ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



2-  La  controverse  des  Anciens  et  des  Modernes
et  la  conscience  historique






21- L’humanisme et l’étude
des Anciens



La logique ou l'art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664





Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l’homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l’autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d’ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique
L’humanisme et l’étude des
  anciens

Maniérisme et première querelle
  des Anciens et des Modernes
La révolte baroque
Jeunes et adultes

La nouvelle science

La controverse des langues

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l’interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


a controverse des anciens et des modernes n’est pas spécifique d’une époque, car on la retrouve toujours au commencement de chaque période historique. Elle marque le passage d’une culture en voie de dépérissement aux perspectives ouver­tes par une culture naissante, indice à la fois de la continuité et de la rupture de l’histoire. Mais pour bien les comprendre, il convient de distinguer en­tre niveau des faits par lesquels elle est histoire et niveau de prise de conscience, où elle se trans­forme en polémique et en controverse.

En dépit de ce caractère général, on a coutume de voir sous l’étiquette « dispute » ou « querelle des anciens et des modernes » le problème tel qu’il avait été posé et ressenti à la fin du XVII° et au commencement du XVIII° siècles (1). Sans doute cette habitude est-elle justifiée, dans la me­sure où cette dispute permet de saisir, comme le montre bien Hazard, la crise profonde qui a précédé l’acquisition de notre modernité (2).

Cependant, je m’occuperai de la querelle exclusi­vement dans les limites consenties par ma recher­che, visant moins les faits ou les polémiques que la prise de conscience d’une rupture historique. Ma préoccupation est de savoir dans quelle me­sure le divorce entre les modernes et l’humanis­me, dénoncé par Vico, répond à la conscience du siècle.

Chez les humanistes du premier Quattrocento, par exemple chez Valla, les anciens sont désignés par le mot « majeurs » (majores), qui provient de la latinité, ce qui indique que la relation entre les anciens et les modernes était conçue comme un rapport fraternel au sein d’une famille (gens) de culture. Par rapport à l’expression « Pères de l’Église », celle-ci place les modernes face aux anciens dans une relation plus libre et plus cri­tique de frères cadets vis à vis des aînés.

Cependant cette image ne suffit pas, à elle seule, à mettre en relief la densité de cette relation. En effet, en approchant de plus près les humanistes Valla, C. Salutati ou L. Bruni, on constate que le retour aux anciens devenait la marque de la mo­dernité, le mot d’ordre d’un manifeste provoca­teur qui tendait à bouleverser l’ordre des valeurs établies. Mais la complexité de ce phénomène nous contraint à considérer l’humanisme comme un mouvement original par rapport aux renou­veaux culturels qui l’avaient précédé au XII° siècle, ainsi que le « stil nuovo » de Dante et de Quinizelli, et qui possède son projet d’homme comme ses propres moyens épistémologiques et méthodologiques (3).

Le culte des anciens trouvait sa justification dans la conception du langage. Les humanistes n’ac­cep­taient aucune coupure entre la pensée et la parole, ils ne reconnaissaient pas de distinction entre la connaissance et la révélation. Toute con­naissance est acquise par la révélation de Dieu. De même que Malebranche cherchera à expliquer la connaissance par la médiation des idées divi­nes, de même les humanistes, en identifiant la pensée à la parole, l’ont fait par la médiation de la révélation de Dieu, révélation naturelle, commune à tous, historiquement inscrite dans le langage de chaque peuple. On ne peut penser qu’au travers de la parole, mais le « je parle » implique le « il a dit » de Dieu.

Où retrouver ce moyen divin du langage ? Non point dans celui des modernes, mais dans celui des « majeurs », qui est le plus proche de la for­me primitive de la parole, la poésie qui, dans son ambiguïté, permet d’unir dans son instance Dieu et l’homme, sans que son utilité en soit bri­sée (4) ; l’étude des anciens n’était que le retour au sens primitif révélateur et fondateur des va­leurs d’un peuple, source de sa poésie et de sa philosophie, en bref de sa culture. Au moyen de leur propre langue, les hommes pouvaient se ren­contrer dans leur image originelle qui était au commencement de leur histoire.

La portée révolutionnaire de l’humanisme, par rap­port au Moyen-Âge et même à Dante, doit être saisie à la lumière de ce retour. Dans la Divi­ne comédie, Virgile, personnification de la poésie, peut jouer les rôles de guide en enfer et au pur­gatoire, mais non au paradis, où seule Béatrice – grâce et parole révélatrice – peut ouvrir à Dante le chemin vers les beautés divines. Chez les hu­manistes, les paroles païenne et biblique se ren­contrent parce qu’en tant que poésie, elles sont porteuses de la révélation de Dieu.

