ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



6-  Le  vraisemblable  et  le  sens  commun






61- Des formes du style
au vraisemblable



La logique ou l’art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664





Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l’homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l’autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d’ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun
Des formes du style au
   vraisemblable

Le vraisemblable et le sens
  commun
Le sens commun et le vide
  dialectique
La négation du vraisemblable
  dans la méthode cartésienne
Les limites de la méthode
  cartésienne en face de la
  culture
La rupture cartésienne et la
  crise de l’humanisme

Le « cogito » cartésien et l’interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


es recherches que Vico a poursuivies sur les lan­gues française et italienne impliquaient, outre la philosophie du langage, des problèmes métaphysi­ques. Pendant la Renaissance et le Baroque, on s’était interrogé sur le rapport du style avec les choses, afin de saisir la valeur ontologique du lan­gage et de l’art.
   Concernant la première des deux formes de sty­le, celle par laquelle le discours s’ordonne à la pensée (dianoia), la solution apparaissait claire­ment, car la pensée ne pouvait que se rapporter à la chose.
   Au contraire, elle ne l’était pas pour la seconde forme car, en ne visant que l’œuvre, elle était plu­tôt destinée à mouvoir les esprits qu’à signifier les choses, son but étant d’enjoliver et de plaire. On y voyait un revêtement servant de décor et d’or­ne­ment à l’élocution, ou un moyen d’efficacité pour la persuasion oratoire. Aussi semblait-elle s’éva­nouir aussitôt qu’on s’enquérait de sa valeur onto­logique. En effet, à quoi pouvait-elle cor­res­pon­dre, si elle ne se situait pas en relation avec la pensée ?
   Tous étaient d’accord pour affirmer qu’elle se référait au vraisemblable, l’inscrivant ainsi dans le cadre de la théorie aristotélicienne de la poésie. Pour le philosophe grec, celle-ci était définie com­me une représentation de l’être « possible », c’est à dire tel qu’il aurait pu exister concrètement selon les données de l’expérience commune (1). Les hommes de la Renaissance et du Baroque emplo­yaient le mot « idole », car ils voulaient signifier ainsi que la poésie n’était qu’une imitation, et qu’elle se rapportait à la chose par une relation de vraisemblance et non de vérité. Comme la poésie, tous les arts étaient producteurs d’idoles, les arts imitatifs aussi bien que les arts techniques (2).

Étant donné le rôle important joué par les arts dans les époques de la Renaissance et du Baro­que, il n’est pas surprenant que celles-ci apparais­sent concernées davantage par la représentation du vraisemblable que par la recherche de la vérité. Les origines de l’humanisme le confirment.

Sans doute les humanistes se sont-ils intéressés à la forme tout autant qu’au contenu, mais il s’agis­sait précisément d’un contenu lié au style, décou­vert par la saisie de la forme. C’était un des points de rupture avec le Moyen-Âge. Tandis que les grands théologiens du XIII° siècle avaient cherché à comprendre la pensée des philosophes grecs en la dépouillant de son langage et en la soustrayant aux conditions historiques, les humanistes se sont rapprochés avant tout de leur langue et du style, en replaçant la pensée dans son propre contexte d’écriture. Ainsi n’ont-ils manifesté d’intérêt pour la pensée qu’au moyen de la recherche philo­logique.
   Ils s’éloignèrent donc de la métaphysique, et d’ailleurs sans regret, pour n’étudier que les œu­vres. Ils perdirent, sans doute, la vision ontologi­que des essences, mais ils réussirent à considérer les écrivains comme des personnes vivantes. La rencontre des hommes remplaça la contemplation de la nature des choses. Malgré la perte de la mé­taphysique, l’attention portée sur le concret hu­main fut un acquit révolutionnaire qui marqua la nouveauté des temps.
   De la fin du Moyen-Âge au XVIII° siècle, l’hom­me a progressé, en découvrant les zones multiples du domaine du vraisemblable, tout d’a­bord par l’occanisme, la philologie humaniste et la découverte de la politique, de l’économie et de l’histoire, ainsi que par l’intérêt porté à la méthode et à l’érudition. Même le probabilisme et la casuis­tique s’inscrivirent dans cet esprit. Délaissant la veritas, les humanistes avaient été attirés par la dignitas hominis.

Les temps creux comme les crises de l’humanis­me et du Baroque s’expliquent par l’écart qui s’é­tait produit entre la perte du transcendantal et l’absence d’une nouvelle restructuration de la vie et du savoir sur cette perception de l’être. D’où l’importance des querelles esthétiques qui mani­festaient les interrogations refoulées sur l’homme. Il est intéressant de rappeler le problème posé sur la poésie et sur l’art. Qu’est-ce que la chose (res) poétique et picturale ? En d’autres termes, y a-t-il de l’être dans le vraisemblable produit par la pein­ture et la poésie, comme par les autres arts ?
   Aristote avait parlé du « possible », mais puis­que les personnages n’apparaissaient que sur la scène ou dans les écrits, ils n’existaient pas mais faisaient le simulacre d’exister. Ainsi l’être de l’art n’était-il qu’apparence illusoire. Quelle puissance dans cette illusion ! L’homme s’y révélait de fa­çon beaucoup plus libre que dans la recherche de la vérité, parce qu’il s’affranchissait, en les domi­nant, des lois de la nature. Qu’importe s’il était faiseur de fables et s’il donnait une existence fic­tive ou fausse, puisqu’il pouvait rivaliser avec Dieu lui-même, qui se montrait dans sa création soumis aux exigences du vrai !
   Certes, tous n’étaient pas de cet avis. D’autres voulaient que l’œuvre soit au moins assujettie aux convenances du « croyable » topique, même quand elles étaient logiquement impossibles. Aris­tote leur offrait encore une formule suggestive : l’« impossible croyable » (3). Rendre croyable l’ab­sur­de ! N’était-ce pas faire du poète et de l’ar­tiste un démiurge capable de créer des êtres « merveilleux et sublimes » ?
   Mais pourquoi – insistaient en retour les autres – s’arrêter aux limites du « croyable » ? Il fallait créer des idoles tout à fait libres des conditions imposées non seulement par la logique, mais aussi par la topique. On parviendrait alors à rendre pos­sible l’incroyable au même titre que l’absurde. Ainsi la poésie et l’art deviendraient-ils créateurs de l’objet et de son espace, qui surgiraient de la di­mension négative de l’absurde et de l’in­croyable. Le problème du vrai et du faux poé­ti­ques se si­tuait au-dessus du vrai et du faux, du croyable ou de l’incroyable, rejoignant le sublime. Il n’était définissable que par rapport à lui-même.

Ces problèmes avaient été également soulevés par Vico, que nous retrouverons plus tard parmi les défenseurs de l’incroyable possible. Dans cette page du De ratione, il a abordé le problème du vraisemblable à un niveau plus fondamental, dans le cadre des considérations sur les langues fran­çaise et italienne. Si la première est déterminée par la relation à la pensée, ou « vérité », et l’autre par la forme ne se rapportant qu’au vrai­sem­bla­ble, qu’est-ce que le vraisemblable ? Nous re­trou­vons au niveau philosophique le problème que nous avons déjà examiné au niveau de la critique du style. Ramenant la querelle à son véritable problè­me de fond, Vico a voulu indiquer le point de dé­part d’une critique en profondeur des deux métho­des.




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312610 : 12/09/2017