ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



8-  Logique  analytique  et  logique  synthétique






81- Méthode et logique



La logique ou l’art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664





Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l’homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l’autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d’ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l’interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique
Méthode et logique
L’art de penser de Port Royal
  et la logique cartésienne
L’invention analytique et
  l’invention topique
Démarche pour une logique
  synthétique
La Topique comme logique
  d’invention
La Critique comme logique du
  jugement
La Méthode comme logique
  du discours

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


’étude que je viens de faire de la double démarche critique montre que Descartes et Vico se sont ins­crits dans le courant du platonisme. Vico s’est lui-même considéré comme platonicien, puisqu’il a reconnu dans le grand philosophe grec son pre­mier maître à penser (1). Quant à Descartes, il au­rait sans doute refusé cette parenté, n’aimant pas se définir par rapport aux autres. Cependant, le fait de reconnaître cette affinité dans leur sys­tème ne signifie pas qu’en soit reniée la profonde ori­gi­nalité, surtout si le platonisme est considéré moins comme un système philosophique que comme une exigence fondamentale de la pensée europé­en­ne. Ainsi Descartes et Vico ont-ils été des pla­to­niciens, tout en se séparant de l’aventure per­son­nelle du philosophe grec.

Il est possible de préciser leur accord avec le pla­to­nisme, parce qu’ils ont donné la priorité à l’idéal sur le réel, contrairement à l’aristotélisme, autre élé­ment fondamental de la philosophie euro­pé­en­ne, où le concret prime sur l’universel. Ce­pendant ce platonisme, comme forme de l’esprit, a pris chez l’un et chez l’autre un aspect différent selon l’approche de l’être et l’expérience du sujet pen­sant.

Pour Platon, le problème de la connaissance jaillit d’une situation d’oubli, extérieure à la relation sujet-objet constitutive de la pensée. Malgré son égarement, le sujet n’a jamais perdu sa relation avec la vérité, qui ne demeure pas affectée par l’oubli. Dans la profondeur de son être, les con­naissances qu’il a toujours eues demeurent. Con­naître est un événement éternel qui coïncide avec la manifestation de l’idée. Le sujet parvient à se dégager de sa situation d’oubli quand il prend con­science que son savoir temporel est un non-savoir vis-à-vis de l’idée. Connaître, c’est revenir à l’idée !

Descartes et Vico ont fondé la connaissance sur la présence de l’idée dans une pensée qui est su­jet. La connaissance est une rencontre entre le su­jet et l’être par l’idée. Tandis que chez Platon le sujet pensant existait dans l’idée, chez Descartes l’idée existe dans le sujet. Objective dans sa rela­tion à l’objet, l’idée a une existence subjective, exigeant d’être supportée par l’homme, de se ré­vé­ler en lui. Tout l’enjeu de l’idée cartésienne re­pose sur cet aspect objectif et existentiel.
   Chez les scolastiques, on distinguait le « con­cept formel », expression logique et repré­sentative de la chose, du « concept objectif », qui était la chose elle-même en tant que connaissable, et vis-à-vis de laquelle le sujet n’était que passif. Des­cartes n’a reconnu que le concept objectif, mais existant dans son objectivité dans le sujet pensant, entité à double nature, divine et humaine, éternelle et temporelle, située entre la chose et la pensée pensante (2).

Vico s’est séparé de Descartes dans la façon dont il a conçu l’ouverture de l’idée à la pensée. Pour le philosophe français, les idées se disposaient dans l’esprit selon le type d’une structure mécani­que où les éléments simples se relaient pour cons­tituer une unité complexe. Le sujet connaît les idées dans la mesure où il a l’expérience de leur vérité. Pour y parvenir, il doit ôter tout ce qui pourrait en empêcher ou en altérer l’approche, mais il ne peut ni agir sur les idées, ni modifier leurs relations, car qui dit expérience dit aussi appréhension pure, immédiate, sans aucune repré­sen­tation.
   Cette expérience a été appelée « méthode » par Descartes. Ce mot doit être saisi dans son sens propre, par opposition à celui de logique. En effet, une fonction est logique lorsqu’elle s’exerce sur les idées par une production formelle. Or l’activité méthodologique du « je pense  » cartésien ne s’exer­ce pas sur les idées, mais sur le sujet lui-mê­me, afin de le disposer à l’expérience de l’idée. Quant à cette expérience elle-même, il ne pourrait rien faire. Ainsi le sujet ne produit pas les idées, ni ne les modifie ; il agit seulement sur ses fantas­mes, sur ses préjugés, sur les sens, comme sur les produits de son imagination, afin de se rendre apte à cette approche intérieure (3).
   Il ne faut pas se méprendre en lisant dans ses œuvres les expressions « idée obscure », ou « idée claire et distincte », ou encore « intuition et déduction ». Dans les premières expressions, il ne s’agit pas de qualités affectant les idées elles-mê­mes, mais seulement leur approche, tandis que les secondes se réfèrent au mouvement de l’expérien­ce des idées, et non à une opération mettant en œuvre les idées elles-mêmes. L’univers idéel de Descartes est un ciel à étoiles fixes.
   Ceci nous aide à mieux saisir pourquoi Des­cartes avait éloigné la logique formelle de sa re­cherche de la vérité : la vérité ne peut être atteinte que par la méthode parce qu’elle est intuition, c’est à dire expérience intérieure de l’idée. Ainsi sa philosophie demeurait-elle une philosophie sans logique.

