ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 14 - Gethsémani :

Le jugement d’amour



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani
- La trahison
- Le baiser de Jésus à Judas
- Le jugement d’amour

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


ien qu’ayant accepté de recevoir Judas, j’ai été prise de frissons si violents que j’ai dû me couvrir d’un manteau. Je ne pouvais oublier le regard de mépris qu’il m’avait adressé hier, convaincu que Jésus allait quitter le pays à mon instigation. Sans doute se ré­jouissait-il d’avoir gagné son pari ! Entendant frapper à la porte, j’ai laissé glisser mon voile sur mon vi­sa­ge, de peur de trahir mes sentiments. « Pourquoi vient-il ? Pour me demander de l’épouser, après avoir trahi et envoyé en prison mon époux ? Qu’il ose, le traître ! Il verra une colombe piquer à mort un serpent ! »

Une fois entré, Judas s’est tenu à distance, n’osant pas lever les yeux vers moi.
- Je ne te dis pas « bonjour », Maria, a-t-il marmon­né, car ce matin, à cause de moi, tes yeux se sont ou­verts sur la journée la plus douloureuse de ton exis­tence. Ne crains rien, je viens sans mauvaises in­ten­tions, mais je ne solliciterai pas ton pardon, non plus.
- Alors, que veux-tu ?
- Je veux être jugé ! Depuis la capture de Jésus, tout le monde me considère comme un traître et me fuit comme un pestiféré. Je suis banni de la société, par vous, mais aussi par mes alliés politiques qui devaient se joindre à l’action de Jésus. Même si je ne suis pas exécuté, je suis condamné à vivre dans le mépris et la haine, or la justice veut que personne ne soit con­dam­né avant d’avoir été jugé.
- Ce qui veut dire qu’on estime un jugement super­flu, puisque l’acte que tu as commis porte en lui-même le jugement qui te condamne.
- Si cela était, Jésus aussi aurait dû être condamné sans jugement, car ses transgressions de l’autorité de la Loi, sa trahison de la vocation prophétique l’appe­lant à rétablir le judaïsme et non à le condamner, sont autant de crimes qui rendent inutile le juge­ment ! Cependant, les responsables de la nation lui ont fait un procès, lui laissant le droit de se défendre et d’avoir pour juge un homme qui a prêté serment de fidélité à la justice.
- Si tu souhaites être jugé, pourquoi viens-tu me voir ? Va au Sanhédrin, exige des témoins à charge et à décharge, et qu’on te juge ! Que dis-je, vas immé­diatement au procès de Jésus et fais le suspendre, afin qu’on décide d’abord si tu es ou non un traître.
- Pourquoi me livrerais-je aux juges ? Toi seule, la personne la plus concernée, peut porter plainte contre moi.

   N’ayant pas mesuré l’absurdité de mon exhorta­tion, je suis restée muette de perplexité. Judas en a profité pour reprendre immédiatement la parole :
- Tu es trop avertie pour ne pas savoir que, selon la Loi, je ne peux pas être jugé ni même accusé. L’ac­tion qui, pour vous, est une traîtrise, n’est pas un cri­me aux yeux des membres du Sanhédrin, qui l’ont voulue et cautionnée par la Loi. De quoi m’accuse­rais-je alors que, en le dénonçant, je n’ai fait que me conformer à l’autorité légitime de la Loi ? Comment pourrait-on porter plainte contre moi, sans être ac­cu­sé de crime envers la Loi et la sûreté de l’État ?
- Oui, les responsables de la nation sont plus coupa­bles que toi !
- Tu me donnes donc raison : je suis condamné sans avoir la possibilité d’être jugé. Jésus est mieux traité, lui qui peut se défendre et trouver des témoins à dé­charge.
- Ton crime est si grave qu’il dépasse la compétence de la justice humaine. Il tombe sous le coup du juge­ment de Dieu, qui se passe d’accusation et de défen­se, et qui te condamne parce que tes instigateurs et toi avez rendu impraticable la justice sur la terre.
- Pour cela, Dieu devrait me convaincre de ma cul­pabilité, que je témoigne devant Lui contre moi. Or je me considère innocent. Si je ne veux pas accuser Dieu d’injustice, je dois faire appel à une instance autre que celle du droit.
- Celle de l’amour ?
- Précisément, et c’est pourquoi je m’adresse à toi.
- Pourquoi moi ? Il serait préférable que tu t’adresses à la communauté des frères, que ta trahison a atteinte autant que moi, puisqu’ils sont héritiers du message de Jésus.
- Tes frères ? Penses-tu qu’ils pourraient se montrer justes à mon égard ? Comment pourraient-ils m’ac­cu­ser de trahison sans s’accuser eux-mêmes, ou m’ab­soudre sans se justifier ? Si, à leurs yeux, j’ai tra­hi le Maître, eux ne l’ont pas défendu et l’ont même renié. L’acte de celui qui l’a dénoncé est-il plus grave que la lâcheté de ceux qui l’ont aban­don­né ? Toi seule lui as voué un amour inébranlable et peux prétendre en être le témoin.


