appelant l’influence de Valla sur son orientation humaniste, Vico écrit de lui-même dans l’Autobiografia : « Il fut poussé à cultiver la langue latine qu’il étudia à partir des écrits de Cicéron après une lecture des Élégances latines de Lorenzo Valla, reprises de l’œuvre des jurisconsultes romains » (1). C’était à la veille de son départ pour Vatolla.
Envoûté par l’esthétique précieuse du Baroque selon l’esprit de l’époque, le jeune Vico était alors loin d’apprécier les anciens de la littérature latine et italienne. Il aimait, comme les gens de son âge, les concetti (locutions sentencieuses) et les arguzie (sentences à surprise). Les compositions poétiques dans ce style lui offraient l’occasion de s’évader des subtilités et de l’aridité de la logique de l’école. Aussi avait-il composé un bref poème sur la Rose, sujet devenu classique dans toute la tradition du Baroque et de l’Arcadie (2).
La lecture des introductions valliennes aux Elegantiarum libri exerça sur lui une influence décisive. Il se retira dans la forêt de Vatolla comme dans un noviciat, se consacrant au culte des anciens. Il partagea ses études entre la littérature latine et l’italienne, associant les trois grands du Trecento italien, Dante, Pétrarque et Boccace, aux trois auteurs du classicisme latin, Cicéron, Horace et Virgile. Par cette méthode, il empruntait la voie royale de Bembo en y associant, néanmoins, Dante. Tout en menant simultanément l’étude des deux langues, Vico demeurait fidèle aux idéaux de Valla, car ses préférences allaient vers le latin, langue modèle (3).
Par la suite, de retour à Naples, il choisit d’abandonner l’italien (le toscan), et également de ne pas apprendre le français (4). Cette décision indique que Vico donna son adhésion à un humanisme radical, l’amenant à rompre avec le Baroque et le Cinquecento, pour ne s’inspirer que du Quattrocento. Il voyait l’incarnation du langage et de l’humanitas dans le latin. Par cet esprit, il entra en conflit avec le renouveau littéraire, introduit à Naples par Buragna et Leonardo di Capio pour l’italien, et Thomas Cornelio pour le latin. En eux, il critiqua moins le style que le manque d’idéal qui avait animé les grands humanistes. Il a reconnu que Buragna et di Capio avaient abandonné le formalisme baroque, mais il les a accusés cependant de s’en être tenus aux modèles de second ordre, tels que della Casa. Quant à T. Cornelio, il lui a reproché de ne pas rehausser son style par la grandeur rayonnante des auteurs latins (5).
Même louables, les deux réformes manquaient d’esprit. La décision de devenir orateur avait mûri à la suite de ses réflexions, ainsi que j’ai eu l’occasion de le dire dans la première partie. Il a voulu insuffler dans l’esprit critique des jeunes, dépourvu de poésie, un peu de la passion héroïque qui était la marque de l’humanisme de Valla.
Ce choix et ces préférences jetèrent et jettent encore des ombres sur lui, parce qu’il peut apparaître comme en porte-à-faux avec son époque. Mais le génie ne se soumet à son temps que lorsque celui-ci est à sa mesure. Or Vico a cherché à mettre son époque en accord avec le temps qui s’accomplissait dans son esprit, par la rencontre de l’humanisme du Quattrocento avec l’esprit critique. Il n’a pas étudié les anciens pour s’enfermer dans le passé, il s’est engagé pour l’homme nouveau.
Sa participation à la querelle des langues doit être comprise dans le cadre de cette lutte. Par ses antécédents culturels, il n’est pas surprenant que Vico se soit particulièrement senti concerné par la querelle. Mais était-il en mesure d’y répondre ? En effet, il avait étudié la littérature italienne, mais il a semblé ignorer le français qu’il n’a pas voulu apprendre. Je ne pense pas qu’il faille trop insister sur cette confession parce que le refus d’apprendre le français n’a pas établi son ignorance de la grammaire et de la syntaxe, ni même son incompréhension du texte. De même que l’interruption de l’étude du toscan pour se consacrer exclusivement au latin n’a pas signifié qu’il n’a pas su lire ni écrire en italien. L’autorité avec laquelle il est intervenu dans la querelle des langues indique qu’il avait du français une connaissance grammaticale suffisante pour en juger, tout en ne sachant ni le parler ni l’écrire.
La polémique des langues a toujours joué sur l’équivoque, confondant les deux niveaux linguistique et stylistique. Elle a manifesté aussi que les stylistes ont jugé l’italien à partir des prérogatives du français, ou celui-ci à la lumière de l’italien. On jugeait de l’excellence d’une langue sur une autre, sans avoir de principe critique de comparaison. Or, Vico a fondé la confrontation sur une base philosophique. Sans doute s’est-il servi des contributions des autres, mais il a eu le mérite de transformer la querelle en un problème de langue et de culture.