ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLa rupture cartésienne et la naissance
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Les Discours (1689-1717)8- La rhétorique des Discours |
82- L’objectif rhétorique |
Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
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Je n’affirmerai pas que ces remarques sont fausses, mais elles le deviennent si l’on omet de les situer dans leur contexte littéraire et historique. À mon sens, il convient de jumeler la recherche de l’objectif de l’œuvre – recherche exégétique – et la structure du discours – recherche littéraire. Vico remarquait donc lui-même qu’il y avait un décalage entre le niveau effectif du développement de l’œuvre et la direction que les questions traitées prenaient dans son esprit. Certes, sa visée était philosophique. Quant à elle, l’œuvre ne pouvait que rester en deçà de ces perspectives. Cette prise de conscience lucide nous contraint, nous aussi, à demeurer lucides dans notre critique. Il ne faut pas demander à l’auteur des Discours ce qu’il ne cherchait pas lui-même. S’il les a corrigés et retouchés, s’il en a entrepris une nouvelle rédaction, il n’en a pas pour autant osé les publier, parce qu’ils étaient dépourvus de ces « discoverte et utilissimi ritrovati » qui seuls, à nos yeux, pouvaient justifier la publication d’un écrit. Guidés par l’auteur, il nous faut donc préciser l’objectif de l’œuvre et la structure de son langage pour parvenir à la comprendre. Rappelant la genèse des Discours, je dirai qu’ils sont motivés par le conflit entre les anciens et les modernes. La nouvelle méthode, qui a trait à la philosophie comme aux sciences philologiques, a séparé la culture de la tradition humaniste. Vico voyait dans ce divorce des conséquences ruineuses pour les tenants de l’humanisme comme pour les novateurs, parce qu’ils se trouveraient coupés de leurs propres racines. Vico pense dans le cadre de ces catégories. Nous en avons la preuve dans le paradigme de son sixième Discours, où il place les disciplines de la parole – logique, rhétorique et poésie – au niveau de la communication. En effet, autre est le ego critique qui s’appuie sur les raisons objectives de nécessité, autre le sujet du discours auquel le probable suffit ; autre la pensée qui se réfère à la chose, autre celle qui permet aux hommes de communiquer. Sans doute les deux procédés remontent-ils à des principes d’unité, mais ils se placent à des niveaux différents : le premier à celui du concept, le second à celui du signifié. Ainsi la philosophie marque l’unité dans l’idée, l’éloquence leur rencontre dans la signification de la parole. En allant jusqu’au bout de la théorie, on doit dire qu’elle relève de la distinction entre parole et chose. Pour communiquer, il suffit que les hommes se rencontrent au niveau sémantique ; mais pour saisir la chose, il faut passer des relations de signification à celles des idées. L’aversion de Vico pour la méthode géométrique cartésienne est motivée par la conviction qu’elle comporte la disparition du sujet rhétorique de la parole. Dans la mesure où cette méthode prétend couvrir toute l’activité du « je pense », n’ayant d’autre norme que la vérité, elle implique aussi qu’il n’y a pas d’autre discours que l’argumentation analytique, c’est à dire le « je pense » critique. Toute autre pensée non critique ne pourrait qu’être rejetée du domaine de l’humain. Les remarques de Vico seront mises au point dans le De ratione, mais elles existent déjà comme motivations profondes des Discours. Vico voulait être orateur pour donner de facto droit de cité au je rhétorique. Il était trop lucide pour ne pas comprendre que l’argumentation démonstrative ne pouvait être obtenue qu’au prix d’une analyse sévère seulement accessible à une minorité. La certitude sur laquelle se fonde le discours naturel des hommes – dont celui par lequel ils s’affirment comme hommes – n’est pas la vérité. Si donc l’on bannit le sujet rhétorique de la parole pour ne laisser subsister que le sujet critique, on renie l’homme et le développement de toute la culture. Si ces remarques sont les motivations des Discours, il me parait inutile de vouloir chercher d’autre argumentation que rhétorique. Sans doute la visée ultime de Vico est-elle philosophique. Cependant, il a cherché à y parvenir par un détour, en enlevant tout d’abord les obstacles qui en empêchaient la réalisation. Avant de traiter directement des problèmes touchant à la chose, il s’est adressé aux personnes, aux courants historiques de pensée, afin de rétablir la cohésion culturelle, qui pouvait seule permettre une confrontation valable. La recherche critique de la vérité ne peut être atteinte qu’en respectant la vérité historique des faits, principe qui résume bien l’esprit du code éthique des intellectuels auquel Vico fut le premier à se soumettre. |
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t311820 : 09/08/2017