ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Les  Discours  (1689-1717)



8-  La  rhétorique  des  Discours
et  le  projet  philosophique  de  J.-B.  Vico






82- L’objectif rhétorique
et la visée philosophique



Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l’homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l’autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico
L’unité littéraire des Discours
Objectif rhétorique et visée
  philosophique

Structure rhétorique des
  Discours
Le projet philosophique


DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d’ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l’interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


Magnum Dictionarium, de P. Danet, 1691 entile est l’un des premiers à avoir soumis les Discours à une analyse plus philosophique que littéraire, pour en préciser les influences et les motivations profondes en se référant à la Renaissance. D’autres l’ont sui­vi, parmi les­quels Corsano, Donati et Paci (3), pour ne nom­mer que ceux qui, par leur sérieux et leur réelle compétence, ont fait de ces premières œuvres le passage nécessaire vers la connaissance de la pen­sée vichienne. Leur lecture m’a donné le senti­ment qu’ils se sont approchés du jeune Vico dans le but essentiel d’y découvrir les lignes maîtresses de sa philosophie. Or cette approche leur a causé bien des déceptions, dans la mesure où l’auteur n’a pas répondu aux exigences d’une méthode cri­tique, et ne s’est pas révélé capable de se mesurer avec les grands de la philosophie européenne.
   Ainsi Gentile l’a-t-il trouvé trop platonicien pour comprendre Descartes (4), Corsano trop rhé­to­rique et cicéronien pour être même plato­nicien (5), Paci a-t-il cherché la justification de ses lacunes en faisant appel à la mentalité typique de l’homme, où le génie synthétique prévaut sur l’intelligence analytique (6). Vico poète prendrait le pas, ou déterminerait Vico philosophe.

Je n’affirmerai pas que ces remarques sont faus­ses, mais elles le deviennent si l’on omet de les situer dans leur contexte littéraire et historique. À mon sens, il convient de jumeler la recherche de l’objectif de l’œuvre – recherche exégétique – et la structure du discours – recherche littéraire.
   Or l’Autobiographie révèle les intentions de l’auteur, qui déterminent également l’objectif de l’écrit. Je me réfère essentiellement au passage où Vico jette un regard rétrospectif pour rattacher les Discours à la philosophie de sa toute première Science nouvelle : « Du premier Discours au sixième, mais surtout dans ce dernier, on peut constater clairement que Vico agitait dans son esprit des arguments nouveaux et grandioses, cherchant à unir en un seul principe tout le savoir humain et divin ; mais les sujets qu’il avait effectivement traités étaient éloignés de ce but » (7).

Vico remarquait donc lui-même qu’il y avait un décalage entre le niveau effectif du dévelop­pement de l’œuvre et la direction que les questions traitées prenaient dans son esprit. Certes, sa visée était philosophique. Quant à elle, l’œuvre ne pou­vait que rester en deçà de ces perspectives. Cette prise de conscience lucide nous contraint, nous aussi, à demeurer lucides dans notre critique. Il ne faut pas demander à l’auteur des Discours ce qu’il ne cherchait pas lui-même. S’il les a corrigés et retouchés, s’il en a entrepris une nouvelle rédac­tion, il n’en a pas pour autant osé les publier, parce qu’ils étaient dépourvus de ces « discoverte et utilissimi ritrovati » qui seuls, à nos yeux, pouvaient justifier la publication d’un écrit.

Guidés par l’auteur, il nous faut donc préciser l’objectif de l’œuvre et la structure de son langage pour parvenir à la comprendre. Rappelant la genè­se des Discours, je dirai qu’ils sont motivés par le conflit entre les anciens et les modernes. La nou­velle méthode, qui a trait à la philosophie comme aux sciences philologiques, a séparé la culture de la tradition humaniste. Vico voyait dans ce divor­ce des conséquences ruineuses pour les tenants de l’humanisme comme pour les novateurs, parce qu’ils se trouveraient coupés de leurs propres racines.
   Bien que les aspects du problème soient multiples et complexes, Vico se montre davantage concerné par les rapports entre philosophie et rhétorique ; à ce propos, je rappellerai que l’épis­témologie humaniste se fondait sur le principe de la séparation entre niveau de démonstration et ni­veau de communication. Cette distinction remon­tait à Aristote qui, à l’opposé de Platon, avait détaché la dialectique de la logique, en lui donnant pour objet spécifique le syllogisme probable. Mais il se rapportait directement à Cicéron. En effet, les humanistes avaient découvert dans ses œuvres, et spécialement dans le De oratore, cette bipartition qui était la traduction en termes latins de celle opérée par le philosophe grec entre analytique et dialectique. Mais c’était admettre en même temps l’autonomie de l’éloquence en face de la philosophie, l’une se définissant par l’argumen­tation analytique, l’autre par l’argumentation du probable.

Vico pense dans le cadre de ces catégories. Nous en avons la preuve dans le paradigme de son sixième Discours, où il place les disciplines de la parole – logique, rhétorique et poésie – au niveau de la communication. En effet, autre est le ego critique qui s’appuie sur les raisons objectives de nécessité, autre le sujet du discours auquel le probable suffit ; autre la pensée qui se réfère à la chose, autre celle qui permet aux hommes de communiquer. Sans doute les deux procédés remontent-ils à des principes d’unité, mais ils se placent à des niveaux différents : le premier à celui du concept, le second à celui du signifié. Ainsi la philosophie marque l’unité dans l’idée, l’éloquence leur rencontre dans la signification de la parole. En allant jusqu’au bout de la théorie, on doit dire qu’elle relève de la distinction entre parole et chose. Pour communiquer, il suffit que les hommes se rencontrent au niveau sémantique ; mais pour saisir la chose, il faut passer des relations de signification à celles des idées.

L’aversion de Vico pour la méthode géométrique cartésienne est motivée par la conviction qu’elle comporte la disparition du sujet rhétorique de la parole. Dans la mesure où cette méthode prétend couvrir toute l’activité du « je pense », n’ayant d’autre norme que la vérité, elle implique aussi qu’il n’y a pas d’autre discours que l’argumen­tation analytique, c’est à dire le « je pense » critique. Toute autre pensée non critique ne pourrait qu’être rejetée du domaine de l’humain.

Les remarques de Vico seront mises au point dans le De ratione, mais elles existent déjà comme motivations profondes des Discours. Vico voulait être orateur pour donner de facto droit de cité au je rhétorique. Il était trop lucide pour ne pas comprendre que l’argumentation démonstra­tive ne pouvait être obtenue qu’au prix d’une analyse sévère seulement accessible à une minorité. La certitude sur laquelle se fonde le discours naturel des hommes – dont celui par lequel ils s’affirment comme hommes – n’est pas la vérité. Si donc l’on bannit le sujet rhétorique de la parole pour ne laisser subsister que le sujet critique, on renie l’homme et le développement de toute la culture.

Si ces remarques sont les motivations des Discours, il me parait inutile de vouloir chercher d’autre argumentation que rhétorique. Sans doute la visée ultime de Vico est-elle philosophique. Cependant, il a cherché à y parvenir par un détour, en enlevant tout d’abord les obstacles qui en empêchaient la réalisation. Avant de traiter directement des problèmes touchant à la chose, il s’est adressé aux personnes, aux courants historiques de pensée, afin de rétablir la cohésion culturelle, qui pouvait seule permettre une confrontation valable. La recherche critique de la vérité ne peut être atteinte qu’en respectant la vérité historique des faits, principe qui résume bien l’esprit du code éthique des intellectuels auquel Vico fut le premier à se soumettre.




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t311820 : 09/08/2017