ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



1-  Vue  d’ensemble  de  l’œuvre






13- Motivations



Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l'homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l'autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d'ensemble
De la parole à l'écrit
L'argument
Motivations
La partition de l'œuvre
La finalité de l'œuvre
L'objectif de mon étude

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l'interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


Magnum Dictionarium, de P. Danet, 1691 ico avait conscience de la nouveauté de sa recherche. « La chose – af­firme-t-il – est nouvelle, et je ne me trompe pas » (4). À vrai dire, il y aurait motif d’en douter puisque Vi­co est l’un des derniers à s’intéresser à la dispute des anciens et des modernes. Cette confrontation n’est-elle pas devenue, de Tassoni à Fontenelle, un genre littéraire classique, tant en France qu’en Italie ? Quant à la méthode, ne peut-on pas affir­mer qu’elle avait hanté le XVII° et le XVIII° siè­cles ?
   Cependant Vico ne se trompait pas. On avait en effet, avant lui, recherché des méthodes nou­velles sans s’interroger sur leur efficacité. En se coupant de l’ancienne méthode, la culture n’avait pas su mesurer la portée de la rupture, ni en prévoir les conséquences. Vico avait suffisam­ment de recul pour en faire l’analyse, d’autant plus que cette rup­ture avait constitué le drame de son existence, avant même sa nomination à la chaire de rhé­torique.

Il est nécessaire de rappeler brièvement cette ex­pé­rience primitive. Dès son retour de Vatolla, Vi­co avait été frappé par la ferveur avec laquelle les milieux napolitains avaient accueilli le carté­sia­nisme. Mais son étonnement se transforma en in­dignation, en s’apercevant que cet accueil cons­tituait une défaite des humanistes. Tous, profes­seurs et élèves, avaient suivi le courant dominant avec une telle facilité qu’elle manifestait chez eux le vide philosophique et le manque de connais­sance de leur propre culture.
   Chez Vico, on sent pour ces hommes presque du mépris, puisque étant responsables de la pen­sée nationale, ils n’en avaient pas saisi la pro­fondeur (5). Vico avait sans doute raison ; toute­fois, il ne considérait pas le phénomène en his­torien, mais en humaniste. À titre d’exemple, je donnerai la traduction de quelques passages qui, bien qu’écrits à une date postérieure, se rappor­tent à ce moment.

« Il est aisé de comprendre avec quel dommage pour la formation culturelle des jeunes, quel­ques-uns ont introduit dans la méthode des étu­des deux pratiques pernicieuses : l’une est l’en­sei­gne­ment de la philosophie au moyen de la logique d’Arnauld aussitôt après la grammaire... l’autre, le fait d’enseigner en bas âge les élé­ments de la science des grandeurs par la mé­thode algébrique... ».
   Il affirme que, par la logique, « les jeunes, subi­tement poussés à la critique et, par là, contraints à savoir bien juger avant d’avoir bien appris... deviennent arides et secs dans leurs expressions et, de surcroît, ils prétendent tout juger sans sa­voir rien faire ». Quant à enseigner l’algèbre à cet âge, il « engourdit le vigoureux penchant des jeunes, rend leur imagination aveugle, fatigue leur mémoire, affaiblit l’in­tuition (ingenio), ra­len­tit l’entendement des choses » (6).

À Gherardo degli Angioli il écrira, lorsque le triomphe de la méthode nouvelle sera consommé : « Les temps se sont énormément sophistiqués à cause des méthodes, raidis par la rigueur d’une philosophie qui tend à amortir toutes les facultés de la sensibilité, surtout l’imagination, consi­dérée aujourd'hui comme la mère de toutes les erreurs des hommes... temps d’un savoir qui des­sèche tout l’élan de la poésie la plus haute qui ne peut s’exprimer que par des méta­phores » (7).

