ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



5-  Langue  et  méthode






56- L’italien, langue d’art



Magnum Dictionarium, de P. Danet, 1691





Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l'homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l'autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d'ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues

Langue et méthode
Sur les traces de Valla
Le génie et la langue
L'ingenium et l'esprit
Ingéniosité et spiritualité de
  la langue
La spiritualité du français
L'italien, langue d'art
Finesse et sublimité
Culture et créativité de la
  langue
Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l'interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


lors que le français se fonde sur les relations dis­tinctives du sens, l’italien s’appuie sur les relations de similitude. Alors que le premier est une langue abstraite, le second est une langue concrète, née plus pour « susciter des images » que pour signi­fier des concepts. Le français a couronné une tra­dition linguistique tendant à subordonner l’expres­sion à la signification, l’italien, par contre, a mar­qué l’aboutissement d’un travail stylistique orienté essentiellement vers l’expression.
   Selon la théorie aristotélicienne du style, l’italien trouve sa perfection dans la métaphore, tandis que le français s’adapte aux formes de l’ar­ticulation du sens. Puisqu’il s’agit d’une méta­phore au-delà des limites du raisonnable, synthèse imaginative et créatrice, la langue italienne s’ap­parente aux arts tels que la peinture, la sculpture, l’architecture et la musique par lesquels l’Italie a excellé, selon Vico, parmi les nations (32).

Vico a fait allusion aux arts en réponse à une insinuation du P. Bouhours, pour qui la langue italienne « songe plus à faire de belles peintures que des portraits, et parce que ses tableaux plaisent, elle ne se soucie pas trop qu’ils res­semblent » (33). Ces remarques se justifient par la culture française, dans laquelle les arts ne trou­vaient qu’une place subordonnée, et qui avait une fonction plus littéraire qu'expressive. Il est pos­sible que le P. Bouhours se soit laissé gagner par la finesse et la spiritualité de la langue française que Clouet avait transposée dans ses portraits. Aussi s’est-il penché sur la littérature italienne sous l’influence de la littérature baroque, dont le but était éminemment pictural.
   Mais comme à l’habitude, sans tenir compte de la médisance, Vico s’est attaché à rechercher un fond de vérité. En effet, si la culture française avait un caractère littéraire, l’italienne était pic­turale. La parole d’Horace « ut pictura poesis », devenu l’axiome de la Renaissance, pouvait en exprimer l’âme (34). Vico a eu conscience qu’il était possible de retrouver dans l’histoire de sa culture, avec des poètes et des écrivains, des pein­tres, des sculpteurs et des architectes, et, à son époque, des musiciens, qui avec des symboles différents parlaient tous le même langage. Comme les peintres étaient presque toujours des scul­pteurs et des architectes, ils ont été souvent des poètes et des écrivains qui peignaient et scul­ptaient sous la direction de lettrés et de poètes.

Il est regrettable que Vico se soit borné à sou­ligner le caractère artistique de la langue italienne, sans se soucier d’en mettre en relief les préroga­tives comme il l’avait fait pour la langue française. Sans doute l’a-t-il laissé deviner, puisque la dia­lectique des deux langues sous-entend que l’une est abstraite et l’autre concrète. Si le français est arbitraire, l’italien ne peut être que motivé ; si une langue est œuvre de l’esprit, l’autre l’est de l’in­genium.

La ligne de partage des deux langues passe par la métaphore. Tandis que le français s’en tient à des métaphores raisonnables, l’italien retrouve dans la métaphore elle-même l’instrument de sa propre création. Langue « toujours en acte, elle trans­porte l’esprit des auditeurs dans les choses les plus lointaines et les plus reculées par la puis­sance des similitudes » (35).

Le mot « en acte » (actuosa) transfère sur la langue italienne une qualité propre à la métaphore. Vico l’a repris de la Rhétorique d’Aristote, mais il l’a aussi retrouvé dans les courants esthétiques de la Renaissance et du Baroque. Par le mot « ener­geia », Aristote voulait désigner une métaphore « qui met la chose sous les yeux », c’est à dire qui ne joue pas seulement le rôle de signe signi­fiant, mais de symbole poétique représentatif de la chose. Or la métaphore serait surtout « en acte » quand il s’agit d'animer les choses matérielles en leur donnant une personnalité et une action (36).

Vico a fait de la métaphore « en acte » le fonde­ment de la philosophie du langage. Il l’a considé­rée alors comme une forme active et créatrice de la langue, et non comme une figure du discours. « Langue toujours en acte » signifiait langue « métaphorisante », poussée par une fureur poéti­que l’obligeant à transgresser au niveau du syn­tagme les lois propres à son système sémantique. Elle se dérobait aux contraintes lexicales et synta­xiques pour créer des mots nouveaux et de nou­velles liaisons au niveau de l’expression. Cette fureur était sans doute l’ingenium.

Ingenium et esprit, métaphore et signification. Vico parlait alors de cette opposition en linguiste et en esthète, mais il pensait déjà dépasser ces limites en découvrant la cause et la solution de l’opposition des méthodes. Cette œuvre de « con­ciliation » n’apparaîtra pas secondaire et presque épisodique lorsque l’opposition entre l’esprit et l’ingenium mettra en conflit avec les langues la philologie et la philosophie, l’existence et l’es­sence, ainsi que le « mens hominis » et le « mens dei ».




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312560 : 08/09/2017