ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLa rupture cartésienne et la naissance
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Le De nostri temporis studiorum ratione (1708)6- Le vraisemblable et le sens commun |
65- Les limites de la méthode |
Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
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n prenant la défense du vraisemblable, Vico n’entendait pas remettre en question la valeur épistémologique de la méthode. Toutefois, il lui aurait été impossible de donner à sa défense une justification valable sans freiner la méthode dans sa prétention méthodologique et sans la contraindre à se tenir rigoureusement dans ses propres frontières. Vico ne s’est pas opposé à ce qu’elle chasse la dialectique et la rhétorique de son domaine propre. Vico n’a sans doute pas employé cette métaphore, mais il a affirmé à plusieurs reprises que « puisque aujourd’hui, l’unique finalité des études est la vérité, nous recherchons la nature des choses qui nous apparaît certaine ; mais nous négligeons de rechercher celle des hommes qui, déterminée par l’arbitre, est la plus incertaine de toutes » (28). Cette critique n’aurait pas pris ce caractère polémique et passionné que nous retrouvons dans les autres œuvres de Vico, si le cartésianisme avait reconnu ses limites. En fait, bien que proposée par Descartes comme méthode personnelle, elle devint non seulement le fondement de la science et de la philosophie, mais elle prétendit aussi renouveler les assises de la culture. Cela n’a pas étonné Vico : ayant retrouvé les origines de la méthode dans le génie du peuple français et de sa langue, il a pu contester les prétentions de la méthode avec la même assurance par laquelle il s’était opposé à celles de la langue française. Le passage de la méthode du niveau philosophique au domaine de la culture, sa prétention d’atteindre l’homme complet, l’a poussé à transformer sa critique en combat. C’est ainsi que le De ratione a pris la valeur d’un manifeste. Il convient d’abord de se demander si la méthode cartésienne est capable, par son objet, de nous conduire dans la recherche et dans la formation de notre conscience historique. Reprenons l’itinéraire du cogito. Bien que Descartes ait mis en doute sa propre conscience historique, celle-ci semblerait surgir à nouveau dans le sum que pose le cogito. Mais ce sum possède-t-il une valeur historique ? Vico n’a vu, semble-t-il, qu’un rapport logique, constituant le primum verum fondement du système philosophique. Puisque le sum constitue avec le cogito un des termes d’une relation d’évidence, il n’est pas, à proprement parler, un fait d’existence, mais un rapport d’intelligibilité d’être. Il s’agit, en effet, d’un esse qui ne possède aucune épaisseur temporelle, puisqu’il est mesuré par l’actualité du cogito ; ce n’est pas l’existence d’un homme vivant dans le monde, parlant avec les autres, mais du « je » pensant, support de relations idéales et abstraites. Il est sujet de rapports logiques et non d’actes, de science et non d’histoire. Alors que le cogito pourrait se réjouir d’avoir saisi sa propre existence, celle-ci ne pourra que se plaindre d’avoir été soustraite à son être au monde. La contestation de Vico a moins été dirigée contre Descartes que contre les cartésiens qui voulaient vivre en hommes critiques (critici). Il est allé jusqu’à s’inspirer du texte cartésien que nous venons de citer, en représentant cet homme critique comme orateur au sein d’une cause. Quelle attitude prendra-t-il, quand il devra fournir une solution rapide à une situation douteuse n’offrant aucun fondement de vérité ? À l’opposé du maître, qui se serait contenté d’une solution vraisemblable dans une situation d’expérience, cet homme critique ne pouvait dire autre chose que « permets que je pense sur cette affaire ». Et tandis qu’il pensait, la chose se passait sans lui, et sans sa vérité ! Humour ! Sans doute, bien qu’il soit rare chez Vico. Par ce biais, il est parvenu à mettre en échec la méthode en face du vraisemblable, et par conséquent de la praxis. L’ego critique ne peut que penser vrai, tandis que l’ego historique ne peut être que producteur de vraisemblable, parce que la chose dont s’occupe la pensée critique est une relation nécessaire entre les idées, tandis que la cause vraisemblable dont s’occupe, par exemple, l’éloquence « est totalement entre nous et les auditeurs » (30). Il s’agit d’une réalité de relation, dont le rapport n’est pas la mesure, mais la conscience historique de l’homme. Si Descartes a laissé un vide théorique rejoignant celui d’Aristote et de Platon, les cartésiens, selon Vico, ont, pour remplir ce vide, amené par la méthode elle-même la culture à sa propre mort. Des Discours à la Science nouvelle et aux Lettres, on retrouve chez Vico la même plainte contre une philosophie et une méthode qui ravageaient la culture au fur et à mesure qu’elles s’imposaient et dominaient. Sa plainte est devenue d’autant plus véhémente, et – dirai-je – pleine d’accents lyriques, qu’elle était inefficace. Je rapporte les derniers accents de cette plainte, tirés de la lettre à S. Estrevan. Nous sommes ici bien loin du temps où Vico écrivait le De ratione, mais ces paroles se relient à ce livre avec la continuité de l’échec et du désespoir. Jetant un regard sur la situation de la culture, il constate qu’on a condamné les langues latine et grecque, ainsi que l’étude des langues « qui sont le véhicule au moyen duquel se transmet en ceux qui les parlent l’esprit des nations... Aussi condamne-t-on l’enseignement des orateurs qui seuls peuvent nous faire entendre le tonnerre par lequel la sagesse parle, et condamne-t-on aussi celui des historiens dont on peut espérer qu’ils soient les véritables conseillers des princes sans crainte et sans adulation. Enfin condamne-t-on celui des poètes, sous le faux prétexte qu’ils disent des fables, sans penser que les meilleures fables sont les vérités les plus proches du vrai idéal... À la suite de la méthode de Descartes, on avait suivi la critique métaphysique et la critique d’érudition, en négligeant celle du « libre arbitre », qui conduit à l’analyse du « coeur humain ». Par cette analyse, l’homme préjuge de ses actions à partir de la situation où il se trouve. Écœuré et renfermé dans une solitude qui lui pesait, Vico s’est senti, dans cette dernière période de son existence, si éloigné de Descartes qu’il a trouvé sa Science nouvelle dans la continuité des Raisons du cœur de Pascal (32). Renonçant aux lumières du Grand siècle qui pointait, Vico s’est inspiré des lumi sparsi du solitaire de Port-Royal. |
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t312650 : 15/09/2017