète n’est pas sans lien avec mon his­toire : ce poisson rejettera ton époux là où Dieu veut qu’il aille.
" Qui es-tu, père ?
" J’ignore si tu as jamais entendu mon nom, car je suis vieux, très vieux... Je suis Jonas !
« Puis il a disparu, sous la forme d’une colombe ; alors je me suis réveillée. Non, Salomé, ce n’était pas un rêve comme d’autres : au jeu des images s’asso­ciait une vision, celle de Jonas. Le prophète m’est ap­paru pour me révéler le signe que Dieu donnera à Jésus pour accomplir sa mission.
- Quel signe ?
- Le poisson ! D’ailleurs, Jésus nous avait dit qu’il agirait désormais sous le signe de Jonas.
- Ton rêve me fait comprendre qu’en chantant, j’ai eu aussi une inspiration prophétique : je crois que, si Jésus a été cette nuit dans le ventre du poisson de la mort, il en est sorti à l’aube. Mais que faisons-nous, Maria ? Nous bavardons et ne préparons pas ce qui est nécessaire au voyage. Le soleil est en train de pointer et Jean doit déjà être en route. Vite, Maria, ha­bille-toi, Jésus va t’attendre.

   Je me suis lavée en hâte et ai préparé mon sac, pendant que Salomé remplissait le panier de fruits secs et de gâteaux : « Il faudrait que tu prennes aussi un peu d’eau, car Jésus aura soif, après toute une nuit dehors ». Finalement j’étais prête, et me suis pos­tée sur le seuil de la porte pour attendre Jean, la mère et Salomé à mes côtés, comme si elles devaient partir.
- C’est étrange, ai-je dit, nous nous sommes pressées pour ne pas être en retard, et personne ne vient me chercher... comme dans mon rêve.
- Ne pense plus à ton rêve : le soleil est déjà haut, il a dû mettre en fuite le poisson... Maria, Maria, viens, regarde, je vois quelqu’un venir... Je crois que c’est Jean... Oui, c’est lui !
- Mais pourquoi chancelle-t-il et agite-t-il les bras ? Il nous a vues... Il court...

   Il est arrivé, essoufflé, et s’est arrêté devant nous, les mains levées. Puis, fermant les yeux comme un aveugle, il s’est écrié : « On a pris Jésus, Judas l’a trahi ! » À ces mots, je me suis évanouie.


Quand j’ai repris conscience, la mère tenait ma tête dans ses bras, tandis que Jean et Salomé se pen­chaient sur moi, les yeux hagards. Je ne pouvais pas bouger ; j’étais trempée de sueur, mais j’avais froid ; mes lèvres étaient desséchées par la soif. J’ai entendu Salomé : « Mère, regarde, elle devient de plus en plus pâle et elle a refermé les yeux ». Puis, me se­cou­ant en pleurant : « Elle va mourir, elle va mou­rir... Si elle n’est pas déjà morte ! »

   Je me suis remise à transpirer, avec l’impression que des gouttes de sang suintaient de ma peau. La douleur m’a fait ouvrir les yeux, et j’ai crié :
- J’ai soif !
- Elle vit, elle vit ! S’est exclamé Salomé en courant chercher de l’eau.


Après m’être désaltérée, j’ai retrouvé mon calme. Assise sur la litière, j’ai fait venir Jean, qui s’était re­ti­ré :
- Raconte-nous ce qui s’est passé.
- Tu me demandes de revivre un drame trop présent à mon esprit, ou plutôt à ma chair ! Plus tard, Maria, quand tu seras rétablie et que tu auras la force de m’écouter.
- Non, Jean, maintenant, je t’en supplie, car si tu ne dis rien, je me ferai des idées, ce qui ne sera pas moins angoissant. De toute façon, j’ai tellement souf­fert pendant mon évanouissement que j’ai l’impres­sion d’avoir subi le martyre de l’événement sans y avoir assisté.
- Soit ! Lorsque nous sommes parvenus au bois c’est Jésus qui nous a redonné courage. À l’aide d’une tor­che il a reconnu les lieux, repérant les endroits où il pourrait se cacher et les trouées permettant de fuir. Il nous a répartis en deux groupes, le premier tout près du chemin et le second, avec Céphas, Jacques et moi, un peu plus loin sur la hauteur. Il s’est réservé un coin touffu, d’où des sentiers partaient dans diver­ses directions. Avant de se retirer, il nous a demandé de veiller et de rester attentifs à tout bruit suspect.
« Une fois postés, nous nous sommes vite endormis, car nous étions recrus de fatigue et de détresse ; Pier­re ronflait, couché sur son épée, mais en moi la peur et la curiosité ont prévalu sur la fatigue. J’ai quitté ma place sans bruit, pour épier Jésus dans sa cachette. J’ai entendu qu’il disait : " Père, éloigne de moi cette nouvelle coupe. Tu m’as toujours donné du fiel, je ne Te demande pas maintenant du miel, mais de re­ti­rer cette coupe. Comment pourrai-je manifester le signe de Jonas si je suis prisonnier des Juifs, sans pou­voir aller, comme lui, vers les nations ? Es-Tu le roi des peuples, ou seulement celui des Juifs ? Com­ment pourrais-Tu me livrer aux mains de mes enne­mis sans renoncer à ton message ? Comment puis-je annoncer ton amour, si Tu m’abandonnes au mépris, à la haine et à la trahison ?
« Il s’est mis à trembler et à sangloter. La sueur ruis­selait de sa peau comme gouttes de sang... Puis je me suis retiré et l’ai vu venir vers nous. Nous cro­yant tous endormis, il a dit à voix basse : " Vous avez montré du courage, mais votre chair est si faible qu’elle ne peut pas supporter le déchirement de l’es­prit. "
« Après une heure environ, il est revenu nous appe­ler : " Réveillez-vous, l’heure est venue. "
« En effet, on entendait un bruit de pas et de bran­ches brisées : des gens approchaient, brandissant des torches. J’ai reconnu Judas qui les précédait et se di­ri­geait vers Céphas qui, pris de peur, avait dégainé son épée. " Rentre ton épée, Céphas, lui a dit Judas en l’embrassant, aujourd’hui pourrait s’accomplir la parole ’ qui frappe par l’épée, périra par l’épée ’. "
« Nous ne soupçonnions rien, car nous attendions Judas, à qui Jésus avait confié la mission d’amener les pèlerins qui devaient le faire passer à l’étranger. Judas s’est approché de Jésus et l’a aussi embrassé. Je n’ai pas compris ce qu’il lui a dit, mais j’ai en­ten­du Jésus répondre : " Judas, est-ce par un baiser que tu trahis ton Maître ? "
« Alors j’ai compris ! Judas s’est éloigné, la main à la bouche, tandis que des gens ligotaient Pierre, qu’il avait embrassé le premier, et qui protestait : " Je ne suis pas Jésus ! Je ne suis pas Jésus ! "
« Jésus s’est alors approché de ces hommes :
" Pourquoi l’arrêtez-vous ? Qui cherchez-vous ?
Jésus de Nazareth !
" Alors, déliez cet homme, ce n’est pas lui.
« Puis, ayant pris une torche des mains d’un des sbi­res, il a éclairé son visage : " C’est moi, Jésus de Na­za­reth, ne vous trompez pas ! "
« J’ai aussi regardé son visage : à la lueur de la tor­che, tous étaient fantomatiques, alors qu’il res­plen­dis­sait de calme et de maîtrise. Son manteau ayant glissé, sa tunique blanche brillait malgré la faible lu­miè­re. Comme les soudards demeuraient interdits, Jésus leur a dit : " N’ayez pas peur, je ne m’échap­perai pas ; j’aurais pu le faire si je l’avais voulu. Sor­tons du bois, je vous précèderai pour éclairer le sen­tier jusqu’à la route : la nuit est si épaisse qu’il est dif­ficile de retrouver son chemin. "
« À l’orée du bois, ils l’ont lié et traîné comme un malfaiteur. Quant à nous, veilleurs endormis, nous avons pris la fuite.


