ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisChronique de Marie-MadeleineRoman |
Chapitre 7 - Sur le pont du bateau : |
Présentation Texte intégral : La rencontre d’amour Les disciples du Royaume Le banquet des noces Itinéraire d’un bâtard Le défi La fugue Sur le pont du bateau - L’alliance - Pauvres pour les pauvres - La mort du Baptiste Chemins d’amour Dalmanutha Transfiguration et insurrection La Dédicace Correspondances Béthanie Gethsémani Le procès Golgotha L’enterrement Le jour de la Pâque Le tombeau vide Les semeurs |
e matin, j’ai croisé Judas dans la rue. Toujours le même : courtois et réservé, la bourse de cuir à la main, portant un manteau d’un gris échappant à toute appréciation. Quand Martha m’a aperçue, elle s’est jetée à mon cou et m’a embrassée : J’étais atterrée. Cependant, après ces rudes paroles, Martha a été merveilleuse, m’offrant à manger, rajustant ma coiffure et me parlant de mille choses aussi futiles que rafraîchissantes. Je me suis cependant aperçue qu’elle en avait profité pour fouiller dans mon sac. Malgré ce bref apaisement, j’étais très troublée en rentrant chez moi : suivant le conseil de Jésus j’avais tout donné aux pauvres, mais étais-je une véritable pauvre si je pouvais me reposer sur l’assistance du riche ? Et Martha était-elle riche, elle qui s’était séparée de la moitié de ses biens ? Si les riches, pour apaiser la faim des pauvres, tombent à leur tour dans l’indigence, ne deviendrons-nous pas tous des pauvres livrés à la mendicité ? Comment Dieu, lors de sa venue, résoudra-t-il cette question ? Tandis que ces réflexions agitaient mon esprit, j’étais arrivée à la maison. En prenant dans mon sac le flacon de lavande qui me sert à rafraîchir mon visage, j’ai trouvé un sachet que je ne connaissais pas et l’ai ouvert : il était rempli de pièces d’or ! « Oh, Martha ! Jésus n’a sans doute pas rencontré de disciple plus fidèle que toi, même si tu n’as pas juré de le suivre ! » Je me suis rendue en hâte chez Jésus pour lui remettre cet argent. Il m’a embrassée, mais son sourire ne parvenait pas à éclaircir son regard assombri par le doute. Le soir, nous avons tenu un conseil de maison. Judas a pris la parole le premier : « Maître et frères, je regrette de vous dire que la caisse est vide et que les provisions sont épuisées. J’avais espéré convaincre des riches de donner un peu de leur superflu pour les pauvres, mais ils sont toujours absents. L’un est en voyage, l’autre, m’a fait répondre que les temps sont durs, même pour les riches... Maître, pardonne ma franchise, mais tes attaques contre les pharisiens et les hommes du pouvoir ont contraint les péagers et les étrangers à s’éloigner de nous. Les riches, mêmes ennemis, restent solidaires : ils ne vivent que de l’échange de leurs biens. Tout cela était prévisible pour qui connaît les rouages de la société. » Ces paroles semèrent la panique parmi les disciples : Le découragement les avait gagnés, Jésus se taisait. Son visage exprimait une aversion telle qu’il les aurait tous laissés là, s’il n’avait été convaincu de sa vocation prophétique. Judas a repris : « Si le Maître permet que je donne un avis, je dirai qu’il faut changer de cap. Je propose que chacun reprenne son ancien métier et que tous nos gains soient mis en commun. Je placerai l’argent, après en avoir retenu ce qui est nécessaire à notre subsistance et au secours des pauvres. N’as-tu pas déclaré toi-même, Maître, que les talents ne doivent pas dormir en terre mais porter des fruits ? Je sais que je ne dis rien de bien original : une famille, une communauté, une entreprise, ne peuvent survivre qu’en manifestant la prudence que tu as attribuée au serpent. La réalité quotidienne nous pousse à ressembler à des serpents, non à des colombes ingénues... En attendant bien sûr le Royaume de Dieu, où les colombes et les serpents n’auront plus de raison d’être. » Avec un regard sévère pour Judas, Jésus s’est décidé à répondre : « Certes, ce qui nous arrive était prévisible, si on n’a d’autre but dans la vie que le profit. Mais, dans son dessein, Dieu prépare une stratégie différente, qui a pour projet l’édification de l’homme. La parabole dessinée par Dieu dans nos actions humaines trouve un sens au-delà de nos réussites ou de nos échecs. Nous ne comprenons pas encore tout aujourd’hui, mais la parabole reste ouverte sur notre avenir et nous aurons à déchiffrer jour après jour le sens de notre existence. Judas, la voie que tu proposes est celle qui invite l’homme à s’enrichir : celle du serpent. Quant à moi, je découvre plutôt dans cette parabole le destin de la colombe, qui est celui du pauvre. En proposant l’image du serpent, j’ai voulu l’opposer à celle de la colombe et non à celle du pigeon, comme vous semblez le croire ! La colombe ne se laisse pas retenir au nid mais, porteuse d’un message, elle parvient dans son vol à déjouer toutes les embûches, alors que le pigeon se contente de picorer dans la cour de son maître pour ne pas mourir de faim. Frères, ne ressemblez pas à ces pigeons sans audace qui se disputent ensuite leur petite place sur le perchoir. Devenez plutôt des colombes prenant leur essor pour porter la bonne nouvelle, se désaltérant aux sources rencontrées dans leurs pérégrinations. Dispersez-vous dans le pays : S’il vous est impossible de nourrir les pauvres, vivez comme eux. Allez à pieds, deux par deux, sans bâton ni besace, frappant de porte en porte pour annoncer la paix et proclamer la bonne nouvelle. Si l’on vous reçoit, entrez dans la maison et mangez ce qu’on vous offre. Si on ne vous reçoit pas, que la paix demeure en vous. » Ensuite, Jésus a confié à Judas l’or de ma sœur, en lui disant : « Cet argent suffira largement pour nous et les pauvres pendant ce temps ». Et il nous a quittés. Lorsque Judas a ouvert sa bourse, j’ai remarqué dedans une tablette écrite. Je ne pouvais pas m’y tromper, c’était l’une des pages de mon journal ! « Judas, lui ai-je dit, toi aussi, tu rédiges des mémoires ? » Confus, il a bredouillé « Oh non ! Je ne me souviens plus où je l’ai trouvée... » J’ai repris ma tablette et l’ai quitté brusquement en lui lançant : « As-tu l’intention de monnayer mon journal comme le reste ? » |
t320729 : 28/05/2020