près avoir parlé de l’ingéniosité et de la spiritualité du génie des deux peuples, Vico les a précisées par rapport aux deux langues respectives. « Nous louons nos orateurs – dit-il – parce qu’ils parlent dans un discours bien composé, ordonné et élégant, tandis qu’eux (les Français) louent les leurs en ce qu’ils parlent vrai » (21). Je commencerai par rechercher le point d’impact de l’ingéniosité et de la spiritualité au niveau de la langue.
Vico a mis en évidence deux niveaux de la langue : la pensée (parler vrai) et la forme (discours ordonné et élégant). Il s’est référé au passage de la Rhétorique d’Aristote, où le style (lexis) est distingué en fonction de la pensée (dianoia) et de la forme (skema). L’axe de la pensée est articulé autour de la phrase et du récit, tandis que celui de la forme l’est par le rapport de similitude des mots. Le premier est la proposition (l’entymène) en tant qu’instance de signification, le second en tant qu’instance d’expression, fondé sur l’antithèse, sur la métaphore et sur la forme du discours (22).
Aristote a inscrit ce double aspect du discours dans l’opposition entre la pensée et la forme, bien qu’à la rigueur, ainsi qu’il le reconnaît lui-même, la relation à la pensée exige aussi une forme. Il conviendrait plus précisément de parler d’une double forme du discours, qui serait signification et expression.
Vico s’est référé à cette théorie aristotélicienne, dans les Institutiones rhetoricæ, en distinguant trois niveaux dans la langue : la diction (lexeos), la signification (significatio) et la composition (comparatio), qui correspondaient aux domaines phonétique, sémantique et syntaxique (23). Désignant ce dernier du mot comparatio, il le laissait dans l’ambivalence du rapport de voisinage des mots dans l’instance syntagmatique, et de leur valeur par la relation de similitude. De plus, convaincu que la langue est un produit de l’intelligence, il voyait dans ces deux axes, l’un l’œuvre de l’esprit, l’autre de l’ingenium.
Cette première contribution vichienne à la philosophie du langage mérite d’être soulignée. Tout le monde avait reconnu dans le langage la marque la plus éminente du pouvoir créateur de l’homme. À ce propos, les humanistes et les stylistes, Galilée et Descartes, ont eu des paroles étonnantes. Cependant Vico a cerné de plus près cette œuvre admirable du langage, en y reconnaissant l’empreinte du double processus de création logique et artistique.
À partir d’Aristote, tous les rhétoriciens avaient fondé le style sur la pensée et sur la forme, mais Vico a inscrit cette relation au niveau de la langue elle-même. En outre il en a trouvé le fondement philosophique dans l’opposition entre l’esprit et l’ingenium. Sans doute tout était-il à repenser, tant au niveau de la langue que de l’esthétique, mais Vico avait-il déjà franchi le mur de la rationalité ?