Renouvelant une pensée déjà exprimée dans le De ratione, il écrivait à Severio Estrevan : « Tant que leur intelligence demeurait dépourvue de cette sorte de quatrième opération qu’on appelle " méthode ", les savants ont produit tout ce que nous trouvons de merveilleux et de grand dans notre culture. Mais aussitôt que l’esprit de l’hom­me a été dominé par ces philosophes, il s’est stérilisé et épuisé, ne produisant plus rien de remarquable » (8).
   Paroles dures, sans doute, mais aussi injustes, si elles sont détachées de la vision terrifiante que ce penseur solitaire a eu du triomphe du mathé­matisme et du scientisme sur l’imagination, la fin de la poésie et ses conséquences sur l’homme. Dans ces cris passionnés, est-il possible aujour­d’hui d’entrevoir l’aube du romantisme qui luit déjà dans l’illuminisme naissant ? Il ne faut pas oublier, aussi, que ces paroles ne peuvent pas être séparées de l’entreprise philosophique vichienne, vis à vis de laquelle la vision pessimiste se trans­forme en une prévision, hypothétique parce que virtuellement escomptée.

Les Discours et le De ratione ont été pensés au sein de la tension de ce problème. Le même esprit les traverse, mais dans un but différent. En conclusion du dernier écrit, Vico a mis en relief la continuité et la diversité de ces deux œuvres. Il a affirmé que les premiers s’inscrivaient dans le cadre de son devoir (officium) de professeur de rhétorique, auquel le statut de l’université avait confié la tâche d’« exhorter les étudiants à l’ac­quisition de toutes les sciences ».
   Il avait exercé cette fonction par sa parole en s’identifiant aux jeunes, jusqu’à en épouser la cause et en devenir l’avocat. Sous cet angle, les Discours apparaissent comme une plaidoirie pour l’humanisme et pour les jeunes. En les relisant à cette lumière, il est aisé de mieux comprendre pourquoi Vico avait voulu être, et s’était considéré comme, un véritable « orateur », polissant son écriture à la manière de Cicéron et de Tacite. Il avait une cause à défendre.
   Son exhortation n’a pas eu un rôle marginal, mais fondamental dans la formation culturelle de la jeunesse et, de plus, elle a revêtu un caractère quasi juridique. Il souhaitait que les jeunes pren­nent la responsabilité de leur propre forma­tion et deviennent, non des spectateurs, mais des acteurs de leur histoire. Dans ce but, il leur offrait par ses allocutions l’exemple d’un discours capa­ble de les relier aux anciens et aux modernes. Les Discours possèdent ainsi une âme, tout autant qu’une struc­ture. Les questions abordées jouent un rôle plus thématique que problématique, en sorte qu’elles peuvent être considérées comme des catégories correspondant aux divers domaines pédagogiques. C’est pourquoi les Discours étaient rhétoriques.

Le De ratione trouvait chez Vico ses motivations profondes dans la prise de conscience, de sa part, non de son devoir mais de son « droit » de savant qu’il estimait inscrit dans son statut de professeur. Il pensait, en effet, que le statut conférait au professeur de rhétorique la tâche d'exhorter aux sciences dans la mesure où il en possédait aussi le savoir. Sans doute interprétait-il l’intention de la loi en philosophe ; ceci explique sa révolte contre le peu d’estime qu'on avait du professeur de rhé­torique et sa pointe polémique contre ceux qui l’ac­cusaient de jouer au philosophe. Comme l’avait fait Pic de la Mirandole, il se déchargeait de l’accusation de présomption en voulant rester fidèle au respect des autres ; mais il ne reculait pas.

Il conviendrait d'ajouter que Vico prenait con­science de son échec. En effet, qui l’avait vrai­ment écouté ? Qui, parmi les jeunes, ses protégés, les héros de ses Discours, l’avait suivi jusqu'aux perspectives humanistes ? Vico ne pouvait-il pas toucher du doigt que tous passaient inexorable­ment du côté de la doctrine dominante ? Qui lisait Valla, Ficino, Pic de la Mirandole, Telesio et Zabarella ? Les derniers grands, eux-mêmes, tels Bruno, Galilée et Campanella, avaient été oubliés. La rupture était accomplie : il ne suffisait plus de persuader, il fallait convaincre. L’orateur devait devenir juge.




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312130 : 09/08/2017