Analyse du récit :
La veille et l’attente de la venue de Judas
Selon les récits évangéliques,
Jésus monta à
Gethsémani pour attendre
Judas, qui devait venir le livrer aux mains des pécheurs afin que, par sa mort, le salut des hommes fut accompli en lui. Son attente fut ainsi tiraillée entre la crainte et le désir.
Dans cette attente propre à la
personne christique de
Jésus, il est aisé de reconnaître le refoulement et la sublimation du
prophète, prêt à quitter le pays sous le signe de
Jonas.
Jésus n’attendait pas
Judas, mais les
Grecs, ces
Juifs de la diaspora, avec lesquels il était convenu de partir, troublé cependant jusqu’à l’angoisse, parce qu’il redoutait que les
grands-prêtres soient parvenus à découvrir, grâce à des chantages et des menaces, sa cachette dans le
Mont des Oliviers.
Aussitôt arrivés, il sépare les
disciples en deux groupes, pour qu’ils prient et veillent tandis que lui-même se tiendrait à l’écart, en un lieu plus élevé, afin de surveiller personnellement tout ce qui se passerait aux alentours. Il priait, car l’issue de son attente était dans la volonté de
Dieu. Cependant, il surveillait ses
disciples, desquels il s’approcha trois fois pour les exhorter à ne pas dormir.
Les synoptiques, et
Luc spécialement, décrivent la relation de prière de
Jésus comme un état mystique, l’« agonie », le combat intérieur du
fils de Dieu pour accepter la mort imposée par
Dieu pour le salut du monde. Il prie son
père de lui épargner cette coupe amère et de lui permettre d’accomplir l’œuvre du salut sans subir la passion et la mort. Sachant qu’il ne peut pas être entendu il accepte cette coupe, mais dans une telle angoisse mortelle que sa sueur ruisselle en gouttes de sang.
Dans cette « agonie », les
évangélistes subliment la souffrance de
Jésus en y insérant des motivations propres à la personne du
Christ, sans en amoindrir la tension tragique. En effet, l’intention de la prière de
Jésus est incompatible avec celle du
Christ : celui-ci prie seulement son
Père de lui épargner d’être livré aux mains des pécheurs,
Jésus au contraire lui demande de ne pas être livré, mais aussi de lui ouvrir le chemin du départ, selon la signification de l’exode de la Pâque. Il implore
Dieu de lui épargner un nouvel échec de la Dédicace. Il est en délire. Il se voit pris au piège, trahi par le siens qui ont été scandalisés par son comportement. Il perçoit que le chemin de la fuite lui est désormais coupé par le
peuple, qui l’encercle pour le lapider comme faux prophète. Mais il ressent encore l’anxiété de la fuite vers le
désert. Retour de son être à la glaise des origines, où désormais son esprit devra s’éteindre. Alors ce sera la nuit. Sorti comme Jonas du ventre du poisson, il lui sera interdit de donner son signe par la conversion des
Gentils. Sur son corps ruissellent des gouttes de sang, comme sur la chair du
Christ.
Le
Christ quitta son lieu de prière pour s’approcher du premier groupe des
disciples. Il constata qu’ils dormaient : ils n’avaient pas pu veiller, même une heure ! «
Veillez et priez, afin de ne pas tomber dans la tentation » (
Mt 26:41). Il leur dit : «
Veillez pour prier ».
Mais pourquoi doivent-ils prier ? Selon le sens explicite du récit, afin que s’accomplisse l’événement du salut : le
Christ sera livré aux mains des pécheurs ! Ils doivent veiller pour attendre, eux aussi, la venue de
Judas, dont la trahison est l’acte par lequel le salut s’accomplit dans le monde. Ils dorment cependant. Ils restent étrangers au salut, comme lors de l’annonce de la trahison de
Judas.
Jésus a probablement exhorté ses
disciples avec les mots mêmes des évangiles, sans doute dans un sens différent : «
veillez pour prier » et non «
veillez et priez ». « Veillez », pour saisir les bruits annonciateurs de la venue des
Grecs, ou bien des hommes envoyés pour l’arrêter. Ainsi
Jésus pourrait-il aller à la rencontre des
Grecs ou, au contraire, s’enfuir dans le
désert, par des sentiers secrets. Dans cette intention,
Jésus leur avait ordonné de porter des épées. « Priez », pour que
Dieu intervienne en guidant vers
Jésus les pas des
Grecs et en égarant la poursuite des gendarmes.
Mais les
disciples n’ont ni prié ni veillé. L’épée serrée dans leur main, ils rêvaient, peut-être de défendre
leur maître et
Pierre de couper l’oreille de celui qui aurait osé mettre les mains sur son maître. Le départ de leur maître assuré, rêvaient-ils de retourner en
Galilée, sur les bords de leur lac poissonneux ?