ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Les  Discours  (1689-1717)



7-  La  corruption  de  la  nature
et  la  méthode  des  études



La connaissance de la corruption de la nature humaine nous invite à affranchir l’univers naturel des arts et des sciences et elle nous montre aussi la méthode juste, facile et constante pour les apprendre. (1).




72- La nature corrompue
et le péché des parents



Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l'homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l'autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études
Nécessité d’affranchir les études
La nature corrompue et le péché
  des parents

La réforme de la nature
L’univers des arts et des
  sciences
Le schéma pédagogique
Les deux schémas de Vico et
  l’encyclopédie baconienne
Avènement de l’homme et
  événement de la culture

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico


DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d’ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l’interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


La logique ou l'art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664 ette affirmation pourrait nous ame­ner à croire que Vico rejetait la thé­orie de la corruption de la nature, remettant ainsi en question le dog­me du péché originel. Il n’en est rien. Non seulement il conserva tou­jours l’ex­pression « nature corrompue », mais il la prit com­me appui de sa théorie pédagogique.
   Pour le comprendre, il convient de se référer à la conception vichienne du libre arbitre, exposée dans le second chapitre. Vico restait fidèle au dogme catholique, dont il donnait cependant une interprétation si humaniste que son sens en était changé. La culpabilité du péché originel ne re­tombe que sur celui qui l’a commis ; les autres hommes sont soumis seulement aux conséquen­ces de fait de ce péché, qui présente moins le caractère d’une culpabilité que d’une peine. Elle n’affecte pas la nature métaphysique de l’hom­me, telle que Vico l’avait définie après Pic de la Mirandole comme liberté de choix moral. À ce niveau, l’homme demeure toujours intact, tou­jours maître possible de soi comme de la matiè­re.
   Par contre, ce qui est atteint, c'est l’art de bien employer cette liberté avec efficacité et à propos. En d’autres termes, l’homme a perdu la sagesse, à qui revient la tâche de l’ordre et de l’équilibre des puissances de l’âme.
   Qu’on se souvienne que, pour Vico et Pic de la Mirandole, l’homme n’est vraiment lui-même que dans la mesure où il cherche à vivre en Dieu, se conformant à l’ordre de la divine sagesse. Pour parvenir à ce but, toutes les facultés doi­vent être coordonnées dans un équilibre hiérar­chique, les sens se soumettant à l’imagination, l’imagination à la raison. Or le péché a rompu cette harmonie, en sorte que les facultés ont été dissociées, s’aliénant de leur finalité ultime.
   Puisque les facultés fondamentales de l’esprit sont au nombre de trois – l’entendement (mens), le vouloir (animus) et la parole (sermo) – il est possible de parler de nature corrompue, dans le cadre d’une dissociation au niveau du langage, d’un désordre dans l’entendement et d’une dis­persion dans l’action. La corruption n’est ainsi que l’aliénation des facultés de l’homme, de cette humanitas propre au premier homme avant le péché ; elle n’a qu’un caractère psychologique et historique.
   L’entendement est corrompu par la prédomi­nance de l’opinion sur la raison, qui demeure dans une situation d’ignorance, victime de l’éton­nement et de l’imagination, exposé à la précipita­tion et à l’erreur. De son côté, l’animus est freiné par les passions, tandis que la parole se trouve en situation d’enfance, sans pouvoir exprimer de façon adéquate, digne, appropriée et non équivo­que l’objet propre de l’enten­de­ment (3).

Cette situation découle donc de l’absence de l’homme à lui-même, et du fait qu’il s’ignore ; ce qui explique le péché des parents, et générale­ment des adultes qui, au lieu d’amener les en­fants à la connaissance d’eux-mêmes, les con­damnent à rester figés dans leur situation d’aliéna­tion, comme s’il s’agissait de leur propre nature d’homme. L’état de péché qu’ils prétendent exis­ter chez les enfants n’est que la projection de leur propre péché.

Toute la conception de Vico repose sur le double sens du mot « nature ». Sans doute cela n’est-il pas sans prêter à équivoque, si l’on oublie sa conception générale de la grâce et du libre arbi­tre ; d’autant plus qu’il semble jouer sur les mots, puisque après avoir libéré la nature du péché, il met à l’origine de sa pédagogie la notion de natu­re corrompue.
   On serait tenté d’attendre de lui l’affirmation claire que la nature humaine est pure. Cepen­dant, il serait vain de chercher dans sa pensée une anticipation rousseauienne, non seulement parce qu’il tient à rester fidèle au dogme catholi­que, mais parce qu’il est aussi convaincu que la pureté n’existe qu’au niveau idéal, l’histoire des hommes demeurant toujours soumise à l’alié­na­tion. Il est impossible de le soustraire à la dia­lectique entre l’idéal et le fait temporel qui déter­mine l’histoire.

Nous indiquons comment Machiavel et Hobbes interviennent de manière décisive dans l’élabo­ra­tion de la pensée vichienne. Il convient aussi de souligner l’empreinte toute particulière laissée par Descartes. Le mot qui la laisse entrevoir, c’est celui d’« enfance ». Nous connaissons, en effet, la portée que l’enfance assume dans la méthode cartésienne, parce qu’elle désigne l’état d’irratio­nalité, dominé par l’opinion et le vraisemblable, d’où l’entendement doit s’écarter pour parvenir à la vérité (4), itinéraire qu’il exprime (avons-nous dit) par l’expression revocare mentem a sensi­bus.
   Il veut aussi libérer la mens, mais une diffé­rence existe entre les deux démarches, puisque Descartes n’a pas associé sa réflexion sur l’enfan­ce à une notion de péché. Même s’il a mis sa philosophie au service de la religion, il n’a pas confondu les deux niveaux, sa méthode demeu­rant purement rationnelle.
   Dans les Recherches, on trouve cependant, de façon indirecte, une allusion au péché : « Car nos sens ne voient rien au-delà des choses plus grossières et communes, notre inclination na­turelle est toute corrompue » (5), fait-il dire à Épistémon. À partir de ce texte, il est possible de dire que la corruption se situe non au niveau de la nature, mais de l’inclination. La raison apparaît corrompue, non en elle-même, mais dans sa situation à l’égard des sens et de l’opinion, qui l’obscurcit. C’est pourquoi elle peut et elle doit se séparer des sens, afin de devenir l’unique support du jugement.

Vico se situe dans la même perspective générale d’origine platonicienne et ficienne, se distinguant cependant de cette dernière par un aspect original qui a eu des conséquences très importantes en méthodologie. Au lieu de parler de la seule alié­nation de l’entendement dispersé au niveau des sens, il souligne, en effet, trois égarements : ceux de l’entendement, de l’animus et de la parole. Cette tripartition comporte une définition diffé­rente de l’homme.




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t311720 : 16/01/2019