ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 7 - Sur le pont du bateau :

La mort du Baptiste



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau
- L’alliance
- Pauvres pour les pauvres
- La mort du Baptiste

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


e discours que Jésus a tenu hier soir au bord du lac a été particulièrement émouvant : « Frères, je reste par­mi vous quelque temps encore, puis je devrai vous quitter. D’autres pauvres, en Galilée et ailleurs, des malades et des malheureux comme vous, atten­dent une parole de réconfort et l’annonce de leur libération. Je ne vous laisserai pas tout à fait seuls, puisque certains de mes disciples seront avec vous ; ensuite je reviendrai, sans doute.
   Je m’adresse d’abord aux riches qui nous ont ou­vert la porte de leur maison : restez fidèles à vous-mêmes, frères. Ne gardez pas vos greniers pleins, alors que les pauvres ne mangent pas à leur faim. Soyez parfaits, comme votre père céleste qui fait briller le soleil pour répandre chaleur et lumière sur les riches comme sur les pauvres, sur les bons com­me sur les méchants. Qu’adviendrait-il si Dieu se ré­servait les biens de la création, l’eau et la terre, la chaleur et la lumière, le blé et l’huile, les herbes et les fruits ? Ne mourrions-nous pas tous d’inanition ? Le jour du Seigneur est proche et il sera grand et redou­table. Il apportera le bonheur et le malheur, Il pourra fertiliser vos terres ou les détruire par l’incendie ou par la révolte des pauvres. Que faites-vous à la mois­son ? Ne séparez-vous pas le grain de la paille ? Ainsi, en son jour, le Seigneur séparera les bons des méchants, pour rassasier les premiers et livrer les se­conds aux flammes... »


Jésus parlait encore, quand une rumeur s’est répan­due dans la foule, qui s’est mise à tanguer comme sur un bateau. Tout d’abord confuses, les voix se fi­rent plus nettes au fur et à mesure que, volant de bouche en bouche, elles se rapprochaient de la bar­que :
- On a tué le Baptiste !
Hérode lui a coupé la tête !
- Dans un jour de fête...
- Par vengeance d’une pute !

   S’informant auprès d’André et de Judas, Jésus sai­sit en un instant l’enchaînement du drame : la maî­tresse du roi avait profité de sa bienveillance envers sa fille, qui avait si bien dansé devant lui, pour obte­nir en récompense la tête de Jean-Baptiste. Belle-sœur d’Hérode, elle n’avait pas pardonné au pro­phè­te de l’avoir attaquée en public pour son union adul­té­rine avec le monarque.

   Se dressant sur le bord du bateau et levant les bras pour attirer l’attention de la foule, Jésus déclara : « Frères, une triste nouvelle blesse nos cœurs et nous laisse stupéfaits : Jean-Baptiste n’est plus ! Qui étions-nous allés voir au désert ? Un roseau agité par le vent ? Un rebelle contre les intrigues de la cour ? Un fugitif ? Plus que cela : un prophète auquel Dieu avait confié la mission de réconcilier les fils d’Israël. Il nous a ouvert le chemin de la repentance, le che­min de l’honnêteté, le chemin de la sainteté, le che­min de la conciliation, le chemin de la réunion de la nation. »

   Puis, le regard vers le ciel, avec une passion con­tenue, il prononça cette lamentation :

Femmes, pourquoi êtes-vous si rieuses
Quand il faudrait que vous fussiez pleu-
[reuses ?    
Car notre terre est devenue impure
Comme la bourbe d’une sépulture.

Coule, ô Jourdain, en pleurs vers la mer
[Morte,   
Villes, voilez de deuil toutes vos portes :
Hérode, le grand roi de la nation,
A décapité Jean, par trahison.

Il avait fait une vile promesse
À Salomé, l’enfant de sa maîtresse :
Ayant si bien dansé le jour de fête
Elle a reçu pour prix la sainte tête.

Pleurez, ô mères, la mort du Baptiste
Qui blesse l’âme et notre cœur attriste :
Criez vengeance à Dieu contre l’injuste
Qui a trahi, assassiné le juste.

Que vos larmes nous lavent de ce crime,
Vos cris soient un appel à la vengeance
Contre ce roi qui, dans sa déchéance,
Jette sur nous la honte et nous opprime.

   À cette invitation, une jeune femme se détacha de la foule pour monter dans la barque. Ôtant le voile blanc qui tombait de sa tête et dénouant ses cheveux, elle s’agenouilla et, en larmes, poussa un long cri :

Malheur ! Malheur !
Tout le peuple s’attriste
pour la mort du Baptiste.

Qu’il était beau
notre prophète !
Debout sur le Jourdain,
bénissant de sa main,
il baptisait dans l’eau
le pénitent en quête.

Malheur ! Malheur !
Mettez sur votre seuil
les enseignes de deuil.

Conciliant les vieux
aux fils de nos familles,
prêchant le repentance,
il donnait l’espérance
à nos fils et nos filles
du Royaume des cieux.

