ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


                              Auteurs Méthode Textes
  Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 6 - La fugue :

La fuite



La logique ou l’art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664 





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue
- Les malheureux
- La fuite
- Simon lépreux

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


e soir Jésus s’est couché très tôt, sans même manger. Blême, les traits tirés, il était épuisé tant il avait in­suf­flé de malades. À ma grande surprise il s’est étendu seul, sur une natte à côté de la mienne. J’ai ressenti cette séparation comme une distance qu’il souhaitait mettre entre nous. Je ne parvenais pas à trouver le sommeil : « Les malheureux ne l’ont pas reconnu com­me l’un des leurs, parce qu’il a cherché à les ap­pro­cher en prophète, sous les traits d’Ammi. Il aurait mieux valu qu’il les rencontre sous ceux de Lo-Ammi, puisqu’au fond de son âme, il reste sans père et sans mère, abandonné des hommes et de Dieu. Mais peut-être était-il tourmenté par des senti­ments contraires ? Convaincu que sa vocation pro­phétique ne l’avait pas libéré de son complexe de bâtard, a-t-il été tenté de renoncer à agir en envoyé de Dieu ? Mais alors, pourquoi s’est-il éloigné de moi ? Ne se reconnaissant plus en Ammi, il ne désire peut-être plus s’approcher de Ruchama ? »

   Ce doute me tourmentait jusqu’à l’angoisse. Je me suis même découvert de la rancune à son égard : « Pour­quoi persiste-t-il à me considérer comme Ru­cha­ma, s’il n’est plus convaincu d’être Ammi ? S’il m’aimait vraiment, je serais pour lui Lo-Ruchama, comme il est Lo-Ammi. Ne suis-je pas aussi une bâ­tar­de ? Vivons-nous les personnages de la parabole parce que nous nous aimons, ou nous aimons-nous pour les figurer ? Pourquoi n’essayons-nous pas d’être heureux, de nous laisser envahir par le simple bonheur d’aimer ? »

   Perdue dans ces pensées, m’interrogeant sans fin, je me suis laissée emporter par le sommeil.


Quand je me suis réveillée, Jésus n’était plus sur sa couche. J’ai fait un tour dehors, mais ne l’ai pas trou­vé. Alors j’ai donné l’alarme aux frères, qui se sont mis à sa recherche. J’étais si découragée que je n’ai pas eu la force de les suivre, préférant aller chez ma sœur.

   En m’apercevant, Martha a été horrifiée :
- Que tu as changé, Maria ! Ton époux a embelli ton âme, mais il ne t’a pas comblée physiquement ! Com­ment est-il possible de flétrir ainsi un bouton de rose ? Quel malheur pour une femme d’être aimée par un homme de Dieu !
- Ne parle pas ainsi, tu m’achèves...
- Mais regarde-toi dans un miroir ! Depuis combien de temps ne l’as-tu pas fait ?
- Il n’y a pas de miroir chez nous. Mon miroir, ce sont les yeux de mon bien-aimé : je ne me contemple que dans le reflet que renvoie son regard.
- Allons donc ! Tu me parles d’un homme qui ne saisit pas la réalité des choses, mais qui les imagine dans ses rêves. Si Jésus t’avait vraiment regardée, il se serait aperçu...
- « que tu es devenue laide ! » Est-ce cela que tu veux dire ? Martha, tu as raison ! Il a toujours vu en moi la figure de Ruchama puis, un jour, ses yeux se sont dessillés et il a compris que je n’étais plus celle qu’il croyait ! Alors, il m’a quittée...

