rès probablement Vico rencontra pour la première fois, à ce moment-là, Bacon par la lecture du De dignitate et augmentis scientiarum. Mieux que le « grand René », Francis Bacon s’offrait à lui comme le « rare philosophe » qui synthétisait en lui la théorie et la pratique (8). Il semblait répondre aux exigences encyclopédiques que Vico avait héritées de l’humanisme. Sa première lecture de Bacon ne lui avait pas permis de pénétrer dans l’intime logique de l’œuvre ; cependant il avait été saisi par cet « univers d’arts et de sciences » qu’il n’avait trouvé qu’en partie chez Descartes. Ainsi, à son exemple mais à partir de la tripartition pichienne, il s’est aventuré dans une classification des sciences.
Le passage de Pic de la Mirandole à Bacon lui a également été rendu possible par le titre des œuvres respectives de Pic de la Mirandole (le De hominis dignitate) et de Bacon (De dignitate scientiarum). En fait, la dignité des sciences ne pouvait être fondée que sur celle de l’homme lui-même, qui en est l’auteur. Sans doute cet accord sur la conception de l’homme lui a-t-il fait considérer Bacon comme un de ses maîtres à penser, aux côtés de Platon, de Tacite et de Grotius. Cependant il prit ses distances vis à vis de lui, plus qu’il ne le fit à l'égard de Descartes.
Les disciplines sont distinguées en acroamatiques et exotériques. Les premières comprennent tous les arts et les sciences, en tant qu’institutiones, c’est à dire matières d’enseignement. Les autres ne sont que les connaissances historiques des mêmes disciplines. L’histoire est définie, non en opposition à la poésie, mais comme « institution ». Toutes les disciplines acroamatiques se caractérisent parce qu’elles visent le genus des choses, tandis que les historiques concernent les species.
Par ces expressions, Vico désignait (ainsi qu’il le précisera dans le De italorum sapientia) l’universel et le particulier, en d’autres termes l’exemplaire, qui est idéal, et l’exemple, qui est concret (9). Ces deux niveaux de connaissance correspondent à deux disciplines : des éléments doctrinaux à caractère scientifique qui ont trait à l’universel, et les histoires narratives qui se rapportent aux exemples. Il convient aussi de remarquer que Vico a parlé d’« histoire comparée », et non d’« histoire », précisant ainsi que le discours historiographique exige aussi une certaine universalité, à travers l’étude comparée des exemples.
Comme fondement de l’encyclopédie, il a placé une tripartition : la grammaire, la sagesse et la prudence. Celle-ci ne diffère de la précédente qu’au niveau des mots : en réalité, la grammaire correspond au sermo, la sagesse a trait aux choses, et la prudence n’est qu’une vertu de l’animus, car elle vise la pratique.
La grammaire est le support de toutes les disciplines du langage. La sagesse comprend les sciences naturelles et divines. Les sciences naturelles sont celles dont « la nature est le dieu » ; ce sont tout d’abord les mathématiques, où la nature est considérée comme la forme de l’espace et du temps ; ensuite les sciences physiques, auxquelles sont associées l’anatomie et la médecine, qui se réfèrent à la nature comme processus de causalité. Sont appelées divines les sciences « dont la nature est Dieu lui-même » : la métaphysique et la théologie. Les sciences humaines fondées sur la prudence comprennent les sciences morales qui tendent à rendre l’homme honnête, et les sciences civiles qui le rendent sage.
Au commencement, Vico avait fait allusion à la grammaire, sans préciser cependant les diverses disciplines du langage. Ensuite il les a définies, non par rapport au niveau de la chose, mais à celui de la communication entre les hommes. Ces sciences comprennent la logique, la rhétorique et la poétique. La logique régit le discours démonstratif, qui a pour objet la vérité ; la rhétorique, le discours persuasif ; la poétique, le discours expressif. L'une recherche la parole vraie, l’autre la parole digne, la troisième la parole concise.
Quant à elles, les disciplines exotériques, c’est à dire historiques, correspondent toujours aux institutiones quand celles-ci peuvent se rapporter à des exemples. Ce n’est pas le cas de la mathématique, de la logique ou de la métaphysique, puisque leur objet n’est que formel et abstrait.