n ouvrant les yeux, Jésus s’est exclamé :
- Quelle heureuse surprise, Maria. Ton regard d’amoureuse m’atteint au plus profond de moi-même, pourquoi ? Ne m’as-tu pas déjà touché, lors de notre rencontre au puits d’Agar ? Que veux-tu me prouver ce matin ?
- Que je suis bien Ruchama, qui veut répondre à ton désir.
- Sois sans inquiétude, ton charme atteste à lui seul la beauté parfaite de Ruchama dont tu es la parabole.
- Ainsi, tu es allé en Galilée pour vérifier qu’Israël est fidèle à Dieu et que Ruchama est bien réelle ?
- Si tu veux. Je l’ai recherchée à Cana, à Naïm, à Nazareth, à Chorazaïm...
- Et tu l’as trouvée ?
- Non !
- Et tu es revenu convaincu de cet échec ! Mais ta pérégrination devait se terminer ici, au lieu d’où tu étais parti, et tu y as retrouvé Ruchama, Rabboni !
- En qui ?
- En moi, Jésus ! Je t’ai aimé avant de connaître l’amour de Dieu, puis j’ai pris conscience que j’aime Dieu en toi et que je suis la première des filles d’Israël à répondre à Son amour, pour devenir Son épouse. Ruchama en parabole, je le suis également en réalité.
- Je rends grâce à Dieu de m’avoir révélé par ton intuition le sens de ma pérégrination !
- Raconte-moi ton voyage.
-
Le plaisir de te parler risque d’être assombri par le souvenir de cette errance douloureuse qui m’a mené si loin de toi que j’ai cru te perdre à jamais. D’autres prophètes avant moi, comme Osée, Ézéchiel ou Isaïe, avaient recherché anxieusement la fille d’Israël telle qu’elle était apparue le jour de ses noces et nourrissaient toujours l’espérance de la rencontrer ; mais moi, j’étais désespéré, comme quelqu’un qui croit que les nids sur les arbres abritent pinsons, rouges-gorges ou grives, et qui, en s’approchant, s’aperçoit qu’ils sont vides. « Ruchama, où es-tu ? » m’écriais-je ; je gravissais le sommet des collines, entre la mer et le lac, inspectant les vignes et les oliveraies longeant le Jourdain, jusqu’aux broussailles du désert de Juda. Il serait trop long et douloureux de tout te rapporter, je te raconterai seulement l’humiliation vécue à Nazareth.
« Arrivé dans cette ville un jour de sabbat, je me suis rendu directement à la synagogue où personne ne m’a reconnu. Ayant reçu le rouleau, je l’ai ouvert par hasard au message d’Ézéchiel sur la délivrance : " Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la délivrance et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, pour publier une année de grâce ".
« Après avoir replié le rouleau, j’ai déclaré que j’étais envoyé par Dieu pour accomplir ces choses et préparer le retour du Seigneur qui s’est retiré du temple à cause de l’infidélité du peuple, la fille prostituée d’Israël son épouse. La maladie nous afflige et nous sommes esclaves des puissances étrangères, avançant en aveugles sur le chemin de notre vie parce que Dieu nous a abandonnés. Malgré l’infidélité de notre mère, Il est prêt à nous pardonner, Il demeure l’amant épris de sa bien-aimée. C’est pourquoi Il a proclamé une année de grâce, où Il nous délivrera de l’esclavage et soignera nos plaies, après que nous nous soyons repentis.
« Saisi par l’Esprit, je leur ai dit : " Venez à moi, les pauvres, pour être rassasiés ; vous, les malades, je suis chargé de vous guérir ! Comme jadis à Osée, Il m’a ordonné d’épouser une de vos filles pour témoigner des nouvelles noces avec le peuple, fondées sur une alliance d’amour ".