   Je me suis précipitée sur un miroir, l’image qu’il m’a renvoyée m’a consternée : mes yeux étaient ter­nes, mes traits tirés, mes lèvres craquelées, ma peau sèche, mes seins commençaient à s’affaisser.
- Mon Dieu, que je suis affreuse ! J’ai caché ma fi­gu­re dans mes mains : Oui, oui, Martha, il m’a quittée parce que j’ai cessé pour lui d’être Ruchama !
- « Ruchama » ! Quelle est cette fille dont tu me re­bats les oreilles ? Qui était son père ?
- C’était la fille d’Osée, en qui Dieu a reproduit la beauté de nos ancêtres, Sara, Rébecca et Rachel. Blanche comme les lis, la chair et les yeux de la co­lombe, les dents d’ivoire, a name="tfdg">elle est le modèle des filles d’Israël.
- Personne ne peut restaurer la splendeur passée de nos mères, ni retrouver cet idéal de beauté qui hante ton imagination frustrée ! Toi qui es bien vivante, tu n’as rien à craindre de la rivalité de ces mortes d’un lointain passé. Tu peux reconquérir ton amant.
- Comment ?
 En étant belle, tout simplement ! Redonne à tes yeux l’éclat d’antan ; Soigne ta peau ; Parfume-toi à la manière de l’épouse de Salomon ; Mets du ver­millon à tes lèvres. Alors, il retrouvera en toi sa Ru­chama !

   Elle m’a fait prendre un bain chaud, me fric­tion­nant à l’huile d’amande. J’ai couvert mon corps de parfum, relevé mes sourcils, coloré mes joues de poudre rose.
- Vois, ma chérie, m’a-t-elle dit en plaçant le miroir devant moi, tes yeux étaient ceux de Léa, ils sont devenus ceux de Rachel. Tu sors de ce bain aussi éblouissante qu’Esther, tu es redevenue Ruchama !


Je suis partie à la recherche de Jésus, persuadée que les disciples ne l’auraient pas trouvé. Mon intuition me guidait vers le lieu où il pouvait se cacher : je l’ai retrouvé, en effet, dans un endroit boisé, à l’ombre d’un olivier sauvage. L’embrassant tendrement, je lui ai demandé :
- Pourquoi nous as-tu abandonnés ? Pourquoi m’as-tu laissée ?
- Pourrais-je encore poursuivre ma mission de pro­phète, alors que je suis certain d’être renvoyé à ma condition originelle, de nouveau rejeté parmi ceux qui ne sont plus le peuple, qui ne sont plus les fils de Dieu ? Pourrais-je rester encore près de Ruchama, si je suis redevenu Lo-Ammi ?

   J’avais vu juste : il m’avait quittée parce qu’il n’était plus assuré d’être encore Ammi. J’ai voulu le conso­ler et lui redonner confiance dans sa per­son­na­lité pro­phétique :
- Non, Rabboni, l’Esprit de Dieu est toujours en toi, puisque tu as eu la puissance de faire taire tes enne­mis, guérir les malades, rendre la vue aux aveugles, ramener à la vie ceux qui étaient enfoncés dans le sommeil de la mort.
- J’ai accompli tous ces gestes pour les persuader de trouver en eux l’Esprit de Dieu, et non pour leur livrer mon esprit : je m’en suis servi pour les con­vaincre qu’ils étaient capables d’agir par eux-mêmes, mais ils ne m’ont pas cru. Alors, j’ai ressenti comme un anéantissement : ma souffrance a culminé quand j’ai compris que je devenais pour eux un être sacré, doté d’un pouvoir magique. Ils n’étaient plus que des sous-hommes, je retournais à ma condition de bâ­tard.
- Alors, tu as ressenti le besoin de revenir au désert, pour lancer une nouvelle fois à Dieu le défi de vivre ou de mourir !
- Oui, j’avais besoin de me ressourcer pour me re­trouver moi-même et la présence de Dieu, mais aussi regagner Ruchama.
- Eh bien, tu as retrouvé Ruchama, et donc Dieu et toi-même ! Je l’ai embrassé.


À ce moment, Jean et Céphas nous ont rejoints.
- Maître, a dit Céphas, pourquoi nous as-tu fait ça ? À quoi bon nous réunir pour nous abandonner ensui­te ? Que pourrions-nous faire sans toi ?
- Et cependant, le jour viendra où l’époux vous sera enlevé et où les amis de l’époux devront agir seuls ! Je ne suis pas venu opérer des guérisons, mais pour que chacun apprenne à trouver en lui-même la force de guérir, à découvrir le sens de la vie. Tout est va­ni­té, quand notre vie n’est pas pénétrée par l’Esprit de Dieu.




Roman achevé en 2002




Retour à l’accueil Les malheureux Retour à la table des chapîtres Simon lépreux     Choix de l'impression

t320626 : 23/05/2020