ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 16 - Golgotha :

La crucifixion



La logique ou l’art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664 





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha
- Les noces par la mort
- Les deux processions
- La crucifixion
- La mort

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


e savais le Golgotha un lieu sinistre, mais la réalité dépassait mon imagination : une esplanade légère­ment surélevée au centre, évoquant un crâne, comme son nom l’indique ; rien alentour, aucune végétation ; un terrain rocailleux parsemé de trous, où des po­teaux s’élevaient du sol, sans aucun ordre, offrant le spectacle d’une colline dévastée par la tempête où ne resteraient plus que des troncs et des pierrailles.
   Je m’adressai à Jean : « Quelle horreur ! Ce lieu est l’image de la terre d’Israël après le jugement de Dieu. Te rappelles-tu l’oracle d’Osée ? Le Seigneur avait promis une nouvelle alliance d’amour, où le ciel exaucerait la terre, la terre le blé, le moût et l’huile. Mais puisque Israël a été rebelle à son amour, Dieu a dévasté les moissons, déraciné les vignes, saccagé les oliviers, ne laissant que troncs dénudés : une terre ra­va­gée devenue désert, une tête rasée comme celle de la prostituée qui sera brûlée ! J’en suis toute re­tour­née : la parabole ne fait-elle pas de moi Rucha­ma, la femme prostituée condamnée par la justice de Dieu à sa condition de Lo-Ruchama ? »


S’étant arrêtés près de l’un des poteaux, les soldats aidèrent Jésus à se décharger de la poutre. Après l’a­voir déshabillé, ils le firent étendre sur le dos, puis ils fixèrent ses mains aux deux extrémités de la pou­tre. Alors, tirant une chaîne engagée dans une poulie pla­cée au sommet d’une échelle, ils soulevèrent la pou­tre supportant Jésus et l’engagèrent dans l’enco­che du poteau vertical.

   Après avoir vérifié que tout était bien en place et avalé quelques gorgées de vin, ils s’assirent par terre pour jouer à la camorra : « Un, trois ! Cinq, trois ! Quatre, deux ! » Leurs mains glissaient des épaules, présentant autant de doigts qu’ils en énonçaient. Ces paris n’étaient pas un jeu, car ils avaient pour enjeu la tunique de Jésus. S’étant partagé les vêtements, ils ne voulaient pas découper la tunique, préférant la tirer au sort. « Six ! » cria l’un d’eux d’un air tri­om­phal ; « Quatre » répondit l’autre, résigné. « Merci, dit le gagnant à l’adresse de Jésus. Je l’offrirai à ma fem­me, pour qu’elle s’y taille une robe. »

   Je rapporte ce que j’ai vu, comme si ces faits m’é­taient étrangers : le jeu des soldats m’effraya bien plus que les premiers instants de l’agonie de Jésus ! Je me suis alors adressée à lui : " Pourquoi me suis-je attardée à la manière dont tu as été crucifié, plutôt qu’à la souffrance que tu endures ? Me suis-je laissée absorber par mon rôle de pleureuse, comme tu le fus toi-même par celui de roi ? À présent, tu assumes vrai­ment la mort du roi ! Je t’en supplie, cesse de fi­gurer la parabole sacrée, descends de la croix et viens à moi ! Que m’importe que tu sois roi, si tu meurs ? "

   Jésus ne m’entendait pas et, probablement, ne me voyait pas non plus. Ses yeux étaient exorbités ; son corps inerte s’affaissait ; sa respiration devenait péni­ble et haletante. Il ruisselait de sueur et des gouttes de sang suintaient de ses blessures.


- Mère, Salomé, Jeanne, pourquoi restons-nous là à regarder ? Son sang coule, et personne pour l’épon­ger ! S’il peut encore parler, qui l’entendra ? Sur qui posera-t-il un dernier regard, avant que ses yeux ne s’obscurcissent définitivement ? Allons près de la croix, nous qui sommes les gardiennes de son amour !
   Pressées les unes contre les autres, nous nous ap­pro­chions de la croix quand les deux soldats se sont levés pour nous barrer la route de leur haste et nous repousser : " Retro ! Retro ! Interdit ! " Je ne me suis pas laissée intimider. Ôtant mon voile et leur mon­trant ma bague, je leur ai dit : " Je suis l’épouse du con­damné ; voici sa mère et ses sœurs, et voici son frère ! Nous voulons lui apporter un dernier ré­con­fort ". Bien qu’ignorant ma langue, ils ont com­pris ce que nous voulions : pendant qu’un des soldats nous interdisait toujours d’avancer, l’autre a été chercher le centurion. Celui-ci s’est approché de nous et, nous saluant de sa main levée, m’a demandé avec un sourire ironique : " Es-tu donc la reine des Juifs ? " Il s’exprimait en araméen, avec une intona­tion très dou­ce.
- Centurion, je suis épouse et non reine ! Je me nom­me Lo-Ruchama, car je suis la fille d’Israël à laquelle la grâce a été refusée.
- Alors, vous venez en suppliantes, demander aux dieux la pitié que les hommes vous ont refusée ?
- Oui, nous supplions Dieu d’avoir pitié de nous, car le peuple nous a rejetées.

   Ému, le centurion m’a regardée. Puis, comme s’il se remémorait un oracle de l’un de ses prophètes, il m’a dit : « L’amour triomphe de toutes choses... » Nous aussi, inclinons-nous devant l’amour. Passez, vous pouvez aller en suppliantes, car le corps du con­dam­né appartient désormais aux dieux.
- Merci ! Ai-je répondu avec reconnaissance. J’ai lais­sé retomber mon voile puis, en courant, nous avons traversé le court espace qui nous séparait de la croix. Les paroles du centurion résonnaient encore en moi : " L’amour triomphe de toutes choses ". Qu’est de­ve­nu ce chantre, qui a parlé de l’amour comme David dans le Cantique des Cantiques ?




Roman achevé en 2002




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t321663 : 23/10/2020