Malheur ! Malheur !
l’engendré du serpent
a tué l’innocent.

Hérode a ordonné
pour plaire à sa maîtresse
de lui couper la tête
dans une grande fête
menant en allégresse
le peuple abandonné.

Versez des yeux, ô mères,
flots de larmes amères !
Demandez au Seigneur
Qu’il châtie le tueur !

   Puis une vieille femme monta à son tour sur le ba­teau. Elle était dévoilée, sur son visage flétri se li­saient les signes du temps écoulé et les stigmates de la souffrance. Je l’avais entendue autrefois chanter, pleureuse attitrée, la mort d’un jeune garçon. S’age­nouillant elle aussi, les cheveux noués, elle laissa mon­ter sa plainte :

   Mon âme se désole – et mon esprit s’attriste
   Pour la mort douloureuse – du prophète Baptiste.
   Qui m’aide et me console – dans ma gran­de souf-

[fran­ce ?  
   Je ne suis que pleureuse – dans mon im­puissance.
   Maudite soit la fête – où la jolie vipère
   A demandé la tête – pour réjouir sa mère.

   Salomé se serrait contre moi, les yeux fermés, im­mobile, mais je sentais son corps frémir. Quand la plainte s’est tue, elle s’est détachée de moi et, me prenant par la main, m’a entraînée jusqu’au quai. Elle a bondi sur le navire. Dévoilée, toute dressée, les boucles au vent, sans pleurer, le regard tendu vers le nord de la ville, elle a joint ses lamentations aux autres complaintes :

Moi, Salomé, touchée par le malheur,
Je chante contre toi, dans ma douleur.
À ton encontre, Salomé, je chante
Mon mépris pour la gloire qui te hante.

Ah ! Danse, Salomé, saute ô cruelle
Aux pieds légers d’une jolie gazelle.
Renferme dans tes mains, serre la tête
Comme une coupe dans un jour de fête.

Encore un tour, un autre tour encore
Pour séduire le roi qui t’adore ;
Mais prends garde à ce qu’elle ne remue,
Que le sang coule, si tu es émue.

Oh ! le sang goutte en maculant ta blan-
[che   
Chemise à la bordure de la manche.
Pourras-tu le cacher ? Te confier
À ta maman sans la terrifier ?

Naïvement tes yeux versent des larmes
En abîmant la beauté de tes charmes.
Le gracieux roi t’embrasse et s’attendrit
Et, soulagée, ta mère lui sourit.

Moi, Salomé, je chante en ma fureur
Contre toi la vengeance de mon cœur :
Je chante pour l’honneur de mon jeune
[âge    
Qui a reçu de toi un tel dommage.

   La plainte de Salomé a été suivie d’un lourd si­len­ce : profonds étaient l’horreur et le dégoût qu’elle avait suscités chez les auditeurs. L’insouciance de la jeune danseuse s’avérait plus monstrueuse que le cri­me lui-même. Sous le poids de la honte, tous les yeux s’étaient abaissés. Un homme bronzé, petit et gros, les yeux brillants d’émotion, se précipita sur le chaland et lança son réquisitoire :

Malheur au roi tueur
De notre bienfaiteur !

Je ne suis pas pleureur, mais un vengeur
Du sang versé du prophète Baptiste.
Quel prix devrons-nous mettre sur la liste
Que nous présenterons à l’empereur ?

Qu’il soit banni des coins de notre terre
Qu’il a ensanglantée, rendue maudite ;
Qu’il soit jeté dans le désert, qu’il erre
Car la rentrée lui sera interdite.

Périsse l’imposteur
Du peuple et du Seigneur !


Comment décrire l’agitation provoquée par la plainte de Jésus, les lamentations des pleureuses, le chant de révolte de Salomé et l’invective de l’homme ? Les gens se pressaient les uns contre les autres, des poings menaçants se dressaient, des bras s’armaient de bâtons, partout on n’entendait que cris et impréca­tions, malédictions et jurons.

Maudit soit l’assassin
qui a voulu sa fin !

Qu’on brûle les mains
de ces sales putains !

Qu’on crève les yeux
du roi, ce vicieux !


Des hérodiens et des huissiers, qui étaient venus pour s’emparer de Jésus une fois l’assemblée disper­sée, furent surpris par cette émeute. Persuadés qu’il ne pourrait pas s’échapper de la barque, ils se mirent à repousser la foule par des cris, des coups de poings et de bâtons, en attendant l’arrivée de renforts. Mais Jésus, profitant de ce délai, descendit dans la barque légère et, sous les coups de rame de Céphas et An­dré, prit rapidement le large. L’autre barque, dirigée par Jean et Jacques, le suivait de loin. J’ai appelé Sa­lomé, l’ai cachée sous mon manteau, et nous nous sommes enfuies.




Roman achevé en 2002




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t320730 : 31/05/2020