près le départ de Jean, Salomé et Jeanne, je voulais me reposer, mais n’ai pu m’endormir. « Si j’allais au procès ? » La mère me dissuada : je ne le supporterais pas et m’évanouirais de nouveau. Je me suis laissée convaincre, allégeant ainsi sa peine et sans doute aussi la mienne. Je serai donc absente du procès... comme lui aussi, qui refusera de discuter avec des juges qui le condamneront au nom d’un code contraire au principe d’amour de son existence. « Oui, nous garderons le silence parce que les questions, les accusations et même la défense ne nous concernent pas. »
On a frappé à la porte, c’était Simon.
- Maria, a-t-il dit en m’embrassant, quelle joie j’éprouverais, si je te revoyais en d’autres circonstances ! J’ai fait tout mon possible pour que vous partiez, mais j’ai échoué. Je dirais que la traîtrise l’emporte sur l’amour, si elle ne manifestait que l’amour est le plus fort.
- Que veux-tu dire ?
- Si Jésus avait été complice de Judas, il lui aurait, sans aucun doute, craché au visage, ou l’aurait blessé, trouvant ainsi le moyen de s’enfuir. Or il l’a embrassé : la trahison n’a pas fléchi son amour !
- Jésus est souvent parvenu à s’enfuir, mais cette fois, pour accomplir sa mission, il a aimé Judas en l’embrassant comme un frère.
- Mais au moment où Judas a reçu ce baiser, les suites de sa traîtrise sont retombées sur lui : victime désignée par les conjurés, il effaçait la preuve de leur participation au complot. Si son baiser est criminel, celui de Jésus devient un événement dans l’histoire de l’esprit.
- Je crois qu’il est le signe que Jésus a demandé à Dieu – et les Juifs à lui-même – acte qui est au-delà de la justice et manifeste l’amour que Dieu a déployé en créant l’homme. Simon, je comprends aujourd’hui que je dois faire un don total de moi, par la mort au plaisir de la chair.
- Mais de quel germe de vie ce sacrifice deviendra-t-il la semence ? Seule l’expérience peut nous répondre. Te rappelles-tu l’époque où je ne te recherchais que pour le plaisir de ta jeunesse et où tu devins ma maîtresse ? J’ai renoncé à ce désir, mais mon amour a converti ce renoncement en paternité, et je t’ai retrouvée comme fille.
Oubliant un instant les épreuves de Jésus, je me suis abandonnée dans les bras de Simon, criant « Mon père ! » Et lui me répondait « Ma fille, ma fille ! » Puis, il a repris :
- Je crois que l’amour exige encore une chose de toi.
- Est-ce possible, après ce qui m’arrive ?
- Oui... Judas te prie de le recevoir !
- Judas ? Que veut-il encore, après m’avoir enlevé mon amour ? M’embrasser pour me trahir comme Jésus ?
- L’amour exige un supplément d’abnégation, quand nous croyons avoir tout donné. Ne crains rien : il est moins bouleversé par le baiser donné à Jésus pour le trahir, que par celui qu’il en a reçu par amour. Il a pris conscience que l’amour de Jésus sera sa libération ou son jugement, et il se serait rendu auprès de lui s’il l’avait pu. À toi seule est confiée la tâche de le libérer ou de le juger.
- Dieu me demande donc de mener le procès que l’amour intente à Judas, pendant que Jésus subit celui de la Loi, ennemie de l’amour... Que Judas vienne donc, si Dieu m’appelle à être son juge !
- Au revoir, Maria. Je vais au procès de Jésus, auquel il est nécessaire que j’assiste, comme il l’est que tu sois juge à celui de l’amour.