ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



5-  Langue  et  méthode






57- Finesse et sublimité



Magnum Dictionarium, de P. Danet, 1691





Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l'homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l'autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d'ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues

Langue et méthode
Sur les traces de Valla
Le génie et la langue
L'ingenium et l'esprit
Ingéniosité et spiritualité de
  la langue
La spiritualité du français
L'italien, langue d'art
Finesse et sublimité
Culture et créativité de la
  langue
Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l'interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


armi les Pensées ingénieuses du P. Bouhours, l’une d’entre elles a attiré tout spécialement l’at­tention de Vico : « En matière d’esprit, ce n’est pas le grand et le sublime qui plaît à proprement parler ; c’est ce je ne sais quoi de fin et de délicat » (37). Vico est revenu deux fois sur ce passage : la première pour s’approprier l’expres­sion « je ne sais quoi de fin et de délicat », la seconde pour retrouver dans la sublimité et la finesse les caractéristiques des deux langues, en affirmant que le français est « autant dépourvu de sublimité et d’ornement qu’il supporte avec ai­sance la délicatesse » (38). Au contraire, le style sublime et orné serait un caractère propre à l’ita­lien. Cette inférence aurait sans doute déplu au P. Bouhours, mais elle était conséquente.

Vico a traduit les mots « délicat et fin » par « te­nuis et subtilis », qu’il a empruntés à Cicéron, indiquant ainsi qu’il cherchait à expliquer la diffé­rence stylistique des deux littératures à la lumière de la rhétorique cicéronienne. En effet, selon l’orateur romain, les styles de l’éloquence étaient au nombre de trois : la forme ample (amplus – plenus), la forme délicate et fine (tenuis – sub­ti­lis) et la forme modérée (mediocris), médiane entre les deux premières (39). Mais en raison du syncrétisme de cette dernière forme, il est possible de ne parler que de deux styles : l’ample et le déli­cat.

Le premier aboutit à un discours abondant et ma­jestueux, grave et véhément, varié et apte à con­vertir les esprits ; le second réclame un discours subtil, concis et dense, recherchant moins l’émo­tion que l’explication. On peut aisément retrouver dans ces deux styles la bipartition aristotélicienne du discours. En effet, ces deux formes avaient constitué la ligne de partage de courants littéraires de l’Antiquité : en Grèce entre Démosthène et Ly­sias, à Rome entre Cotta et Sulpicius, Cicéron et Quintilien.
   En s’appropriant ce critère littéraire, Vico a mis la littérature française dans la continuité du style de Lysias et de Quintilien, et la littérature italienne dans la dépendance de Démosthène et de Cicé­ron. En effet, les Français « recherchent une élo­quence semblable à leur langue, fondée sur la vérité seule et la finesse du discours, régie par la vertu de l’ordre » (40). Concise comme une définition, cette phrase met en lumière la pré­dominance de la pensée sur la forme, de l’arti­culation du sens sur l’expression, de la finesse sur l’ornement.

En Italie, le style a été aussi à l’image de la lan­gue, orné et ample, grand et véhément, élégant et majestueux. À ce propos, Vico a tracé une rapide esquisse, en classant les auteurs de la littérature italienne selon le caractère de leur style, en les rapprochant d’auteurs grecs et latins. Dans le style ample et orné, il a classé Hérodote, Tite-Live et Guicciardini ; dans le style grand et véhément, Thucidide et Salluste ; lui sont apparus élégants Boccace et Pétrarque ; enfin majestueux Homère et Virgile, Ariosto et Tasso (41).
   Dans cette classification, il convient de remar­quer l’absence de Machiavel, qui aurait dû être cité avec Salluste. Cette absence manifeste, une nouvelle fois, l’opposition de Vico à l’auteur de la « politique perverse ». Plus significative encore est l’omission de l’œuvre de Dante, qui s’explique parce que Vico, encore lié au goût esthétique du temps, n’a pas vu en Dante un maître de style. Rangé parmi les primitifs, Dante sera redécouvert par Vico lorsque les peuples dans leur jeunesse lui apparaîtront comme les véritables poètes.

La comparaison entre l’italien et le français a été dominée par une conception baroque du style. Vi­co a opposé aux « très fins et très subtils Fran­çais », les très « aiguisés » (scuti) ou « subli­mes » Italiens. Or le mot « acutus » est la marque de l’esthétique baroque, fondée sur l’acuité et la métaphore. Cette comparaison semble indiquer une contradiction, car Vico avait fondé la distinc­tion des deux littératures sur l’opposition des pré­rogatives de style qui se trouvaient en chacune d’elles. N’y a-t-il pas, en français comme en ita­lien, des auteurs du style ample et orné, et d’au­tres du style fin et délicat ?

Sans doute, pour juger les deux littératures, Vico s’est-il servi d'une méthode propre à toute la criti­que humaniste et classique. On jugeait les auteurs en prenant pour critère les formes mêmes qui avaient constitué leur idéal. Dans des temps plus anciens, chez Démétrius de Rhodes, par exem­ple, les formes idéales de style étaient au nombre de quatre : grand, simple, élégant et fort. Par la suite, elles avaient été réduites à deux : l’élégant assimilé au simple, le fort au grand. Ainsi cette opposition fournissait une grille critique per­met­tant une approche comparative des œuvres, sans prétendre néanmoins à une classification rigou­reuse. En France et en Italie, elle avait servi de support à une étude parallèle de leurs littératures avec la littérature latine. En France elle avait été exploitée par Fénelon, en Italie par Tasso, entre autres (42).

Chez Vico, l’usage de cette grille non pour juger des auteurs, mais des langues et des cultures, fait problème. Bien qu’implicite dans la querelle, cette extension apparaît nouvelle et originale. Cepen­dant, Vico en avait déplacé le fondement. En ef­fet, chez Cicéron comme chez Tasso, la distinc­tion des deux styles ne concernait pas l’élocu­tion (43). L’ampleur et la finesse n’étaient donc que le revêtement de la pensée au niveau du dire. Au contraire, Vico a déplacé la distinction de l’élocution à l’invention, du modus dicendi à la figure fondamentale de la langue et à l’ingenium. Ainsi l’ampleur et la finesse devenaient-elles le moment dialectique de l’esprit humain et s’oppo­saient-elles et se recoupaient-elles selon les diffé­rents niveaux.





Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312570 : 08/09/2017