Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
- Introduction
- Le conditionnement
- Le code généalogique
- Le complexe du bâtard
. Ion
. Jephté
. Les deux voies
- La crise de Jésus
- Jésus chez le Baptiste
- La rupture
- Résumé
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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Jephté
Le récit de Jephté (Jg 11) fait partie des contes héroïques du judaïsme, dont le genre littéraire est historico-mythologique. Le caractère légendaire du personnage apparaît, entre autres, du fait que le nom de son père est celui de sa terre : Galaad. C’est par préjugé et par myopie intellectuelle que certains exégètes voient dans cette homonymie une confusion des noms par erreur. Il s’agit d’un héros dont la personnalité est représentative de l’image idéale et totalisante que le peuple de la contrée de Galaad se faisait de lui-même dans les profondeurs oniriques de sa conscience.
Sa naissance, comme celle de tous les héros, est typique et, dans ce cas précis, elle est bâtarde, puisqu’il est fils d’une prostituée ; c’est à cause de cela que son père l’accueille dans sa maison sans cependant lui donner son nom. Il vit parmi ceux qu’on appelle ses frères comme enfant illégitime, puisqu’il vient d’une autre mère. Cette situation se transforme en drame lorsque ses frères, craignant qu’il puisse prétendre à l’héritage paternel, le chassent de la maison et de leurs terres (Jg 11:2) (1). Il ne lui reste plus que l’alternative de survie de l’homme sans père ni mère, sans généalogie et sans frères : ou faire partie d’une communauté d’hommes de Dieu – prophètes, ascètes –, ou s’associer à des hommes rejetés par la société et en révolte contre elle.
C’est ici que le tragique émerge du complexe du bâtard, dominé par le refoulement de la relation au père et à la mère. Dans le premier cas, il donnait une solution au problème d’existence par la sublimation du désir du père dans l’amour de Dieu et du désir de la mère dans la vie communautaire ; dans le second il répondait au rejet de la société par une révolte dirigée contre elle.
Jephté choisit la seconde possibilité : il s’unit avec des gens hors la loi pour s’armer et vivre de pillage, il acquiert un pouvoir qui lui confère un nom redoutable. N’ayant pas voulu le recevoir comme frère, les siens doivent le reconnaître comme ennemi. Quant à lui, ne pouvant revendiquer son droit à l’existence de façon légale, il l’affirme par la force et la valeur.
C’est à cause de cette reconnaissance que ses frères, en guerre contre les Ammonites, l’appellent pour lui confier le commandement de l’armée. Mais Jephté n’accepte qu’à condition, en cas de victoire, de devenir leur chef. Ses motivations sont évidentes, quoi que non explicitées dans le texte : il veut s’insérer parmi ses frères non seulement par prestige, mais par droit légitime d’appartenance, la fonction de chef vient alors jouer le rôle d’adoption. Il devient frère en soumettant ses frères à son pouvoir, qui lui donne par ailleurs la possibilité de s’inscrire dans la chaîne généalogique de l’autorité des pères. Ainsi parvient-il à résoudre le complexe au niveau du refoulement de sa relation au père.
Le récit nous permet aussi de connaître la solution du même complexe au niveau de la relation à la mère. En engageant le combat, Jephté fait vœu, en cas de victoire, de sacrifier à Dieu la première personne qu’il rencontrera à son retour à la maison. Or c’est précisément sa fille qui vient à sa rencontre, en dansant au son du tambourin. Jephté la sacrifie, or elle était enfant unique et encore vierge.
Si on considère la personnalité du père, sa mort était inévitable, car sur la scène épique de celui-ci elle n’est que la personnification de sa mère : la fille meurt pour racheter le péché de la mère de son père. Elle meurt « sans avoir connu d’homme », pour racheter cette femme que son métier menait précisément à connaître des hommes. En rachetant la mère du héros, la fille rachète aussi celui-ci, enfant bâtard de cette femme prostituée. Ainsi le fils retrouve sa mère, la réintégrant, par la mort de sa propre fille, dans le cadre généalogique, et il devient fils légitime par naissance, comme il l’était devenu par adoption.
L’affirmation du texte selon laquelle « d’année en année, les filles d’Israël s’en vont célébrer la fille de Jephté le Galaadite, quatre jour par année » (Jg 11:40) montre que cette légende épique n’est qu’une dérivation d’un ancien rite d’initiation au mariage par le sacrifice de la virginité, mais cela sort du champ de ma recherche.
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(1) Selon Saggin (S. A. Saggin, « Il galladita Jefte », in Hénoc (1), 1979, pp. 332-336), il y a contradiction dans le texte puisque, si Jephté est un bâtard et donc le fils d’un père inconnu, on ne peut pas affirmer qu’il demeure dans la maison du père. Cette dernière affirmation proviendrait donc d’une correction postérieure du texte, dont le but serait d’enlever au récit une pointe de scandale. En réalité il n’aurait pas été chassé par ses frères charnels mais par le peuple.
Je soulignerai qu’il ne faut pas lire le texte comme un récit historique mais mythique, Jephté étant plutôt un personnage héroïque qu’une personne historique. Or, dans le récit mythique, on part d’une situation en la considérant comme base d’intrigue, la plupart du temps sans tenir compte de la cohérence psychologique. Jephté est un héros dont la mère est une prostituée, le père sa propre terre (Galaad), les frères son propre peuple (Jg 11:7). Or, pour qu’il soit chassé par ses frères, il faut bien qu’il ait habité avec eux et donc avec le père. Cette cohabitation est donc supposée par l’intrigue mythique. D’ailleurs, même quand le fils illégitime demeure avec son père, il est toujours considéré comme bâtard et son père ne le légitime pas. 
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