Dans l’étude de la méthode cartésienne, il con­vient de distinguer deux étapes : la première cons­ti­tuée par les Règles, la seconde par le Discours et les Méditations. Dans les Règles, Descartes a pensé que l’approche de la vérité était aisée et simple (4). Il ne s’était pas suffisamment arrêté sur l’obscurcissement de l’esprit par les préjugés de l’enfance. C’est pourquoi le doute n’a joué au­cun rôle. Il y a fait allusion pour souligner l’évi­dence des principes et des « choses » simples, qui s’af­firment même quand ils sont soumis au dou­te (5).

Cependant une méthode était nécessaire pour que chacun pût parvenir à la même expérience. À par­tir de questions, il convenait d’analyser les termes, pour parvenir de proche en proche à l’intuition de cette idée simple, les unissant en unité composée. La méthode ne faisait ainsi que transposer au ni­veau de l’expérience la relation d’ordre qui reliait les vérités simples en une vérité composée (6). La vérité n’est pas une œuvre de l’homme, mais une découverte intérieure.

Dans la seconde étape, Descartes a pris conscien­ce que l’approche de la vérité n’était pas aussi simple. Jeune, il avait considéré la méthode com­me un exercice de jeunesse. Adulte, il a découvert que le « je pensant » s’incarne dans un « je » psychologique encore trop faible pour pouvoir sup­porter l’effort de concentration de soi. Ainsi ses Règles, tout en demeurant toujours valables, se révélaient inefficaces si elles n’étaient pas assu­mées par un esprit éprouvé. Il convenait donc de les faire précéder par une expérience capable de conduire l’esprit à sa maturité.

Il importe de remarquer que même cette seconde phase n’est pas logique, mais exclusivement mé­thodologique, puisque l’activité du sujet ne s’exer­ce que sur lui-même. En effet si le doute, sujet de cette crise, remet en question tous les jugements formulés par l’homme, ceux-ci n’étaient pour Des­cartes que des opérations, remontant moins à la pensée qu’à la volonté.

b>Si le « je pensant » vichien avait, comme celui de Descartes, fixé ses regards sur son univers, il n’au­rait rien pu voir. Pour reprendre l’image déjà employée précédemment, son univers est sans étoiles. Par la présence de l’être, l’homme a la capacité de voir, mais en réalité il ne voit pas. Il se tourne alors vers les faits de conscience, qui néan­moins ne sont pas les choses, car ils s’offrent à lui comme des signes, qu’il est contraint de « ramas­ser » (7), de réunir en symboles au moyen de formes qu’il dégage de l’idée de l’être. Ainsi, le su­jet vichien s’approchait de l’être en produisant des représentations.
   Par ce point fondamental, Vico s’est séparé à la fois de Descartes et de Platon. Alors que la philo­sophie cartésienne est nécessairement intuitive, celle de Vico est signifiante et représentative. Pour Descartes, l’approche de l’être est si expéri­men­tale qu’elle se passe de la logique ; pour Vico, elle est activité logique.

Il est alors compréhensible que l’intention de Vico de « concilier » le cartésianisme et l’humanisme ait impliqué un conflit si radical qu’elle en a été compromise. En d’autres termes l’accord n’a pas suffi, un dépassement dialectique a été néces­sai­re : Vico s’est trouvé dans la nécessité de trans­poser la critique cartésienne du niveau méthodo­logique au niveau logique. Mais, dans la mesure où il est parvenu à y introduire des éléments car­té­siens, celle-ci, à son tour, a été reniée dans son caractère formel. La faillite de cette intention con­ciliatrice rendit l’entreprise vichienne surprenante et féconde.




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312810 : 23/09/2017