ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
Ennio FlorisLa rupture cartésienne et la naissance
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Le De nostri temporis studiorum ratione (1708)8- Logique analytique et logique synthétique |
81- Méthode et logique |
Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
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’étude que je viens de faire de la double démarche critique montre que Descartes et Vico se sont inscrits dans le courant du platonisme. Vico s’est lui-même considéré comme platonicien, puisqu’il a reconnu dans le grand philosophe grec son premier maître à penser (1). Quant à Descartes, il aurait sans doute refusé cette parenté, n’aimant pas se définir par rapport aux autres. Cependant, le fait de reconnaître cette affinité dans leur système ne signifie pas qu’en soit reniée la profonde originalité, surtout si le platonisme est considéré moins comme un système philosophique que comme une exigence fondamentale de la pensée européenne. Ainsi Descartes et Vico ont-ils été des platoniciens, tout en se séparant de l’aventure personnelle du philosophe grec. Il est possible de préciser leur accord avec le platonisme, parce qu’ils ont donné la priorité à l’idéal sur le réel, contrairement à l’aristotélisme, autre élément fondamental de la philosophie européenne, où le concret prime sur l’universel. Cependant ce platonisme, comme forme de l’esprit, a pris chez l’un et chez l’autre un aspect différent selon l’approche de l’être et l’expérience du sujet pensant. Pour Platon, le problème de la connaissance jaillit d’une situation d’oubli, extérieure à la relation sujet-objet constitutive de la pensée. Malgré son égarement, le sujet n’a jamais perdu sa relation avec la vérité, qui ne demeure pas affectée par l’oubli. Dans la profondeur de son être, les connaissances qu’il a toujours eues demeurent. Connaître est un événement éternel qui coïncide avec la manifestation de l’idée. Le sujet parvient à se dégager de sa situation d’oubli quand il prend conscience que son savoir temporel est un non-savoir vis-à-vis de l’idée. Connaître, c’est revenir à l’idée ! Descartes et Vico ont fondé la connaissance sur la présence de l’idée dans une pensée qui est sujet. La connaissance est une rencontre entre le sujet et l’être par l’idée. Tandis que chez Platon le sujet pensant existait dans l’idée, chez Descartes l’idée existe dans le sujet. Objective dans sa relation à l’objet, l’idée a une existence subjective, exigeant d’être supportée par l’homme, de se révéler en lui. Tout l’enjeu de l’idée cartésienne repose sur cet aspect objectif et existentiel. Vico s’est séparé de Descartes dans la façon dont il a conçu l’ouverture de l’idée à la pensée. Pour le philosophe français, les idées se disposaient dans l’esprit selon le type d’une structure mécanique où les éléments simples se relaient pour constituer une unité complexe. Le sujet connaît les idées dans la mesure où il a l’expérience de leur vérité. Pour y parvenir, il doit ôter tout ce qui pourrait en empêcher ou en altérer l’approche, mais il ne peut ni agir sur les idées, ni modifier leurs relations, car qui dit expérience dit aussi appréhension pure, immédiate, sans aucune représentation. Dans l’étude de la méthode cartésienne, il convient de distinguer deux étapes : la première constituée par les Règles, la seconde par le Discours et les Méditations. Dans les Règles, Descartes a pensé que l’approche de la vérité était aisée et simple (4). Il ne s’était pas suffisamment arrêté sur l’obscurcissement de l’esprit par les préjugés de l’enfance. C’est pourquoi le doute n’a joué aucun rôle. Il y a fait allusion pour souligner l’évidence des principes et des « choses » simples, qui s’affirment même quand ils sont soumis au doute (5). Cependant une méthode était nécessaire pour que chacun pût parvenir à la même expérience. À partir de questions, il convenait d’analyser les termes, pour parvenir de proche en proche à l’intuition de cette idée simple, les unissant en unité composée. La méthode ne faisait ainsi que transposer au niveau de l’expérience la relation d’ordre qui reliait les vérités simples en une vérité composée (6). La vérité n’est pas une œuvre de l’homme, mais une découverte intérieure. Dans la seconde étape, Descartes a pris conscience que l’approche de la vérité n’était pas aussi simple. Jeune, il avait considéré la méthode comme un exercice de jeunesse. Adulte, il a découvert que le « je pensant » s’incarne dans un « je » psychologique encore trop faible pour pouvoir supporter l’effort de concentration de soi. Ainsi ses Règles, tout en demeurant toujours valables, se révélaient inefficaces si elles n’étaient pas assumées par un esprit éprouvé. Il convenait donc de les faire précéder par une expérience capable de conduire l’esprit à sa maturité. Il importe de remarquer que même cette seconde phase n’est pas logique, mais exclusivement méthodologique, puisque l’activité du sujet ne s’exerce que sur lui-même. En effet si le doute, sujet de cette crise, remet en question tous les jugements formulés par l’homme, ceux-ci n’étaient pour Descartes que des opérations, remontant moins à la pensée qu’à la volonté. b>Si le « je pensant » vichien avait, comme celui de Descartes, fixé ses regards sur son univers, il n’aurait rien pu voir. Pour reprendre l’image déjà employée précédemment, son univers est sans étoiles. Par la présence de l’être, l’homme a la capacité de voir, mais en réalité il ne voit pas. Il se tourne alors vers les faits de conscience, qui néanmoins ne sont pas les choses, car ils s’offrent à lui comme des signes, qu’il est contraint de « ramasser » (7), de réunir en symboles au moyen de formes qu’il dégage de l’idée de l’être. Ainsi, le sujet vichien s’approchait de l’être en produisant des représentations. Il est alors compréhensible que l’intention de Vico de « concilier » le cartésianisme et l’humanisme ait impliqué un conflit si radical qu’elle en a été compromise. En d’autres termes l’accord n’a pas suffi, un dépassement dialectique a été nécessaire : Vico s’est trouvé dans la nécessité de transposer la critique cartésienne du niveau méthodologique au niveau logique. Mais, dans la mesure où il est parvenu à y introduire des éléments cartésiens, celle-ci, à son tour, a été reniée dans son caractère formel. La faillite de cette intention conciliatrice rendit l’entreprise vichienne surprenante et féconde. |
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t312810 : 23/09/2017