ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisChronique de Marie-MadeleineRoman |
L’ombre de ma mère |
Présentation Texte intégral : La rencontre d’amour - Au puits d’Agar - Martha, ma soeur - L’ombre de ma mère - L’onction de l’époux - Au jardin - Ammi et Ruchama - Pierre et Jean - Nuit Les disciples du Royaume Le banquet des noces Itinéraire d’un bâtard Le défi La fugue Sur le pont du bateau Chemins d’amour Dalmanutha Transfiguration et insurrection La Dédicace Correspondances Béthanie Gethsémani Le procès Golgotha L’enterrement Le jour de la Pâque Le tombeau vide Les semeurs |
on enfance s’est passée sans que je connaisse mon père : je vivais dans la famille d’un homme riche, père d’une fille unique, Martha, plus âgée que moi. J’ai toujours appelé mon tuteur « papa », et sa femme « maman », alors que pour toute réponse, j’entendais « ma petite ». Mon tuteur employait aussi des expressions plus touchantes, mais que je ne comprenais pas, « mon petit bouton de rose » ou « ma petite rose de Magdala ». À la maison, j’étais comblée : jouets, cadeaux, habits de tissu très fin, et je recevais l’éducation d’une fille de haut rang. Cependant, je ne me sentais aimée que de Martha, qui était pour moi plus qu’une sœur.
J’étais parvenue à l’adolescence quand mon tuteur m’a, un jour, tenu ce discours : Ce discours m’avait inquiétée ! Je m’épanouissais mais je cherchais à le cacher. Je me disais « ne te presse pas de t’ouvrir, " mon petit bouton " (imitant alors la voix de mon tuteur) ; garde ta beauté secrète et ne te laisse pas cueillir trop vite pour le plaisir d’Adam ». Je me présentais toujours comme une enfant, toute de candeur et de naïveté. Souvent, j’allais dans le jardin, et je prenais un malin plaisir à arracher les roses déjà ouvertes, pour ne laisser que les boutons. Je voulais d’abord exister pour moi-même. Dans ma chambre, me déshabillant, je contemplais mon corps avec un plaisir inouï. Que j’étais belle ! Mes seins se gonflaient comme des fruits, mes jambes ressemblaient à des lys. « Pauvre ÈÈve, chuchotais-je, elle a été présentée à l’homme sitôt faite, moi j’ai plus de chance ». Je jouissais de ces moments de liberté où je pouvais m’appartenir avant de m’offrir à un autre. Il me répugnait que l’on puisse prendre ce que je n’aurais pas donné librement. À la maison, il y eut beaucoup de réceptions en mon honneur, et j’ai rencontré des gens très haut placés, jeunes et vieux. On m’offrait beaucoup de fleurs et de cadeaux : bracelets, bagues, boucles d’oreille. Mais mon cœur se défiait, pris d’une envie de jouer qui me rendait méchante. Lorsque je recevais un cadeau, je m’approchais du prétendant, le sourire aux lèvres, prête à recevoir son baiser. Dès qu’il tendait les lèvres, je lui présentais ma joue, jouant à l’oie blanche, avec un sourire innocent. Mes amants étaient accablés, attirés et rejetés, brûlés et refroidis. Mon tuteur, furieux, me dit un soir : J’étais tellement prise au jeu que je lui ai demandé, d’une petite voix innocente, « Papa, qu’est-ce qu’une prostituée ? » Le père, interdit, ne se sentit pas le courage de me gifler. Je l’ai dévisagé avec un tel mépris qu’il en est devenu tout pâle et s’est éclipsé. Des mois passèrent, la tension retombant. Le père avait retrouvé avec moi son comportement habituel ; puis sa femme tomba malade et mourut quelques semaines plus tard. Martha en ressentit une grande peine, qui approfondit notre amitié. Elle me disait : « Maria, tu es devenue si proche de moi que nous sommes comme des sœurs de sang. Cependant, j’aurais préféré que mon père fût aussi le tien. » Le temps du deuil passé, le père est redevenu serein, presque gai. Il manifestait même le désir de changer la décoration de la maison. Souvent, il m’appelait : Quelques jours plus tard, mon père tomba malade ; il dépérissait de jour en jour, perdant progressivement l’usage de la parole. Il s’achemina ainsi vers le tombeau, à l’appel de ma mère. À la fin du deuil de mon père, j’avais beaucoup changé ; j’étais devenue une jeune fille dans la splendeur d’un âge où il aurait été impossible de jouer à la gamine. Je repris goût à la vie, très liée à ma sœur, complice de mon existence. D’anciens et de nouveaux prétendants me rendaient visite, ou bien j’allais chez eux. Simon était l’un d’eux. Je le connaissais depuis longtemps, comme ami de mon père... Il s’était d’ailleurs opposé à son désir. Il était très riche et versé tant dans les cultures grecque et romaine que juive. Ses conversations, manifestaient beaucoup de sagesse et une parfaite honnêteté. Il m’invitait souvent, me considérant comme une demoiselle honorable. Bien qu’il n’ait jamais demandé ma main, ses invitations prouvaient son profond désir. Après l’une de ces fêtes, il me dit un jour : Le jour des fiançailles fut fixé. Une fois chez lui, je constatais que seuls ses plus proches amis avaient été invités, mais surtout que sa femme était absente. J’en fus d’autant plus surprise que les fêtes en mon honneur avaient toujours été préparées avec goût. J’ai quitté l’assemblée alors que tout le monde en était encore à manger et à boire. J’ai prétexté une indisposition ; j’étais très pâle et la tristesse avait assombri mon regard. Je me suis retirée dans la chambre que Simon avait fait préparer au premier étage.
Au cœur de la nuit, Simon est entré ; je n’avais pas éteint la lampe, trop soucieuse pour parvenir à m’assoupir. Toutefois, je faisais mine de dormir. Simon s’était couvert d’un drap blanc, comme d’une toge romaine. Il approcha : « Maria, Maria, dors-tu ?» et je feignis de me réveiller : J’ai sauté du lit, oubliant que j’étais nue. J’ai couru enfiler une chemise, mais laissant tomber sa toge il a bondi sur moi et m’a prise dans ses bras : « Oh, mon amour du sabbat, sur ton visage je contemple la beauté de Rachel ; tes seins sont lourds comme les pommes du jardin d’Éden, tes lèvres me rappellent celles d’Esther. » Je cherchais à me dégager, mais il me tenait si serrée que je ne pouvais pas bouger. Je me suis alors raidie comme du marbre, les lèvres serrées. S’apercevant qu’il ne tenait plus dans ses bras qu’une poupée d’albâtre, il a relâché son étreinte, ses muscles se sont détendus et son sexe a perdu sa puissance. Enfin libérée je lui ai dit, sans vouloir l’humilier, « Simon, ce n’est pas moi que tu cherches, mais ta propre mère. L’ombre de ma mère t’a blessé. » Je l’ai revu, le lendemain, il n’osait pas me regarder dans les yeux. « Pardonne-moi, Maria. Parfois la passion nous fait déraisonner. Ne me quitte pas : quelle qu’elle soit, notre relation m’est nécessaire. Si c’est possible, considère ce qui s’est passé comme non avenu. » Il ouvrit alors un coffret et en retira un diadème : « Accepte ce don, je t’en prie, porte le quand tu viendras chez moi ; il sera pour moi le gage de ta liberté à me donner ton cœur. » Le diadème était d’or, incrusté de saphirs. |
t320103 : 05/04/2020