e nouveau assis en silence autour de Jésus, nous étions pris par le mystère de notre rencontre. Chacun de nous était émerveillé d’avoir été saisi par Dieu dans les actes les plus élémentaires de son existence et d’avoir chanté sous l’inspiration divine. Jésus profita du silence pour nous faire comprendre le sens de cette journée.
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Mes frères, nous sommes les prémices du Royaume. Jadis, nous marchions nous aussi dans les ténèbres, mais une lumière a éclairé notre chemin. Nous avons compris que notre démarche recouvrait des traces déjà inscrites dans la Bible : nous réalisons une histoire que d’autres ont entamée. Nous jouons le rôle de nos ancêtres : Abraham et Jacob, Osée et Ézéchiel, Judith et Esther, Ammi et Ruchama. Ces personnages revivent en nous, parce qu’avant notre naissance, nous existions en eux. Nous étions leur préfiguration, de même qu’ils se réalisent en nous. Vous avez exprimé, toi Pierre, vous Jacques, André et Jean, cette parabole dans les actes de votre existence. Avant d’accomplir la mission d’Ammi, j’étais « Ammi » dans la trame de ma vie. Maria a personnifié Ruchama dans sa vie, avant d’en poursuivre la mission. Et toi, Salomé, dernière venue parmi nous, tu nous as transmis le message de Ruth sans le savoir. Nous sommes fils de la lumière, parce que nous connaissons les deux faces de notre existence.
- Alors, sommes-nous des prophètes ? a demandé Jean. Nous sommes des gens simples, illettrés, sans commune mesure avec les grands prophètes. Il est prodigieux de penser que notre petite vie sans horizon rend la Bible actuelle dans l’histoire présente.
- Le prophète, a répondu Jésus, n’est pas celui qui a vu Dieu – cela n’est donné à personne – mais celui qui interprète Sa parole inscrite dans les événements de Sa création. Car chacun porte l’empreinte de Sa volonté et s’insère dans Ses desseins. Les étoiles et les planètes, les mouvements de la terre et de la mer, le jour et la nuit, les nuées et la pluie, la vie des hommes et celle des animaux, sont les signes par lesquels Dieu se manifeste. Bref, le prophète a reçu la connaissance du langage de Dieu et le traduit en paroles humaines. Il a été un homme simple et ignorant, comme vous : il était berger, paysan, ouvrier, doué de l’intelligence des signes des choses, saisi par l’Esprit. Il comprenait la foudre et le tonnerre ; il lisait dans les événements comme dans les rêves du peuple ; il déchiffrait les saisons et le vol des oiseaux ; il connaissait le sens du mouvement des étoiles et du soleil, les phases de la lune et les éclipses ; il prévoyait la naissance et la mort. Il était visionnaire, chantre qui percevait au-delà des apparences. Nous aussi, nous sommes visionnaires ; plusieurs aussi parmi nous sont chantres ; tous, nous sommes des fous pour le reste du monde.
- Cependant, la Bible nous est étrangère, Maître, a dit Jacques, car nous ne sommes pas des rabbis, et nous ignorons l’origine des mots.
- Moi non plus, je ne suis pas un rabbi. Qu’importe ? Nous ne sommes pas appelés à décortiquer les mots, mais à désigner leur impact dans l’existence. Si tu préfères, les mots nous intéressent moins par leur origine que par les choses qu’ils désignent comme faits de Dieu en parabole. Les Écritures transposent en mots la signification des signes établis par Dieu à travers les choses de la vie. Interpréter les Écritures suppose de les accomplir, de les actualiser dans les actions de notre vie. Nous sommes en résonance avec la Bible quand elle prend un sens actuel pour nous. Nous sommes une page neuve du livre de la création de Dieu, dont la Bible est le reflet.
-Frère, demanda l’un des disciples, quel est ce sens nouveau des Écritures ?
- Dieu a établi une nouvelle Alliance d’amour : il est le Père par qui les hommes se découvrent des frères.
- Mais Dieu, reprit ce disciple, a fait autrefois alliance avec Abraham et s’y est déjà manifesté comme Père : Il a rendu fécondes nos ancêtres Sara, Rébecca et Rachel, qui toutes étaient stériles, afin que leurs enfants soient fils de Dieu.
- Tu as raison, mais tu oublies ce que le peuple a fait de cette Alliance. Les Juifs ont cru qu’elle n’était qu’un contrat d’adoption par lequel Dieu reconnaissait pour enfants la seule descendance d’Abraham ; le peuple a prétendu être l’élu de Dieu pour recueillir seul l’héritage de la filiation divine, et en exclure les autres peuples. La paternité de Dieu est devenue le privilège de ceux qui sont issus de cette génération, et l’universalité de la création a été rétrécie aux frontières d’une race. Mais nous, les bâtards et les prostituées, hommes et femmes privés d’héritage et de privilèges, exclus du droit et illégitimes, dépossédés de biens et de pouvoir ; nous pour qui la vie est un désert que Dieu a désigné comme espace de création et image de Sa demeure ; nous, le peuple innombrable, nous répondons à l’appel de Dieu. En nous, Il veut se révéler comme le Père et nous reconnaît comme ses enfants, non contre les autres hommes mais comme la parabole que tous sont issus de Lui. Nous sommes le signe que Dieu manifeste Sa paternité universelle, le miroir où Il reflète Son amour.
