Une fois entré, Judas s’est tenu à distance, n’osant pas lever les yeux vers moi. - Je ne te dis pas « bonjour », Maria, a-t-il marmonné, car ce matin, à cause de moi, tes yeux se sont ouverts sur la journée la plus douloureuse de ton existence. Ne crains rien, je viens sans mauvaises intentions, mais je ne solliciterai pas ton pardon, non plus.
- Alors, que veux-tu ? - Je veux être jugé ! Depuis la capture de Jésus, tout le monde me considère comme un traître et me fuit comme un pestiféré. Je suis banni de la société, par vous, mais aussi par mes alliés politiques qui devaient se joindre à l’action de Jésus. Même si je ne suis pas exécuté, je suis condamné à vivre dans le mépris et la haine, or la justice veut que personne ne soit condamné avant d’avoir été jugé.
- Ce qui veut dire qu’on estime un jugement superflu, puisque l’acte que tu as commis porte en lui-même le jugement qui te condamne. - Si cela était, Jésus aussi aurait dû être condamné sans jugement, car ses transgressions de l’autorité de la Loi, sa trahison de la vocation prophétique l’appelant à rétablir le judaïsme et non à le condamner, sont autant de crimes qui rendent inutile le jugement ! Cependant, les responsables de la nation lui ont fait un procès, lui laissant le droit de se défendre et d’avoir pour juge un homme qui a prêté serment de fidélité à la justice. - Si tu souhaites être jugé, pourquoi viens-tu me voir ? Va au Sanhédrin, exige des témoins à charge et à décharge, et qu’on te juge ! Que dis-je, vas immédiatement au procès de Jésus et fais le suspendre, afin qu’on décide d’abord si tu es ou non un traître.
- Pourquoi me livrerais-je aux juges ? Toi seule, la personne la plus concernée, peut porter plainte contre moi.
J’ai alors ramené le voile sur mon visage pour me soustraire à ses regards : - Va, Judas, tu es devant la même alternative que Jésus : fuir ou mourir. - Pas question de fuir, ni de mourir comme lui : je me donnerai la mort de ma propre main, pour échapper à celle à laquelle l’amour me condamne. Je mourrai en exemple d’un homme libéré des liens d’un amour qui le soumet à l’humiliation, à la faiblesse et au mépris. J’appartiens à cette génération qui a toujours subordonné le sentiment à la justice, la pitié à la grandeur de la nation. Je tournerai contre moi cette main qui n’a pas pu atteindre le faux prophète. Aide-moi, Samson, toi qui as anéanti tes ennemis en te donnant la mort ! « Ainsi, Dieu a voulu que nos morts démontrent que nos vies étaient antinomiques : dans la mort de Jésus, sa parole d’amour invitera sans répit à mourir plutôt qu’à tuer ; moi, je convierai les forts et les audacieux de cette terre à tuer plutôt qu’à se laisser assassiner, à se supprimer au lieu de mourir à eux-mêmes.
Judas s’est retiré en titubant, la main sur la bouche comme pour apaiser la brûlure du baiser de l’amour.
PSAUME DE JUDAS
Seigneur, éloigne de moi la haine et le mé-
[pris
car je n’ai pas trahi mon maître
ni vendu mon frère pour de l’argent. J’ai dénoncé Jésus parce qu’il a séduit le
jusqu’aux femmes enceintes.
Renforce ma main, afin que je puisse tuer avec la violence dont Élie a égorgé les prêtres de Baal. Fais que je meure avec l’héroïsme de
[Samson.
Je me pendrai au poteau.
Que la Loi punisse celui qui a été faible à