e De ratione studiorum, à l’origine un discours d’ouverture, fut prononcé en 1706 (1). Par l’importance du sujet et des questions qu’il a suscitées, Vico a senti très vite le besoin de le retoucher et de l’approfondir en le repensant dans le cadre d’une perspective plus vaste. Bien que visant un auditoire plus vaste que celui de l’amphithéâtre des facultés, les Discours demeuraient conditionnés par les exigences de la coutume universitaire, et ils étaient motivés moins par la recherche de la vérité que par un souci de communication. Les remaniements que Vico y a apportés ne réussissent pas à en modifier le cursus rhétorique. Par contre, la surprise de ce dernier discours avait été plus profonde et efficace, car elle avait abouti à en faire un essai. Sa publication fut liée à ce changement de structure.
À cette occasion, Vico prit conscience d’être devenu un écrivain. Il avait voulu être orateur, projetant sur les jeunes dont il avait épousé la cause le tourment de sa propre solitude d’autodidacte. Il se considérait comme leur interlocuteur le plus valable vis à vis des professeurs ainsi que des tenants de la culture. Ce rôle exigeait la médiation de sa parole et de sa présence. Que ses discours aient été écrits par la suite ne modifiait pas leur style, qui restait marqué par la tournure propre au discours parlé.
En réécrivant ce dernier discours, l’attention de Vico se détachait des situations d’existence pour se fixer sur les problèmes concernant la chose. Ainsi le « il est » propre à l’exposé se substituait à l’exhortatif « vous, jeunes » des discours. Il est vrai que, par endroits, l’adresse aux jeunes y apparaît encore, mais par force d’inertie d’une pensée parlée qui résiste à l’écriture.
En général, les auditeurs s’effacent pour céder la place aux lecteurs. Avec les auditeurs, le locuteur s’absente aussi, se cachant derrière l’écrit auquel il confie la tâche du dire. Ainsi la solitude de Vico devenait plus intense au fur et à mesure qu’il adhérait à l’acte intérieur de sa pensée. Mais l’œuvre restait ouverte au monde, comme acte concret et public de l’engagement de l’auteur pour les jeunes et pour la culture.
Notons l’effort de Vico pour rendre sa prose plus fluide et plus ordonnée. Certes, inséré dans la culture baroque, il n’est jamais parvenu à la transparence de l’écriture cartésienne, mais la clarté n’y fait pas défaut et l’ordre y domine. Sans doute, ici et là, peut-on ressentir la présence de l’instituteur rhétoricien. Son style trahit toujours des élans oratoires, sans compromettre l’objectivité de la pensée. Les préoccupations rhétoriques se relâchent, l’argumentation supplante l’interrogation. Écartant toute polémique, il résiste à la tentation de persuader pour ne chercher qu’à convaincre. Il sait aussi qu’en se situant derrière l’écrit, il s’expose au jugement du lecteur sans pouvoir y échapper. Et il en a peur ! (2)