ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




La crise spirituelle de Jésus :

la crise



Sommaire
Prologue

La méthode
Le bâtard
De Nazareth au Jourdain

La crise spirituelle
- Introduction
- Le conditionnement
- Le code généalogique
- Le complexe du bâtard
- La crise de Jésus
  . Le presqu’esclave
  . L’eunuque de Dieu
  . Humiliation, purification
- Jésus chez le Baptiste
- La rupture
- Résumé

La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



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Jésus, un presque esclave


   Considérons d’abord sa situation d’existence à partir du statut du bâtard. Marc laisse supposer que Jésus vivait à Nazareth avec sa mère, ses frères et ses sœurs, qui constituaient sa famille. Mais, à partir du moment où Marie n’était que sa mère putative, il n’avait pas de frères ni de sœurs et vivait dans une maison qui lui était étrangère. La preuve en est le comportement de cette « mère » et de ces « frères » lorsqu’ils vinrent à Capharnaüm pour le saisir et la dureté de Jésus à leur encontre.
   Mais la question demeure de savoir pourquoi ses frères, au lieu de le chasser comme cela se passait dans les conflits d’héritage entre fils légitimes et enfants bâtards, voulurent le saisir pour le ramener à la maison. La réponse la plus plausible est, qu’en les quittant, il les avait privés du fruit de son travail : c’était un enfant recueilli et non pas adopté. Souvent les familles pauvres accueillaient un enfant abandonné, moins par pitié que par lucre, pour profiter de ses possibilités de travail à venir. L’accueil pouvait même prendre valeur d’achat si la mère, au lieu d’exposer son enfant, l’avait cédé à quelqu’un en recevant ou en donnant une gratification(1).

   Cette situation assimilait Jésus, au moins pratiquement, à un esclave et, juridiquement, à un transfuge étranger qui ne recevait de protection qu’en rétribution de ses services : un homme qui ne jouissait pas des droits de la personne. En effet, étant illégitime et en marge de toute lignée généalogique, il n’avait pas de droit d’héritage (2). De plus, son travail ayant été acheté en compensation de la protection de son existence, il se trouvait dans l’impossibilité pratique de réaliser des gains, et donc une épargne : il était pauvre non pas parce qu’il ne produisait pas – c’était au contraire le menuisier du village – mais parce qu’il devait céder le produit de son travail pour payer son droit à l’existence.
   Les paroles que Luc met dans la bouche de Jésus, « les renards ont leur tanière et les oiseaux du ciel leur nid, mais le fils de l’homme n’a pas où poser sa tête » (Lc 9:58) s’expliquent par cet état, qui le situait entre le pauvre et l’esclave. Partout où il allait il était un étranger : à Nazareth il habitait la maison de ceux qui l’avaient accueilli, à Capharnaüm la maison de Pierre.

   On lui refusait aussi les droits civils. Étranger à la famille, il ne pouvait y exercer aucune autorité. L’enfant mineur de la maison lui était majeur : quoique majeur par l’âge, il demeurait assimilé aux mineurs, situé au dernier rang de la hiérarchie, n’ayant droit de présence que pour écouter.
   En outre, il n’était pas habilité à exercer des fonctions de responsabilité, que ce soit dans le culte, dans l’enseignement ou dans le gouvernement, l’octroi de toute fonction étant conditionné par la légitimité de la naissance, en toute cohérence d’ailleurs, puisque toute fonction était un reflet de l’autorité et du pouvoir du père.

   On peut se demander pourquoi Jésus est resté dans cette condition de semi-esclavage, au lieu de constituer une famille à lui. C’est que la condition de naissance illégitime constituait un empêchement réel, sinon juridique, à fonder une famille. Un bâtard, même dans le cas où il s’unissait à une femme libre, ne pouvait engendrer que des enfants bâtards, la condition des enfants dans un mariage irrégulier devant toujours suivre celle de la partie dont venait l’irrégularité.
   La légitimité ne venait pas seulement de la volonté du père, mais aussi de l’authenticité des liens qui unissaient le nouveau-né à la chaîne généalogique : si le père est légitime, il peut légitimer, par son vouloir, par son nom, un enfant né d’une union illégitime ; bâtard, il ne peut engendrer que des bâtards. Tout en étant père physiologiquement, il ne l’est pas par droit ou, du moins, il ne jouit pas de tous les droits de l’autorité paternelle.
   Jésus était donc célibataire moins pour des raisons ascétiques que sociales.

   En considérant cette condition d’existence de Jésus, je me rappelle l’expression de Paul : « lui, de condition divine… prenant la condition d’esclave » (Ph 2:6-7). L’apôtre pense au Jésus historique, qu’il comprend dans l’incarnation du fils de Dieu. Mais par-delà son souci christologique, il parvient à exprimer avec précision la condition réelle de Jésus : celle d’esclave.

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(1) Il s’agit d’un phénomène social qui n’est pas inconnu de notre époque. On trouve dans le roman de Pavese La luna e il falò ces lignes : « In questa colline quarant’anni fa c’erano dei dannati que per vedere uno scudo d’argento si carucavano un bastardo de l’ospedale, oltre ai figli che avevano dejà. La virgilia volle un figlio… e quando fu un pò cresciuto speravano di aggiustari in una gossa cascina e lavorare tutti quanti e stare bene » (p. 3).   Retour au texte

(2) Bonsirven, op. cit., 1192-1194.
Les frères disent à Jephté : « Tu n’hériteras pas de la maison de notre père, car tu es le fils d’une autre femme » (Jg 11:2).   Retour au texte




1984




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