ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisChronique de Marie-MadeleineRoman |
Chapitre 3 - Le banquet des noces : |
Présentation Texte intégral : La rencontre d’amour Les disciples du Royaume Le banquet des noces - Dans la cour de Lévi - La parabole du royaume - La révolte des impuissants - Le banquet - Maladie d’amour Itinéraire d’un bâtard Le défi La fugue Sur le pont du bateau Chemins d’amour Dalmanutha Transfiguration et insurrection La Dédicace Correspondances Béthanie Gethsémani Le procès Golgotha L’enterrement Le jour de la Pâque Le tombeau vide Les semeurs |
e discours des béatitudes avait fait naître chez mes frères une conscience nouvelle : des hommes et des femmes bénis, heureux, appelés à hériter le Royaume. Mais elle restait superficielle, car chacun était toujours prisonnier de sa condition de sous-homme, méprisé et maudit par Dieu. La venue du scribe avait refroidi l’enthousiasme de chacun, abandonné à son penchant naturel comme la feuille à la force du vent. Les hommes furent les premiers à se manifester : « Nous serons bienheureux dans le Royaume des cieux, mais ici-bas nous croupissons dans le malheur. Qui est responsable ? Les riches, évidemment ! Ils mangent bien et boivent abondamment, ce qui nous est refusé. On peut imaginer qu’ils seront malheureux dans le Royaume des cieux, en attendant, aujourd’hui, ils prennent du bon temps ! » Il n’en a pas fallu davantage pour les rendre furieux ; ils gesticulaient et tournaient en rond, en criant : D’une même voix, tous dirent : Interrompant ce tumulte, Jeanne s’est saisie du tambourin et, suivie par deux de ses amies, s’est mise à danser, en criant « Hourrah ! Hourrah ! ». Après un tour de danse, l’une d’elles a chanté : Sur notre chair l’ermite très pieux Ce disant, elle relevait sa robe, tandis que les autres faisaient mine de se cacher les yeux en s’esclaffant. Puis les trois danseuses se sont remises à tournoyer, au son du tambourin de Jeanne, pour s’arrêter après deux pirouettes. Celle qui avait déjà chanté a repris : Avec nous des prêtres fort bien mitrés Et elle montrait son derrière, tandis que les autres piaffaient : « Aïe ! Aïe ! » Des publicains ricanaient et applaudissaient, tout en chuchotant « Quelles putes ! » Les trois femmes reprirent leur manège, au son du tambourin et aux cris renouvelés de « Hourrah ! Hourrah ! » Puis celle qui était à la gauche de Jeanne s’est mise aussi à chanter : Le riche est retombé sur mon genou, Elle écartait les jambes, tandis que les autres simulaient l’épouvante. Mais la farce commençait à lasser certains spectateurs ; des murmures réprobateurs circulaient parmi eux. Prises à leur jeu, les trois femmes n’en poursuivaient pas moins leur farandole. La seconde lança de nouvelles grivoiseries : En retournant où il avait vécu, Mêlant pitié et plaisir, sa voix se faisait langoureuse et pénétrante. Les deux autres l’encourageaient : « Cocu ! Cocu ! » Cheveux flottants et bras en l’air, elles ont refait un tour de danse. Puis Jeanne a chanté, sur un ton solennel et vindicatif : Dieu nous appelle à posséder les cieux La communauté était en délire. Certains criaient « Bravo les putes ! », d’autres « C’est un scandale. On n’aurait pas dû les inviter. Et il paraît qu’elles nous précèderont dans le Royaume des cieux ! Mais à quoi pense Jésus ? » J’éprouvais une telle humiliation que j’ai retiré de mon front la couronne d’épouse. Qui étais-je, sinon l’une de ces femmes : une putain ! Au moins, mes consœurs étaient sincères. En regardant autour de moi, j’aperçus un sourire narquois sur les lèvres de Judas. J’ai courbé la tête, attendant que Jésus sorte de son extase.
Alors, Jésus s’est retourné vers les convives. Son visage était détendu, sa sérénité naissait de sa paix intérieure. « Frères et sœurs, mon esprit était ailleurs quand votre chair s’est révoltée contre le mal qui violente la vie. Dans ma contemplation, j’ai entendu vos cris de détresse et de vengeance. Vos invectives et vos sarcasmes se sont inscrits en moi en caractères de sang. Je comprends pourquoi l’angoisse agite votre cœur comme la lave un volcan. Votre cri jaillit de votre chair, parce qu’il monte de la terre. L’homme est comme l’arbre, dont la frondaison reçoit les rayons du soleil et se déploie dans l’azur, et dont les racines s’enfoncent profondément dans la terre. Dans la création, Dieu a ordonné au ciel et à la terre de se combler réciproquement, mais le péché qui habite l’homme a brisé cet équilibre, a violé la loi première de la vie : l’homme s’enrichit et appauvrit ses frères ; il exploite la femme pour le plaisir de la chair, domine les autres par la maladie, l’ignorance, la faiblesse, la résignation ; il vit du sang de son frère. Alors, celui qui n’a pas d’épée en achète une, celui qui ne possède pas de bâton s’en procure un. Le pied du boiteux s’endurcit comme de la corne, la main du mendiant devient meurtrière, la douce voix de la femme se mue en rugissement de hyène, la plainte du muet en hurlement de loup, l’enfant apprend à lancer des pierres, l’aveugle à frapper de son bâton. C’est la révolte de la chair contre tout outrage à la vie, la vengeance du sang ! La colère bondit comme un fauve dont on a tué les petits. À cette heure, l’aveugle voit et le sourd entend ; le muet parle et le boiteux court ; la terre se dresse contre l’homme au cri de son malheur !
" Heureux les riches qui partageront leurs richesses avec les pauvres ! Tout le monde a été saisi d’une profonde émotion, la joie éclairait les visages. Les hommes s’écriaient : « Nous résisterons au mal par le bien », et les prostituées : « Nous résisterons à l’homme par la force de notre amour, et non plus par les pulsions de nos instincts ». Alors Jeanne a repris son tambourin et, avec ses deux amies, elles ont encore dansé en chantant : Ô femmes qui gardez fierté d’amour |
t320314 : 12/04/2020