Nous sommes restés silencieux quelques instants, puis Jean a repris :
- En vous racontant ces faits, je ne suis pas dans le même état d’esprit qu’au moment où j’en étais le témoin. Je me surprends à ne plus pleurer, ni même être angoissé : je vois maintenant cet événement com­me une libération par l’amour, et non plus une trahison de l’amour.
- En effet, a dit Salomé, Jésus aurait pu s’échapper plus facilement que les autres fois, mais il ne l’a pas voulu ; il aurait même pu éviter de se laisser embras­ser par Judas, mais il a délibérément reçu son baiser.
Il ne s’en est pas contenté, a repris Jean, il l’a lui-même embrassé, comme il l’a fait avec nous avant son départ. Il y a là un tournant fondamental dans son message.
- J’en suis convaincue, ai-je dit. Auparavant, il cher­chait à se sauver, parce qu’il devait annoncer la paro­le d’amour ; il ne veut plus fuir, maintenant, car il doit accomplir l’événement même de l’amour. Il n’est plus le prophète qui prêche la parabole de la semen­ce, il s’offre parce qu’il est lui-même cette grai­ne.



GETHSÉMANI

Mon regard se perd, Aurore,
en cherchant la lueur de tes pas
dans les creux mouvants des branches,
devenus des fantômes.
As-tu ralenti ta course
pour que je tombe dans les pièges
que m’ont tendus mes ennemis ?
Les Juifs cherchent à me saisir,
des sectaires veulent me faire cible
de leurs intrigues.
Protège-moi, ô nuit,
Cache-moi sous le feutre noir de ton man-
[teau.

Seigneur, mon Dieu,
Toi qui fis s’arrêter le soleil
sur la montagne de Gabaon
à la prière de Josué,
ordonne-lui de se hâter
pour mettre en fuite
les esprits de la nuit.
Viens dans sa clarté,
comme un héros qui s’achemine
après la victoire
pour rejoindre son épouse.
La fille des nations est parée
pour ses noces,
après que Ruchama T’ait abandonné
pour suivre la prostitution de sa mère.

Pourquoi, Seigneur, T’implorer,
alors que Tu demeures dans la nuit
pour m’annoncer que Tu m’abandonnes ?
Oh ! je le sais,
je serai livré aux mains
de ceux qui me persécutent :
ils me jugeront,
ils me condamneront,
ils me jetteront dans la fosse
afin que je meure.
Heureux le grain de blé qui en mourant
peut au moins se réjouir
de la vie qui germe en lui,
peut rêver dans la nuit du sillon,
voir les moissons verdir puis blondir.

Mon corps s’enlise dans la boue,
mon âme s’attriste dans le noir
qui envoûte mes yeux.
La sueur coule de ma peau
en gouttes de sang.
S’assèche ma chair,
dans son retour à la glaise
dont elle avait été tirée au commence-
[ment.      
Mon esprit aussi s’évanouit
comme le dernier rayon de lumière
au coucher du soleil.
Seigneur, es-Tu du moins dans cette nuit
comme Tu y étais
avant que la lumière fût ?

Tu apparais enfin, Aurore,
les yeux déjà éblouis de lumière
derrière le voile taché de rouge.
Tu portes dans ta main la coupe de liba-



Roman achevé en 2002




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t321453 : 14/10/2020