Je me suis dévoilée et l’ai fixé dans les yeux :
- Pourquoi as-tu trahi mon Maître ?
- Je ne l’ai pas trahi, je l’ai dénoncé aux autorités légi­times car il a renoncé à sa mission de prophète d’Israël. Malgré nos conflits, je lui suis toujours resté fidèle, l’accompagnant dans toutes ses démarches. Je n’ai rompu qu’hier, quand il a annoncé que Dieu avait rejeté Israël et qu’il devenait le prophète des gentils contre lui. Alors, j’ai compris les erreurs qu’il pro­pa­geait, et que les responsables du judaïsme avaient dénoncées à juste titre ; selon Moïse et les prophètes, il était passible de mort, l’accuser était pour moi un devoir. Peut-être ne l’aurais-je pas fait, si le contrat qui me liait à nos associés dans l’occu­pa­tion du tem­ple, ne m’y avait contraint. Jésus lui-mê­me s’y atten­dait : quand une relation personnelle en­tre en conflit avec la raison d’État et la Loi de Dieu, le cœur doit céder à la conscience.
- Tu l’aurais dénoncé sans le trahir, c’est pourquoi tu l’as embrassé, n’est-ce pas ?
- Je lui ai offert une dernière chance de s’enfuir, mais il ne l’a pas saisie.
- Tu aurais été ravi s’il s’était enfui, tu aurais ainsi sauvé ta double face de traître et d’ami ! Le Sanhé­drin aurait célébré en toi le héros libérateur d’Israël, tandis que tu te serais présenté une seconde fois à nous comme le sauveur de Jésus. Tu lui as donné l’oc­casion de fuir les sbires comme un authentique brigand et d’abandonner ses disciples comme un faux prophète. Tu aurais alors pris sa place, toi le héros et le prophète par intrigue, fier de prêter la main, par ta ruse, à la grandeur des juges ! Tu me dégoûtes !
- Tu te laisses emporter par ta passion ; ressaisis-toi, comme je m’efforce de me maîtriser devant ton mépris. Non, je n’éprouve aucun remords d’avoir sug­géré à Jésus de s’enfuir : n’a-t-il pas toujours agi ainsi ? Il a abandonné sa maison pour trouver refuge chez Jean, puis il a quitté cette communauté pour errer dans le désert ; il en est sorti pour Capharnaüm, pour repartir aussitôt et se rendre en Galilée, d’où il s’est enfui pour la diaspora. Il est monté à Jérusalem d’où, fait prisonnier, il s’est échappé comme un brigand... Quel tort lui aurais-je fait en lui permettant de fuir une dernière fois ?
S’il s’est toujours enfui, ce n’était pas par peur ou par lâcheté, mais pour pouvoir continuer sa mission. Après ta trahison, fuir serait devenu pour lui une lâcheté ; il n’aurait dû sa vie qu’à la ruse d’un traître. Pour rester fidèle à sa mission, il ne lui restait plus qu’à accepter la mort, en prophète de l’amour.
- Amour de lui-même, en accomplissant le grand exploit qui couronne les héros, l’événement qui con­duit à la mort ! Amour de vous, peut-être, par sa fi­dé­lité envers vous ; mais sûrement pas envers moi !
- Comment peux-tu bafouer son amour, alors qu’en t’embrassant, il s’est montré affectueux comme un frère et un ami, tendre comme une mère ?
- Par ce baiser, il m’a trahi !
- Que dis-tu ? Tu reportes sur lui ta propre conduite !
- Réfléchis aux conséquences de cet acte : Je suis considéré comme traître parce que, par ce baiser, il m’a exposé au mépris et au dégoût de mes ennemis, et même de mes amis. On n’embrasse pas un hom­me comme un frère pour qu’il devienne objet de hai­ne et de rejet ! Au regard des générations futures, je serai comme Caïn, qu’il faut éviter de tuer pour que le mépris l’accompagne sans fin.
- Ce que tu dis est extravagant ! C’est ton acte qui est méprisable, et non toi. Ne pas te tuer te permet de mourir à toi-même et de germer à la vie, comme le grain de froment.
- Dans le ciel, peut-être, à supposer qu’on ressuscite du Schéol ; mais sur terre, je vivrai comme une se­mence qui pourrit hors du sillon, en homme maudit.
Judas, tu ignores le secret de l’amour, qui ouvre au pécheur la voie de la maison des frères. Souviens-toi du fils prodigue de la parabole, embrassé à son retour par le père qui avait préparé pour lui un grand festin.
- Alors, je dirai à mes frères, « Pourquoi vous éloi­gnez-vous de moi, le traître qui a condamné Jésus par un baiser ? Embrassez-moi et préparez-moi un grand repas ! » Et toi, Maria, cesse de jouer au juge ! Embrassons-nous, je te prends pour épouse ! Allons ensemble au procès montrer à Jésus que tu l’aimes tant que tu prends pour époux celui qui l’a trahi ! Viens, Maria, embrasse-moi, ôte de ma bouche ce baiser qui me marque comme une bête impure.
- Arrête tes folies et ne sors pas de ton rôle d’ac­cusé ! Le fils prodigue n’est pas retourné dans la mai­son de son père dans un tel état d’esprit : il s’est d’abord reconnu coupable. Toi, tu ne veux pas mou­rir à toi-même ; obsédé par le profit, l’efficacité et le bonheur temporel, tu ne peux pas entrer dans la com­munauté de l’amour !


