ien que les Discours aient été adressés aux élèves et aux professeurs, ce sont surtout les premiers qui ont représenté pour le jeune orateur les interlocuteurs les plus valables. En effet, les ayant connus de tout près lorsqu’ils faisaient leurs premières armes avec le latin et le langage universitaire, ils avaient noué avec lui des relations trop profondes pour être brisées. D’ailleurs l’attention que Vico leur portait, les accents avec lesquels il les poussait au travail, l’émotion qu’il éprouvait à leur égard, montrent bien qu’il avait noué avec eux cette même amitié proposée comme norme à tous les intellectuels. S’il représentait pour eux le lieu de resourcement dans toutes les phases de leur formation, ils constituaient pour lui la médiation de sa présence au monde et de son action dans l’histoire.
Parmi les soucis qu’il avait à leur égard, un doute l’a toujours harcelé depuis qu’il avait pris conscience de la dure discipline à laquelle ils devaient rester soumis. L’université est-elle apte à former les jeunes aux tâches qu’adultes ils devront exercer dans la société ? La méthode des études est-elle adéquate à cette finalité ? Il avait scruté de trop près la vie estudiantine pour ne pas s’être aperçu que la discipline imposée par le ratio studiorum était oppressive et injuste.
Jusqu’alors, il n’avait pas eu l’occasion de dénoncer le mal, se contentant de souffrir avec eux et d’y suppléer par le travail. Alors il semblait convaincu du changement, car il lui apparaissait que la discipline était si viciée qu’elle rendait inutile l’effort personnel. En effet, le ratio studiorum ne tenait pas compte de la personnalité des élèves, toute décision relevant exclusivement des parents, du choix des études à l’orientation professionnelle. De plus, en jugeant leurs intentions, on constate qu’ils ne cherchaient pas le bonheur véritable de leurs enfants, mais leur propre enrichissement ou le couronnement de leurs ambitions. Dès lors, il n’était pas étonnant que les jeunes, en s’opposant au bon vouloir des parents, n’aient plus eu goût à poursuivre leurs études, ou bien les poursuivaient sans enthousiasme et avec nonchalance.
Vico avoue qu’il avait été profondément secoué par cette situation. Bien que les raisons en fussent multiples et complexes, il s’était aperçu qu’elles se référaient toutes, en dernière analyse, à une fausse conception de la psychologie de l’enfant, qui attribuait au péché ce qui n’était redevable que de l’âge. Il est évident, en effet, que si l’enfance est corrompue et si ce qui lui est naturel n’est que péché, il ne convient pas de suivre les inclinations des adolescents, ni de tenir compte de leur volonté. Au contraire, il convient de les soumettre à un ordre disciplinaire, afin de maîtriser les instincts de leur mauvaise nature : c’est dans cette intention que le ratio studiorum avait été conçu.
Contre cette arrière-pensée idéologico-religieuse, Vico entreprit une critique si radicale qu’elle peut apparaître étonnante dans sa bouche : les parents appellent faute de nature ce qui n’est en réalité que leur propre péché (2).