e décalage que Vico avait retrouvé dans ses Discours relève donc de l’opposition entre le niveau rhétorique de leur langage et la visée philosophique. Traduire par nous-mêmes la signification métaphorique dans des valeurs philosophiques serait assumer une tâche que Vico a déjà accomplie par ses œuvres successives. Sans doute fausserait-on le sens de sa pensée si l’on cherchait à l’interpréter à la lumière d’une lecture philosophique – en conséquence personnelle – de son œuvre première. Mais puisque les possibilités topiques sont plus vastes que leur traduction rationnelle, les prémisses philosophiques que nous mettrions à la base de l’interprétation de son œuvre ne seraient pas vichiennes. Le travail qui nous revient, et que j’ai cherché à faire en partie, est à caractère critico-historique, dans le but de reconstruire le discours vichien dans son contexte culturel et dans le cadre de ses propres perspectives, après avoir mis en relief ses sources inavouées.
Il n’en reste pas moins que ces Discours nous offrent aussi la possibilité d’entrevoir un projet philosophique. L’emploi de l’oratio pichienne comme schéma de ses allocutions comporte aussi de sa part la prise en charge du message, qu’il interprète dans le cadre du nouveau contexte culturel, qui est la fin de l’humanisme et la naissance de la civilisation des Lumières.
Bien que Vico se soit acharné contre la méthode cartésienne, il savait que l’humanisme s’était écroulé par son incapacité à traduire en valeur philosophique ses conquêtes philologiques et poétiques. La méthode cartésienne est moins la cause que la conséquence de cet écroulement. Sa lutte en faveur de la rhétorique, son retour aux anciens, ont eu pour but de ramener la culture à la bipolarité des discours, celui de la science et celui de la rhétorique, pour tenter une unité philosophique plus hardie devant laquelle la Renaissance avait échoué, et à laquelle Descartes avait renoncé d’avance ; synthèse capable d’unir le nécessaire et le probable, l’idée et le fait, l’objet de la philosophie et l’objet de la philologie.
Vico, ayant mesuré toute la hardiesse de ce plan, s’est aperçu qu’il ne disposait pas des moyens capables de le réaliser. Aussi a-t-il procédé par étapes et, même à la fin, l’intuition fantastique, inventive et poétique l’emportera toujours sur les conquêtes analytiques. Mais, poussé par le principe pichien que l’homme deviendra ce qu’il veut être, il a osé l’entreprise philosophique.
Dans la poursuite de cette unité, il a été plus prophétique que Pic de la Mirandole, puisqu’il s’agissait d’une paix qui dépassait les termes avec lesquels l’humaniste les définissait. Il ne fut pas hanté par l’accord entre thomisme et scottisme, platonisme et aristotélisme, cabale et écriture, poètes et prophètes, philosophes et rhéteurs, mais entre l’être et l’histoire, la révélation et la poésie, l’analytique et le synthétique, la Providence et la créativité des hommes, bref entre la philologie et la philosophie.