n prenant comme grille le schéma aristotélicien de l’argumentation dialectique décrite dans les Topiques, on ne tardera pas à reconnaître le caractère rhétorique des Discours de Vico, qui n’ont pas à proprement parler de sujet spécifique, mais rapportent des thèses, c’est à dire, selon Aristote, un « jugement contraire à l’opinion courante » (8).
Pour lui, cependant, les thèses doivent remonter à un « philosophe notoire » ; pour Vico, elles sont tirées de lieux communs des controverses humanistes. Vico accentue leur tension dialectique par une pointe paradoxale. Par exemple, il ne se contente pas d’affirmer l’accord entre l’honnête et l’utile, il se complaît à soutenir que les études seront d’autant plus utiles qu’elles seront honnêtes. De même, au lieu de se limiter à associer les armes et les lettres, il précise que les États seront d’autant plus puissants qu’ils seront cultivés et pacifiques. Le but de cette pointe paradoxale est sans doute rhétorique : elle suscite l’attention sur la thèse, cachant une surprise sous la formulation d’un lieu commun. Cette méthode fait partie de l’esthétique baroque : les thèses ne sont que des « concetti ».
L’argumentation des Discours n’est qu’un syllogisme dialectique « concluant des prémices probables » (9), visant non à démontrer par des preuves, mais à réfuter les opinions des adversaires. Par cette méthode, Vico pénétrait au sein des courants européens de pensée, les contraignant, malgré leur opposition au niveau analytique, à se regrouper dans la perspective de ses thèses qui ont le pouvoir de les révéler comme des discours frères, prononcés par des hommes parlant tous un même langage.
On peut être étonné et se demander comment Vico a pu réunir par la seule persuasion des hommes aussi opposés qui, pour la plupart, s’excommuniaient. Nous retrouvons Descartes aux côtés de Cicéron, Machiavel de Ficino, Grotius de Hobbes, Bacon devenir l’héritier de Pic de la Mirandole, Bruno interpréter Platon. À la lumière de la critique philosophique, ces rapprochements pourraient paraître monstrueux. Mais, placés à leur juste niveau, tels des métaphores d’un discours communicatif, ils se révèlent des synthèses fécondes, surprenantes, et d’une ouverture déconcertante.
En analysant le De ratione, nous soulignerons l’importance que Vico donne à la topique, qu’il élève au rang de logique de l’invention. Nous retrouvons ici une anticipation pratique de cette théorie. J’oserai dire que les Discours représentent le moment topique de la démarche vichienne, où sa pensée s’incarne dans la culture, avant même d’être critique et philosophique. Toutefois elle s’articule selon la logique « fantastique » dont Vico est un des plus grands artisans.
Deux siècles durant avant lui, bien des philosophes avaient cherché à étudier une logique de l’image, poussés par la conviction que la similitude des formes impliquait une profonde unité ontologique. Ils avaient étudié les figures rhétoriques, mais aussi les emblèmes, les gestes, les devises, les exploits, les coutumes à l’aide d’une méthode qui rejoignait celle de l’alchimie et de l’astrologie (10). Mais à l’heure où ces résultats étaient exploités par Leibniz en vue d’une symbolique mathématique, Vico les concevait en vue d’une symbolique poétique. En réfléchissant à ce mouvement culturel, on comprendra aussi que, dans ses Discours, Vico se situait au niveau de cette symbolique, créant par la métaphore ces problèmes qu’il a affrontés par la suite dans l’analyse philosophique.