D’où le scandale et la crise, puisque le verbe païen était élevé à la dignité de la parole divine. La lutte entre les tenants de la tradition moyen­âgeuse et les novateurs s’engageait. La dispute entre Coluccio Salutati et Jean Dominici, le pre­mier artisan de la poésie, le second défenseur des Écritures (5) posait le premier acte de cette lutte. Sans doute, Salutati et les autres humanistes ne voulaient-ils pas remettre en cause l’authenticité des Écritures, qui restaient pour eux aussi le lieu privilégié de la Parole. Toutefois, elles se rappor­taient à la finalité surnaturelle des hommes, lais­sant à l’autre écriture, la poésie, le domaine de la nature (la raison, l’art, l’histoire, la vie civile et politique) : première affirmation de laïcité.
   Dominici, avec son regard de réformateur, vo­yait dans le retour à la latinité le triomphe du pa­ga­nisme. Son opposition radicale, qui n’était pas la seule, s’inscrivait dans un mouvement de pré réforme. À l’issue de cette lutte, avant la Réfor­me, l’entreprise philosophique de Pic de la Mi­ran­dole prenait son véritable sens, cherchant la conciliation de l’humanisme et de la scholastique, de la tradition de l’École de Paris et de celle, philosophique, de Florence. Dans cet effort, il est parvenu à énoncer des thèses d’une audace et d’une nouveauté surprenantes (6).

Le second acte de la dispute se déclencha en plei­ne Renaissance, lorsque l’humanisme devint une culture consommée et rayonnante. Les œu­vres qu’il a produites ont pris la valeur d’une vérification de son retour aux anciens. Non seule­ment, on n’avait plus la pudeur de voiler la ten­dan­ce paganisante, mais elle s’étalait au grand jour.
   Le Moyen-Âge était de plus en plus violem­ment et franchement critiqué, et la civilisation chrétienne était convaincue de barbarie. Afin de détourner les gens de l’idolâtrie, le christianisme aurait détruit les monuments, laissé perdre les œuvres, effacé surtout l’image des dieux, exem­ples idéaux de beauté et de savoir. On accusait ainsi le Moyen-Âge d’avoir brisé le dévelop­pement historique et naturel des « gentils » pour les plonger dans les « ténèbres » et les abandon­ner à la « barbarie » (7). La Renaissance aurait alors permis aux « gentils » d’être et de vivre selon l’image que Dieu avait révélée à leurs poè­tes (8).

Comme dans le premier acte de la lutte, ce se­cond trouvait un conciliateur en la personne d’Érasme, qui s’inspirait de Pic de la Mirandole pour réaliser la synthèse où l’humanisme offrait l’élément formel, et le christianisme le contenu philosophique et éthique (9).

En réduisant l’humanisme à une fonction formel­le, Érasme s’écartait de lui pour se situer dans une perspective déjà contre réformiste et manié­riste. Au niveau philosophique, il n’est pas par­venu aux intuitions profondes et nouvelles de Pic de la Mirandole, qui auraient pu lui offrir la possibilité d’une synthèse véritable entre la Ré­forme, l’humanisme et le Catholicisme (10).

Parlant de l’humanisme, on a coutume d’user du mot « imitation », qui pourrait exprimer la mé­thode humaniste s’il était détaché de son sens aujourd’hui péjoratif. Il convient donc de s’écar­ter de toute interprétation de l’humanisme com­me mouvement à caractère rhétorique, vide de contenu littéraire, non philosophique, et servile à l’égard des modèles classiques. Les humanistes étaient des imitateurs, au sens platonico–aristo­télicien.
   Soulignons d’abord que, dans la lecture des œu­vres, ils employaient une méthode strictement philologique. Puisque la pensée et la parole avaient été identifiées, la pensée d’un auteur ne pouvait être connue que par l’étude de sa langue, ce qui impliquait des analyses sémantique et littéraire des textes. Les humanistes ont été les fondateurs de la philologie et de l’exégèse. Aussi se moquait-on d’un Thomas d’Aquin, qui devait se contenter d’une traduction d’Aristote plutôt que d’Aristote lui-même (11).

Cependant l’exégèse n’était pas une fin en elle-même, puisque derrière le philologue se cachait toujours l’historien, le philosophe ou le poète. L’œuvre était analysée pour y retrouver les formes idéales qui avaient inspiré l’écrivain. Pré­cisons toutefois que les humanistes distinguaient l’œuvre qui leur servait d’exemple et le modèle idéal qui l’avait inspirée. C’est pourquoi ils de­meuraient libres à l’égard des auteurs, tout en leur restant fidèles.
   L’imitation rejoignait ainsi le sens platonicien, se référant à l’œuvre en vue de l’idéal. Les au­teurs, comme l’œuvre, étaient souvent objets de culte, parce qu’ils constituaient le lieu de la ma­ni­festation de la parole révélatrice de vérité et de beauté. On déclarait aussi imiter l’œuvre, mais alors l’imitation prenait une signification aristotéli­cienne : à partir du même modèle, imiter une œu­vre consistait à en créer une autre sembla­ble (12). Par l’imitation, l’artiste ou le poète réali­sait en lui-même le projet de l’homme, qui constituait l’idéal de l’œuvre.




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312210 : 15/08/2017