ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLa rupture cartésienne et la naissance
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Le De nostri temporis studiorum ratione (1708)2- La controverse des Anciens et des Modernes |
21- L’humanisme et l’étude |
Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
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a controverse des anciens et des modernes n’est pas spécifique d’une époque, car on la retrouve toujours au commencement de chaque période historique. Elle marque le passage d’une culture en voie de dépérissement aux perspectives ouvertes par une culture naissante, indice à la fois de la continuité et de la rupture de l’histoire. Mais pour bien les comprendre, il convient de distinguer entre niveau des faits par lesquels elle est histoire et niveau de prise de conscience, où elle se transforme en polémique et en controverse. En dépit de ce caractère général, on a coutume de voir sous l’étiquette « dispute » ou « querelle des anciens et des modernes » le problème tel qu’il avait été posé et ressenti à la fin du XVII° et au commencement du XVIII° siècles (1). Sans doute cette habitude est-elle justifiée, dans la mesure où cette dispute permet de saisir, comme le montre bien Hazard, la crise profonde qui a précédé l’acquisition de notre modernité (2). Cependant, je m’occuperai de la querelle exclusivement dans les limites consenties par ma recherche, visant moins les faits ou les polémiques que la prise de conscience d’une rupture historique. Ma préoccupation est de savoir dans quelle mesure le divorce entre les modernes et l’humanisme, dénoncé par Vico, répond à la conscience du siècle. Chez les humanistes du premier Quattrocento, par exemple chez Valla, les anciens sont désignés par le mot « majeurs » (majores), qui provient de la latinité, ce qui indique que la relation entre les anciens et les modernes était conçue comme un rapport fraternel au sein d’une famille (gens) de culture. Par rapport à l’expression « Pères de l’Église », celle-ci place les modernes face aux anciens dans une relation plus libre et plus critique de frères cadets vis à vis des aînés. Cependant cette image ne suffit pas, à elle seule, à mettre en relief la densité de cette relation. En effet, en approchant de plus près les humanistes Valla, C. Salutati ou L. Bruni, on constate que le retour aux anciens devenait la marque de la modernité, le mot d’ordre d’un manifeste provocateur qui tendait à bouleverser l’ordre des valeurs établies. Mais la complexité de ce phénomène nous contraint à considérer l’humanisme comme un mouvement original par rapport aux renouveaux culturels qui l’avaient précédé au XII° siècle, ainsi que le « stil nuovo » de Dante et de Quinizelli, et qui possède son projet d’homme comme ses propres moyens épistémologiques et méthodologiques (3). Le culte des anciens trouvait sa justification dans la conception du langage. Les humanistes n’acceptaient aucune coupure entre la pensée et la parole, ils ne reconnaissaient pas de distinction entre la connaissance et la révélation. Toute connaissance est acquise par la révélation de Dieu. De même que Malebranche cherchera à expliquer la connaissance par la médiation des idées divines, de même les humanistes, en identifiant la pensée à la parole, l’ont fait par la médiation de la révélation de Dieu, révélation naturelle, commune à tous, historiquement inscrite dans le langage de chaque peuple. On ne peut penser qu’au travers de la parole, mais le « je parle » implique le « il a dit » de Dieu. Où retrouver ce moyen divin du langage ? Non point dans celui des modernes, mais dans celui des « majeurs », qui est le plus proche de la forme primitive de la parole, la poésie qui, dans son ambiguïté, permet d’unir dans son instance Dieu et l’homme, sans que son utilité en soit brisée (4) ; l’étude des anciens n’était que le retour au sens primitif révélateur et fondateur des valeurs d’un peuple, source de sa poésie et de sa philosophie, en bref de sa culture. Au moyen de leur propre langue, les hommes pouvaient se rencontrer dans leur image originelle qui était au commencement de leur histoire. La portée révolutionnaire de l’humanisme, par rapport au Moyen-Âge et même à Dante, doit être saisie à la lumière de ce retour. Dans la Divine comédie, Virgile, personnification de la poésie, peut jouer les rôles de guide en enfer et au purgatoire, mais non au paradis, où seule Béatrice – grâce et parole révélatrice – peut ouvrir à Dante le chemin vers les beautés divines. Chez les humanistes, les paroles païenne et biblique se rencontrent parce qu’en tant que poésie, elles sont porteuses de la révélation de Dieu. D’où le scandale et la crise, puisque le verbe païen était élevé à la dignité de la parole divine. La lutte entre les tenants de la tradition moyenâgeuse et les novateurs s’engageait. La dispute entre Coluccio Salutati et Jean Dominici, le premier artisan de la poésie, le second défenseur des Écritures (5) posait le premier acte de cette lutte. Sans doute, Salutati et les autres humanistes ne voulaient-ils pas remettre en cause l’authenticité des Écritures, qui restaient pour eux aussi le lieu privilégié de la Parole. Toutefois, elles se rapportaient à la finalité surnaturelle des hommes, laissant à l’autre écriture, la poésie, le domaine de la nature (la raison, l’art, l’histoire, la vie civile et politique) : première affirmation de laïcité. Le second acte de la dispute se déclencha en pleine Renaissance, lorsque l’humanisme devint une culture consommée et rayonnante. Les œuvres qu’il a produites ont pris la valeur d’une vérification de son retour aux anciens. Non seulement, on n’avait plus la pudeur de voiler la tendance paganisante, mais elle s’étalait au grand jour. Comme dans le premier acte de la lutte, ce second trouvait un conciliateur en la personne d’Érasme, qui s’inspirait de Pic de la Mirandole pour réaliser la synthèse où l’humanisme offrait l’élément formel, et le christianisme le contenu philosophique et éthique (9). En réduisant l’humanisme à une fonction formelle, Érasme s’écartait de lui pour se situer dans une perspective déjà contre réformiste et maniériste. Au niveau philosophique, il n’est pas parvenu aux intuitions profondes et nouvelles de Pic de la Mirandole, qui auraient pu lui offrir la possibilité d’une synthèse véritable entre la Réforme, l’humanisme et le Catholicisme (10). Parlant de l’humanisme, on a coutume d’user du mot « imitation », qui pourrait exprimer la méthode humaniste s’il était détaché de son sens aujourd’hui péjoratif. Il convient donc de s’écarter de toute interprétation de l’humanisme comme mouvement à caractère rhétorique, vide de contenu littéraire, non philosophique, et servile à l’égard des modèles classiques. Les humanistes étaient des imitateurs, au sens platonico–aristotélicien. Cependant l’exégèse n’était pas une fin en elle-même, puisque derrière le philologue se cachait toujours l’historien, le philosophe ou le poète. L’œuvre était analysée pour y retrouver les formes idéales qui avaient inspiré l’écrivain. Précisons toutefois que les humanistes distinguaient l’œuvre qui leur servait d’exemple et le modèle idéal qui l’avait inspirée. C’est pourquoi ils demeuraient libres à l’égard des auteurs, tout en leur restant fidèles. |
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t312210 : 15/08/2017