À ces mots, les disciples furent emplis de joie. Certains se levaient, d’autres se mettaient à sauter, d’autres encore s’envoyaient des bourrades, ou se serraient la main, ou s’embrassaient en bredouillant des bribes d’hymnes. André s’adressa à Jésus :
- Frère, et le temple ? À quoi sert-il ?
- Nous le découvrirons à mesure que nous lirons la parabole de Dieu. Je vous dirai déjà que les temples faits de main d’homme sont des lieux de prière et de réunion, non des abattoirs. Dieu hait les holocaustes. Pour pardonner nos péchés, Il n’exige ni bœufs, ni moutons, ni pigeons, mais le sacrifice du cœur. En témoigne l’oracle d’Osée : « J’aime la compassion et non le sacrifice ». Il attend que nous offrions aux frères nos biens et notre argent, notre savoir et nos expériences, notre sollicitude et notre aide, comme Il le fait Lui-même. Il nous appelle à remettre leurs dettes à nos frères, comme Il remet les nôtres, ce qui est plus difficile que de tuer des animaux et de les offrir en sacrifice. Vous vous vantez d’aimer le prochain, parce que vous vous asseyez avec les pauvres pendant le culte, mais les invitez-vous aussi à votre table ? Mes frères, le temple abonde de riches, de privilégiés, de voleurs et de tueurs d’animaux, mais il manque d’hommes bienveillants, miséricordieux, humbles et doux de cœur. Sachez que nous sommes le Temple de Dieu, nous à qui Dieu a inspiré son souffle de vie.
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Réflexion faite, frère, a poursuivi Pierre, il vaut mieux être pêcheurs de poissons que pêcheurs d’hommes ! Comment parviendrons-nous à faire entendre cette doctrine ? Et comment la mettre en pratique, alors que nous sommes prisonniers de nos croyances et de nos traditions ? Il faut être bien téméraire pour se battre contre l’ordre du monde !
- Céphas, tu devrais plutôt dire « l’ordre des puissances du monde », car les hommes sont soumis aux esprits du mal, qui les détournent des fins pour lesquelles ils ont été créés et les entraînent vers la convoitise et l’argent, l’égoïsme et le pouvoir, la résignation et la soumission. Créé pour veiller à l’ordre du monde, l’homme, dominateur de la nature, en est devenu l’esclave ; né pour l’intelligence de la vie, il se résigne à la mort ; engendré par amour, il vit dans la haine. Cela est vrai aussi des pauvres et des exploités qui, au lieu de se dresser contre leurs oppresseurs, sont résignés, comme des animaux sans intelligence. Par la nouvelle alliance, Dieu nous appelle à redevenir l’homme des origines, auquel Il a confié le gouvernement du monde et de la vie. Il invite les boiteux à marcher, les aveugles à voir. Il interdit aux hommes la prostitution afin qu’ils se livrent à l’amour. À chacun, Il fixe sa part de responsabilité dans le travail, afin que chacun mange à sa faim. Il ne supporte pas qu’il y ait des hommes libres et des esclaves, des enfants légitimes et des bâtards, car tous sont Ses fils et Ses filles. Hommes sans intelligence des Écritures comme de la vie, pourquoi avez-vous perdu la dignité de votre origine ? Pourquoi demeurez-vous soumis aux puissances du mal ? Vous êtes nés pour réaliser l’homme originel, triomphant des conditions serviles de l’existence.
Le jour déclinait ; déjà quelques étoiles apparaissaient à l’horizon, des colombes voltigeaient encore autour de l’esplanade, comme pour une dernière salutation au jour finissant ; la voûte du ciel couvrait la terre d’un voile de soie brodé d’or.
- Voici l’heure de la prière, a dit JJésus. L’univers devient Temple, où nous nous réunissons pour louer Dieu avant d’entrer dans le jour du sabbat, l’astre qui éclaire la nuit monte lentement à l’horizon... Avez-vous encore du blé ?
- Oui, quelques épis.
- Jetez-les sur le sol, que les colombes présentent une dernière fois au Créateur le sacrifice de notre cœur. Élevons les yeux vers le ciel et prions :
Notre Père, qui es aux cieux,
nous glorifions Ton nom,
nous appelons Ton règne !
Nous accomplirons Ta volonté sur la ter-