« Les gens demandaient : " Qui est-il ? D’où vient ce nouveau prophète ? " Ils me dévisageaient puis m’ont reconnu : " C’est Jésus, le fils de Maria ! " Aussitôt ils se sont levés, indignés : " Il accuse notre mère d’être prostituée pour effacer l’image de la pute qui l’a conçu ! Il nous accuse d’être fils de prostitution parce qu’il est lui-même bâtard, rejeton d’un adultère ! " Ils me poursuivaient de plus belle de leurs invectives : " Toi qui reviens comme prophète, prétends-tu nous guérir ? Crois-tu te réhabiliter en rejetant sur nous la honte de ta naissance illégitime ? Guéris-toi toi-même avant de soigner les autres ! "
« Vous vous indignez, ai-je répondu, mais vous devriez plutôt écouter Osée, le premier des prophètes, qui a épousé Gomer pour déclarer au peuple, par cette parabole vivante, que Dieu est l’amant d’un peuple prostitué.
- Descends de cette chaire, fils de Maria, retourne à tes planches, ta scie et ton marteau, si tu tiens encore à la vie ! Ton mariage avec une de nos filles ne te blanchit pas, car elle est souillée elle-même et ne peut plus engendrer que des bâtards. Tu rends impur tout ce que tu touches !
- Génération incrédule, sache que Dieu te rejette et m’envoie désormais annoncer sa parole chez les païens. Comme Élie fut envoyé à Sarepta chez une veuve originaire de Sidon, et comme Élisée purifia de sa lèpre Amman le Syrien, j’irai aussi chez les étrangers, à Sidon, en Syrie, chez les Grecs, et même chez les Romains, car les païens n’adorent pas le Seigneur comme leur Dieu, mais ils Le craignent !
- La foule m’a chassé en hurlant et en me lançant des pierres ; ils m’auraient précipité des remparts si les responsables de la synagogue, pris de peur, ne les en avaient empêchés.
À ce récit, je me lamentai :
- Ô, ma mère, je ne suis pas l’une de tes filles, je viens de l’étranger, moi qui aime Jésus...
- Garde tes larmes pour ce que j’ai encore à te dire ! J’ai pris le chemin du retour, errant comme un homme maudit vers l’abjection de mes origines ! J’étais parti refaire le voyage du peuple du désert vers la terre promise, et je parcourais le chemin inverse, de la terre promise au désert, comme un spectre parmi les ombres fuyantes du soir. Épuisé, je me suis arrêté à la tombée de la nuit et me suis endormi.
« J’ai vu en rêve les villes d’Israël où j’étais passé ; un grondement est monté du sol, la terre s’est mise à trembler et j’ai vu les synagogues s’effondrer, les murailles s’écrouler, les tours se fendre comme des arbres frappés par la foudre ; et un ange est descendu du ciel, criant d’une voix retentissante : " Malheur à toi, Chorazaïm ! Malheur à toi, Nazareth ! Tu seras percée comme un hibou dans le trou d’une tour. Malheur à toi, Bethsaïda ! Car si les prodiges qui ont été accomplis au milieu de vous l’avaient été à Tyr et à Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, en prenant le sac et la cendre. Capharnaüm, tu seras abaissée jusqu’au séjour des morts ! "
« À mon réveil, j’ai repris la route sous la crainte du jugement de Dieu ; j’étais revenu à ma condition de bâtard, d’apatride et de fugitif ; je pensais que j’allais te retrouver à l’entrée de la ville maudite par l’ange pour t’annoncer que je n’étais plus Ammi, ni toi Ruchama, ôter de ta tête la couronne d’épouse et mettre fin à notre jeu. Mais lorsque j’ai franchi la porte de la maison, le courage m’a abandonné et j’ai préféré dormir...
- Et un nouveau rêve a ouvert tes yeux à une aube nouvelle, tu as rencontré Ruchama, pas celle qui en porte le masque, mais Maria, l’aimée que Dieu t’a donnée.
Jeanne et Salomé, nous ayant entendus de la chambre voisine, ont fait irruption dans la pièce, toutes joyeuses, et nous nous sommes mises à danser sur l’air de la berceuse chantée par Salomé :
Nouveau-né de l’amour
Donné par l’Éternel,
Tu marques le retour
À l’homme originel :
On voit briller l’image
De Dieu sur ton visage.
CHANT NOUVEAU
(Sur un thème de Virgile)
Prophètes de Juda, poètes d’Israël,
Chantez des exploits plus grands que la
[naissance
D’un fabuleux enfant pour votre délivran-