ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 2 - Les disciples
du Royaume :

Salomé



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume
- La lampe
- Salomé
- Les prémices du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


ous étions tous réunis sur l’esplanade hors les murs. Beaucoup d’autres personnes s’étaient jointes à cel­les que Jésus avait invitées. Nous étions assis sur des pierres, ou à même le sol. Jeanne avait éteint la lam­pe, dont l’huile était presque épuisée. Jésus a dit :
- Je crois que tout le monde a soif, et faim aussi !
- Rabboni, nous n’avons plus de pain, car nous l’a­vons donné aux pauvres, et nos gourdes sont vi­des.
- Va puiser de l’eau, Maria ; pour le pain, Dieu y pour­voira.

   J’ai pris une cruche et des seaux, et me suis ren­due au puits le plus proche. Tandis que je remplissais ma cruche, une jeune fille portant sur la tête des ger­bes, et autour du cou des bottes de glanes, s’est ap­pro­chée. Le soleil qu’elle avait reçu en glanant sem­blait ressortir par tous les pores de sa peau : « Bon­jour, ma sœur, je m’appelle Salomé. J’ai glané toute la ma­ti­née et j’ai soif à en être épuisée. » Je l’ai aidée à poser son fardeau, ai aspergé d’eau sa tête, son vi­sa­ge et ses mains, et l’ai désaltérée. Après avoir bu, elle est partie d’un fou-rire.
- Je me sens rafraîchie comme une gargoulette ! Com­ment t’appelles-tu ?
Maria, et je suis mariée !
- Si j’en juge par ton minois, ton époux doit être très beau.
- Merci du compliment, Salomé. Tu peux voir mon époux, si tu as un peu de temps. Et toi, es-tu mariée ou les hommes restent-ils de marbre devant une fille aussi belle que toi ?
- Crois-tu ? J’avais un amoureux, il y a quelques heu­res à peine. Ce matin, il m’a dit : « Salomé, les mois­sonneurs sont à l’œuvre dans les champs depuis l’au­be, allons glaner ! On ramassera des gerbes et des gla­nes pour en tresser des couronnes à nos fian­çail­les. » Nous avons suivi les moissonneurs, puis il s’est éloigné tout doucement de moi ; à un moment, il a disparu aussi prestement qu’une ombre au coucher du soleil, et je me suis retrouvée seule et désempa­rée. J’ai pleuré, tout en continuant à glaner ; je ra­massais les épis avec une telle hâte que je me suis très vite retrouvée auprès de cinq moissonneurs.

" Es-tu seule, jeune fille ? " m’ont-ils de­mandé.
" Oui, mais ce n’est pas grave. J’ai perdu mon miroir, mon ami est parti le recher­cher.
" Alors glane, glane jeune fille, jusqu’à ce que tu le retrouves ! " Et ils me lançaient des tiges et des épis, et même des grains de blé, sur la tête. J’ai amassé une grande quantité de tiges, que j’ai liées pour en fai­re des gerbes, et me suis redressée, les yeux pleins de larmes. Les moissonneurs se sont interrompus pour me regarder avec plaisir et compassion.
" Jeune fille, tu as perdu ton miroir et voi­ci, le Seigneur t’en offre dix. Regarde dans ces miroirs, peu de filles en Israël sont aussi belles que toi ! "
- J’ai eu peur. J’ai mis les glanes autour de mon cou, posé les gerbes sur ma tête et j’ai couru, couru jus­qu’à ce puits.
Salomé, petite sœur, ton histoire est une parabole. Viens, je vais te présenter à mon époux, il sait lire dans la vie des hommes comme les rabbis dans les livres. Il te dira ce que Dieu attend de toi."

   Et nous nous sommes embrassées.


Cheminant l’une près de l’autre, moi portant la cru­che et les seaux, Salomé chargée de gerbes et de gla­nes, nous sommes arrivées sur l’esplanade sans faire de bruit, et personne ne s’est aperçu de notre présen­ce. Tout le monde entourait Jésus qui enseignait : « Ne vous inquiétez pas, en disant " Qu’allons-nous man­ger ? Qu’allons-nous boire ? " Ce sont là toutes cho­ses que les païens recherchent. Votre Père céleste sait bien que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le Royaume des cieux, et tout cela vous sera donné par surcroît. Voyez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n’amassent dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas plus qu’eux ? Observez les lis des champs, comme ils poussent : ils ne peignent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon lui-même, au temps de sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. Le Royaume de Dieu est semblable à une jeune glaneuse, comme Ruth qui a ramassé le double de ce dont elle avait be­soin. »

   Entendant ces paroles, Salomé a tressailli et serait tombée, si je ne l’avais pas soutenue. Ses gerbes ont glissé de sa tête et se sont répandues à terre. « Du blé, du blé ! Voici Ruth ! Ruth vient nous offrir le blé qu’elle a glané » se sont-ils écriés pleins de joie.

