uand Jésus est entré dans la synagogue, j’ai entendu comme une explosion dans la foule qui était là, mais il restait insensible à ce brouhaha. Solennellement, le buste droit, il est monté en chaire, où le rouleau de la Torah était déjà ouvert au passage du jour : le Deutéronome, chapitre 23, verset 2. Jésus a lu : « Celui dont les testicules ont été écrasés ou la verge coupée, n’entrera pas dans l’assemblée de l’Éternel : même sa dixième génération n’entrera pas dans l’assemblée de l’Éternel. »
Sans sourciller, il a refermé le rouleau et l’a remis au serviteur. Puis, avec un regard altier alentour, il a pris la parole : « Mes frères, si nous considérons ce passage avec le sérieux qui convient à la parole de Dieu, tout le monde doit sortir de cette assemblée d’Israël, car nous sommes tous des bâtards ! » Un chuchotement diffus s’est répandu dans la salle et un rabbi l’a interrompu :
- Bâtards, nous ? Nous sommes tous des fils légitimes d’Abraham, sauf ceux – tu es payé pour le savoir – qui sont nés de la prostitution !
- C’est vrai, a répondu Jésus, nous sommes tous des enfants d’Abraham, mais cela n’empêche pas notre mère d’avoir été une prostituée !
- Tu outrages nos ancêtres, tu macules de fange le visage de Sara, de Rébecca, de Rachel. Tu déshonores notre race !
- Ce n’est pas moi, mais les prophètes eux-mêmes qui le disent ! Avez-vous oublié la parole d’Ézéchiel au peuple : « Par ton origine et ta naissance, tu es du pays de Canaan ; ton père était un Amoréen et ta mère une Hittite... Mais tu as mis ta confiance dans la beauté et tu t’es prostitué... » Apportez-moi, je vous prie, le rouleau du prophète et je vous lirai le passage en entier. Rappelez-vous aussi Osée : le prophète, sur l’ordre de Dieu, a pris pour épouse Gomer, la prostituée, pour annoncer qu’Israël, son épouse, est une prostituée et même une adultère !
- Tu souilles les Écritures ! Les prophètes parlent par allégorie, pour désigner l’infidélité au Seigneur.
- Dans les hauts lieux, vous avez édifié des autels aux idoles ; vous avez adoré Moloch. Vous êtes-vous adonnés à des cultes orgiaques sans intention de vous prostituer ? Soyez honnêtes et reconnaissez votre péché !
- Descends de cette chaire, tu ne peux pas en abuser plus longtemps pour outrager la face de notre peuple et de nos mères. Tu ne fais que rejeter sur nous l’opprobre de la prostitution de ta propre mère. Il est certain maintenant que tu es un rejeton d’adultère : le diable en a rendu témoignage. Prouve-nous le contraire ! Où est ton père ?
- Mon père est au désert.
- Au désert ? Pour quoi faire ? Est-ce pour se repentir de son adultère ?
- Il s’est retiré au désert parce qu’il a abandonné son épouse prostituée et adultère.
- Ainsi, tu nous donnes raison ! Tu es vraiment le fils d’une prostituée !
- Oui, la femme de mon père est Gomer, notre mère. Mon père, Dieu, est votre père qui a rejeté Israël, sa femme qui lui a donné des fils de prostitution. Je me suis rendu au désert pour rencontrer mon père et racheter le péché de ma mère. Vous, vous êtes restés ici, prisonniers du péché de votre mère, et donc toujours fils bâtards !
Ils étaient dans une telle fureur qu’ils s’époumonaient comme des forcenés, agitant les poings et déchirant leurs vêtements.
- Bâtard toi-même ! Né de l’adultère ! Sors de l’assemblée des fils d’Israël ! Tu es maudit jusqu’à la dixième génération, tu es impur comme un Samaritain, impur comme celui dont les testicules ont été écrasés et la verge coupée !
- Il est inutile que vous me chassiez : j’ai déjà abandonné l’assemblée d’Israël en me rendant au désert, comme on sort d’une maison de passe. Quant à vous, restez-y donc, car un baptême d’eau ne suffirait pas à vous purifier, un baptême de feu devrait encore consumer votre sexe ! Pourtant, je ne quitterai pas ce lieu sans plaider contre ma mère, selon l’ordre d’Osée. Je t’accuse, ô ma mère, d’avoir persisté dans ta prostitution. Je t’accuse d’avoir transgressé l’Alliance d’amour des origines et d’avoir soumis les hommes à ton pouvoir ; d’avoir chassé de ta maison les pauvres, les malades, les estropiés, pour remettre ton héritage aux riches et aux bien-portants. Je t’accuse, toi qui crois apaiser la colère de Dieu avec le sang des animaux, mais qui renonces à offrir le sacrifice de ton cœur ; toi qui honores les tombeaux des prophètes que tu as fait périr...
Tout le monde s’est alors mis à vociférer, à brandir les poings et à se bousculer pour jeter Jésus hors de la synagogue. Ils l’auraient même lapidé si, le croyant asservi au prince des démons, ils n’avaient eu trop peur.