L’onction de Marie :
La plainte des disciples
Ce conflit d’interprétation est également intérieur au texte. En effet, chez
Luc, les convives s’étonnent que
Jésus se laisse toucher par une pécheresse ; bien plus, chez
Matthieu et
Marc, les
apôtres s’insurgent contre « la femme » qui a dépensé une somme folle pour ce parfum, au lieu de donner l’argent aux pauvres.
Jean utilise le même reproche, mais le met dans la bouche de
Judas.
Il est opportun de citer le texte : «
Un des disciples, Judas Iscariote, celui qui devait le livrer, dit : Pourquoi n’a a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres ? Il disait cela non parce qu’il se mettait en peine pour les pauvres, mais parce qu’il était voleur et que, tenant la bourse, il prenait ce qu’on y mettait » (
Jn 12:4-6).
Considérée attentivement, cette accusation devrait être attribuée aux
disciples plutôt qu’à
Judas, l’économe et responsable du bien être de la communauté.
En effet
Jésus se trouvant sans activité aux confins du
désert, la bourse de la communauté tenue par
Judas ne devait pas être bien garnie et les
disciples eux-mêmes étaient dans l’indigence. Il est donc compréhensible qu’ayant estimé la valeur du nard, ils aient pensé que sa vente aurait pu renflouer la caisse, pour eux-mêmes comme pour les pauvres. Sans doute se sont ils montrés indifférents à la signification de l’onction, mais il semble qu’ils n’en furent ni scandalisés ni surpris, car ils savaient qu’entre
Jésus et
Marie s’était nouée une relation d’amour. Par contre, cette même remarque étonne dans la bouche de
Judas qui, ayant en charge l’organisation de la Pâque et, comme nous le verrons, celle du départ de
Jésus, devait être au courant du propos de
Marie.
La réprobation des
disciples s’exerçait non seulement à l’encontre de
Marie, mais surtout de
Judas qui avait laissé gaspiller cette petite fortune aux dépens de la communauté. D’ailleurs, ils ne se plaignirent pas que la femme ait acheté le parfum, mais qu’il n’ait pas été vendu. Mesquins et vulgaires, ils dédaignèrent la femme, furent « en colère » contre elle, et mirent en accusation
Judas et
Jésus lui-même. Peut-être leur ignorance de la situation réelle de
Jésus et de la communauté les avait-elle induits à soupçonner aussi que leur pénurie d’argent était redevable à des emprunts que
Judas aurait faits dans la bourse commune pour servir ses propres intérêts.