   Jésus s’est approché de nous, pendant que Salomé protestait :
- Je ne suis pas Ruth, je m’appelle Salomé !
- Oui, a dit Jésus, tu es bien Salomé, mais en parabo­le, tu es Ruth et tu refais son itinéraire, quand elle gla­nait dans les champs de Booz. Tu as aussi été conduite par le Seigneur à la rencontre de ton époux, comme Ruth vers Booz.

   Jean, s’approchant d’elle, lui a dit : « Écoute, Salo­mé, ne crains rien et laisse-nous profiter des épis que le Seigneur t’a offerts. À la place de ton blé, nous pê­che­rons du poisson pour toi et ta famille. »

   Nous avons rassemblé les épis et préparé le bois pour le feu, mais beaucoup de grains s’étaient dis­per­sés sur le sol. À notre grande surprise, nous avons vu jaillir des oiseaux des lauriers ; des mésanges, des pin­sons et divers passereaux, se frôlant de leurs ailes, se mirent à becqueter, tout joyeux, les grains épars.


Nous nous sommes assis près du feu. Les épis cui­saient sur des pierres posées autour des flammes, chacun de nous en saisissait un dès qu’il était tendre, pendant que je servais à boire. Jean, assis près de Sa­lomé, s’adressa à elle :
- À quoi penses-tu, quand tu glanes dans les champs ?
- À rien... Mais il m’arrive de chanter.
- Tu chantes ? Ça doit être bien agréable de t’enten­dre ! Quand nous partons pêcher, Céphas, Jacques, André et moi, nous restons toujours silencieux ; sans doute parce que les poissons sont muets, et que nous cherchons à les surprendre. Comme la mer, notre cœur fait silence. Mais alors que les poissons se lais­sent prendre, nos pensées s’enfuient, comme si elles redoutaient d’être retenues. Parfois, l’ennui nous rend moroses. Je suis sûr que tu chantes parce que tu écoutes le chant des oiseaux, le crépitement des épis, le crissement des branches, le bourdonnement des insectes. Tu es à l’écoute de la nature, Salomé, pour traduire sa voix par ton chant.

   Salomé écoutait avec ravissement.
Salomé, lui ai-je demandé, pourquoi ne chanterais-tu pas l’une de tes mélodies ? Les oiseaux t’y in­vi­tent, comme lorsque tu glanes.
Maria ! Ce sont des chansons d’amour, ce serait dé­placé ici !
Salomé, l’amour nous a saisis, nous aussi ! Ne suis-je pas l’épouse de Jésus, Jésus mon époux et mes frères les amis de l’époux ?

   Alors, saisissant un épi grillé, elle se mit à chanter.

Dieu rassasie tous ces oiseaux du ciel
Qui viennent picorer le tas de grains,
Il donne aux frères le pain substantiel
Par les épis qu’il a mis dans mes mains.

   Tous l’encourageaient : « Bravo, Salomé ! Conti­nue ! » Plus appliquée encore et rouge d’émotion, elle reprit :

Fleur d’immortelle.
Je cherche à devenir toujours plus belle
Par l’éclat et le charme de mes yeux ;
Qui, parmi vous, par son amour m’appelle
À m’élever vers la beauté des cieux ?
Fleur d’immortelle.

   Tandis qu’elle regardait alentour, Jean s’était rele­vé et l’observait tendrement. Posant son regard sur lui, Salomé s’écria : « J’ai retrouvé mon miroir ! » et ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Puis, se dé­tachant de lui et tournée vers le ciel, elle ajouta :

J’avais chanté l’amour comme par jeu,
Oiseau épris de gai vagabondage.
Or que l’amour me brûle de son feu
Ma voix faiblit et pâlit mon visage.
Chansons qui délectez toujours mon âme
Ne me quittez pas, mon cœur le réclame.


Consciente que leur amour n’était pas sans lien avec mes noces, saisie par l’Esprit, à mon tour j’ai en­ton­né un psaume, invitant l’assemblée à reprendre les pre­mières paroles.

Versez de l’eau sur les époux du cœur :
Jetez du blé sur leur futur bonheur !

   Tous se mirent à ramasser du blé et à le lancer sur les deux amoureux. Prenant de l’eau dans leurs mains, ils en aspergèrent leurs visages, dansant et chantant autour d’eux :

Versez de l’eau sur les époux du cœur ;
Jetez du blé pour leur futur bonheur !

Du blé que Dieu bénit et fait blondir
Dans la terre promise ;
Du blé qui réjouit et fait bondir
La glaneuse surprise.

   Tous reprirent en chœur :

Versez de l’eau sur les époux du cœur ;
Jetez du blé pour leur futur bonheur !

De l’eau qui sourd des rochers enfouis
Pour le peuple éprouvé :
De l’eau qui coule des yeux réjouis
Pour l’amour retrouvé.

   Ils n’en finissaient pas de chanter et de danser sur les mêmes paroles :

Versez de l’eau sur les époux du cœur ;
Jetez du blé sur leur futur bonheur !




Roman achevé en 2002




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t320210 : 08/04/2020