ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Ennio FlorisLa rupture cartésienne et la naissance
|
Le De nostri temporis studiorum ratione (1708)6- Le vraisemblable et le sens commun |
64- La négation |
Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
|
u sujet de la méthode cartésienne, Vico a déclaré qu’elle tendait à « émonder la vérité première non seulement du faux, mais aussi de tout soupçon d’erreur, nous obligeant à chasser de l’esprit des vérités secondes et la vraisemblance au même titre que le faux » (18). Vico ne pouvait pas employer de verbe plus adapté pour exprimer la façon dont Descartes avait traité la dialectique : il ne l’a pas reniée, il l’a mise à la porte, la chassant du domaine de la pensée. Nous nous rapporterons à la dixième règle, où Descartes, recherchant les origines de sa méthode, est parvenu à pénétrer le naturel de son propre ingenium. Il a affirmé qu’il éprouvait naturellement de la volupté, non à l’écoute des raisonnements des autres, mais dans ses propres découvertes. Aussitôt qu’il en venait à connaître des recherches nouvelles, il tentait de les retrouver par lui-même. Il comprit alors qu’il avait été doué d’une sagacité particulière, dont l’usage répété le persuada qu’il existait un ordre dans l’articulation de la pensée. Du fait du caractère formel de la « dialectique », entièrement extérieure au rapport de vérité, il ne restait à Descartes qu’à la mettre poliment en dehors de la méthode, la confinant à la rhétorique dont la tâche était précisément d’adapter la vérité à la psychologie des gens (20). L’exclusion de la dialectique de la philosophie aurait pris moins d’importance si Descartes l’avait définie comme Aristote. En effet la dialectique, au sens aristotélicien, avait été séparée de la philosophie pour être assimilée à la rhétorique, dès la fin du XV° siècle. Puisque ainsi il entendait désigner la logique formelle, c’est l’ensemble de l’Organon aristotélicien, comprenant la topique et la logique, que Descartes a écarté de la philosophie. Ainsi le cartésianisme de Descartes n’a-t-il pas seulement été une philosophie sans rhétorique (21), mais aussi sans logique, celle-ci ayant été remplacée par la méthode. Nous serons amenés à revenir sur ce problème dans l’analyse du De italorum sapientia, où Vico a mis en relief l’absence de la logique dans la méthode cartésienne. Nous nous limiterons ici à étudier l’assimilation faite par Descartes entre la logique et la dialectique. Il est possible de dire que Descartes s’est séparé d’Aristote parce qu’il concevait la dialectique à la manière de Platon, découvrant seulement les structures formelles de la pensée. Toutefois, en la rejetant de la méthode, il manifestait une exigence idéaliste beaucoup plus radicale que celle de Platon. En effet le philosophe grec s’opposait aux sophistes par l’emploi d’une dialectique dans les formes d’argumentation qui, par leur exactitude, démasquaient le vice caché dans leurs discours (22). En passant des Règles aux Discours, la mise au ban de la dialectique revêt la forme d’un drame pour une phénoménologie générale servant d’introduction à la méthode. Descartes mettait en scène l’humaniste type, voué à la lecture des anciens chez qui il recherchait la réponse à ses propres interrogations, aussi attentif à l’écoute des autres qu’il était fermé à la recherche de lui-même. Mais sous ce masque se cachait l’homme nouveau qu’il avait retrouvé en lui-même, capable de se frayer un chemin vers la vérité par l’introspection intuitive. Réfléchissons à ce premier aboutissement. Bien que le vraisemblable n’ait pas encore été déclaré faux, il était pratiquement considéré comme tel. Ambigu, il ne pouvait, en devenant opératoire, qu’engendrer l’erreur. Notons aussi qu’en remettant en question la méthode humaniste, Descartes rejetait la philosophie qui, pour lui, ne tendait qu’à « parler vraisemblablement de toute chose » (24). Le vraisemblable constituait donc l’enjeu du drame méthodologique. Ayant rompu avec les livres, Descartes s’est alors adressé « au grand livre du monde » (25), c’est à dire au contact avec les hommes vivants, les rencontrant dans leurs pays et dans le contexte de leur propre culture. La scène changeait, transportant la critique des livres dans la conscience populaire. Cependant l’image du livre maintenait l’unité profonde des deux scènes. On retrouve ici la source du vraisemblable que Cicéron avait nommée « coutume », Aristote « endoxa », et Thomas d’Aquin « sensu communis ». L’idée du vraisemblable se faisait ainsi plus distincte et claire : « Je pensais qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je réputasse comme globalement faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute » (26). Les deux scènes manifestent l’aptitude de l’esprit qui, en se fondant sur l’existence par la culture et le vécu, recherche la certitude. Cette aptitude pourrait être ainsi formulée : « sum, ergo cogito ». Or le sum ne se révèle pas suffisant pour fonder la certitude. La conscience la recherche en s’appuyant uniquement sur le cogito. C’est le moment le plus tragique de l’itinéraire car, ayant abandonné le vraisemblable et ne possédant pas encore le certain, la conscience se trouve en suspens. Pour éviter de se perdre, il ne lui reste qu’un acte négatif, assumant la non-valeur du vraisemblable et le faisant objet de sa propre négation. |
|
t312640 : 15/09/2013