J’ai alors ramené le voile sur mon visage pour me soustraire à ses regards :
- Va, Judas, tu es devant la même alternative que Jé­sus : fuir ou mourir.
- Pas question de fuir, ni de mourir comme lui : je me donnerai la mort de ma propre main, pour échap­per à celle à laquelle l’amour me condamne. Je mour­rai en exemple d’un homme libéré des liens d’un amour qui le soumet à l’humiliation, à la fai­blesse et au mépris. J’appartiens à cette génération qui a tou­jours subordonné le sentiment à la justice, la pitié à la grandeur de la nation. Je tournerai contre moi cette main qui n’a pas pu atteindre le faux pro­phète. Aide-moi, Samson, toi qui as anéanti tes enne­mis en te donnant la mort !
« Ainsi, Dieu a voulu que nos morts démontrent que nos vies étaient antinomiques : dans la mort de Jésus, sa parole d’amour invitera sans répit à mourir plutôt qu’à tuer ; moi, je convierai les forts et les audacieux de cette terre à tuer plutôt qu’à se laisser assassiner, à se supprimer au lieu de mourir à eux-mêmes.


Judas s’est retiré en titubant, la main sur la bouche comme pour apaiser la brûlure du baiser de l’amour.





PSAUME DE JUDAS

Seigneur, éloigne de moi la haine et le mé-
[pris
car je n’ai pas trahi mon maître
ni vendu mon frère pour de l’argent.
J’ai dénoncé Jésus parce qu’il a séduit le
[peuple  
pour l’éloigner de la tradition des pères ;
je ne l’ai livré que parce qu’il a trahi
la mission de réconciliation que Tu lui
[avais confiée.      
Il a prêché la ruine d’Israël
après avoir lutté pour son rétablissement :
il nous a engagés à purifier le temple,
mais pour le détruire en arrêtant le sacri-
[fice.   
Ai-je péché parce que j’ai traduit en juge-
[ment 
ce faux prophète que Tu nous ordonnes
[de lapider   
ou de passer au fil de l’épée ?

Ah ! si j’avais lancé la première pierre,
afin que mort s’ensuive,
ou si je l’avais tué de mes propres mains,
je ne souffrirais pas la honte du mépris,
le rejet de la malédiction.
Je n’ai pas osé lever la main contre lui
pour montrer que je n’agissais pas par en-
[vie, 
ni par trahison,
mais par fidélité à la Loi.
Je l’ai embrassé comme un frère
pour qu’il se rendît lui-même à la justice,
Maître qu’il était.

Mais lui, il m’a serré contre son cœur
comme un faible,
et il m’a baisé sur la bouche,
laissant sur ma chair la marque de sa traî-
[trise. 
Désormais les femmes détourneront de
[moi leur regard,     
les amis me mépriseront,
les ennemis me haïront,
alors qu’il souffrira ses peines en héros
en rejetant sur moi ses fautes.
Il mourra comme une victime de jalousie
[et de haine,  
holocauste d’amour, alors qu’il a haï son
[peuple.  
Oui, j’ai péché contre la Loi
car je n’ai pas frappé le faux prophète
de cette épée même qu’il avait permis
[d’emporter      
pour le défendre contre les mandataires de
[la justice.

Seigneur, Toi qui es miséricordieux envers
[les repentants,
fais-moi la grâce de me racheter de mon
[péché.   
Donne-moi le courage qui a poussé JJudith
à trancher la tête de l’ennemi d’Israël,
car elle aurait retourné l’épée sur elle-
[même      
si sa main avait failli.
Inspire-moi ce zèle sans pitié
qui a rendu Josué fidèle à l’interdit,
au point de tuer tous les habitants de Jéri-
[cho, 
jusqu’aux femmes enceintes.
Renforce ma main, afin que je puisse tuer
avec la violence dont Élie a égorgé
les prêtres de Baal.
Fais que je meure avec l’héroïsme de
[Samson.       

Je me pendrai au poteau.
Que la Loi punisse celui qui a été faible à
[son égard  
de la même peine dont elle accable le traî-



Roman achevé en 2002




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t321455 : 15/10/2020