alomé s’était rembrunie à la pensée que je pourrais l’abandonner à sa solitude.
- Ne pleure pas, Salomé ! Crois-tu que je pourrais me séparer de toi ? Je pressens que notre parabole a encore de l’avenir si le mythe de Io nous concerne aussi : tout à l’heure, je me disais que tu pourrais figurer Io, toi aussi, et même Ruchama. Nous ferons ensemble le voyage d’Égypte !
- Tu te montres toujours d’une exquise délicatesse avec moi, Maria ! Mais as-tu oublié que l’homme de ma vie m’a quittée ?
- Il reviendra, j’en suis sûre ! Avant de prendre une décision, il a toujours besoin de se recueillir pour retrouver Dieu ; Il lui fera comprendre que sa place est auprès de toi, qui débordes d’amour pour lui.
- De qui parlez-vous ? a demandé Joseph qui n’avait pas entendu le début de notre conversation.
- De Jean.
- Jean ? Je l’ai vu arriver chez Simon au moment où je partais pour venir ici.
Un éclair de joie illumina le visage de Salomé ; nous trépignions d’impatience !
-
As-tu faim ? Avons-nous demandé à Joseph.
- Je peux attendre ce soir : Simon nous a invités à dîner. En attendant, un jus d’orange serait le bienvenu.
D’un saut, Salomé ramena quatre gobelets. « Pour qui le quatrième ? » demanda Joseph avec un sourire.
Toujours malicieuse, Salomé n’en remplit que deux, nous invitant à nous désaltérer pendant qu’elle allait chercher quelques gâteaux. À ce moment, Jean entra dans la pièce.
- Jean, lui dit Salomé en lui donnant l’accolade, tu es en retard. Ce n’est pas correct envers notre hôte !
Il tendit la main à Joseph : « Je te prie de m’excuser ! »
Il me serra dans ses bras et, après s’être désaltéré, rompit le silence qui devenait pesant :
- Ce jus d’orange est rafraîchissant et j’étais assoiffé... Merci ! Je te sais gré, Salomé, de m’avoir attendu et de ne pas t’être laissée aller à penser que je t’aurais délaissée. Je n’ai pas voulu suivre mes condisciples qui partent en Galilée attendre la seconde apparition de Jésus annoncée par Céphas. Je me suis vivement reproché de ne pas être intervenu pour vous éviter le jugement et l’humiliation : Nous croyons Jésus ressuscité, et nous condamnons celles qui nous tiennent tant à cœur ! Le Christ est-il si pressé d’exercer son jugement sur nous qu’il ne puisse attendre la fin du monde ?
« J’errais près du temple, puis je portais mes pas ailleurs : l’odeur du sang et de la chair rôtie me soulevait le cœur. Je comprenais alors le dégoût du Dieu d’Osée pour les offrandes des prêtres ! Quel Dieu pourrait s’y complaire et envoyer son fils pour un sacrifice aussi cruel que le châtiment des hommes et l’embrasement du monde ? J’ignore le nom du Dieu d’Osée, mais je connais celui du Dieu qui se complait dans l’anéantissement de sa création : je me garderais bien de le nommer, car j’en mourrais !
« Je fus saisi d’une telle rage que j’éprouvais le besoin de le défier, de le provoquer à intervenir aussitôt parmi ces hommes qu’il veut condamner. Le combat de Jésus avec Dieu sur la croix m’est revenu en mémoire, je me suis senti crucifié, moi aussi. Alors, levant les yeux au ciel, j’ai crié de toute ma voix : « Yahvé ! » Mais rien ne se passa : ni la foudre, ni le tonnerre ne jugulèrent mon cri.
« Seule, non loin de moi, une fillette pleurait. Je suis allé vers elle pour la consoler :
" Pourquoi pleures-tu, fillette ?
" Tu as appelé le géant ; il va venir, il prendra ma poupée et il me mangera !
" Ne crains rien, je l’ai chassé, au contraire !
« Mais je ne parvenais pas à l’apaiser...
" Comment t’appelles-tu ?
" Rachel.
" Ma petite Rachel, ne pleure plus, nous serons nombreux à chasser le géant et à protéger les petites filles comme toi, mais aussi les mères, les pères et même les poupées !
« J’ai ramassé sa poupée de terre cuite, que j’ai posée entre ses bras. Elle s’est alors rassérénée et s’est jetée à mon cou. Si vous aviez vu ses yeux, tour à tour embués par les larmes et étincelants de bonheur ! Jamais plus ravissante étoile n’a brillé au firmament que ces yeux d’enfant !
Dieu m’a fait la grâce d’apercevoir Son image reflétée dans Sa créature ! Comment ce
Dieu-là se nomme-t-il ?
Jean nous avait bouleversés, personne n’osait plus parler. Joseph rompit le silence :
- Pourquoi veux-tu percer le secret de son nom ? Il y a une histoire qu’on raconte chez nous. Lorsqu’Adam et Ève franchirent la porte de l’Éden, Adam dit à Dieu :
Seigneur, nous méritons que Tu nous chasses de Ton paradis, mais aie pitié de nous. Nous avions l’habitude de Te saluer tous les jours, quand Tu descendais dans le jardin pour T’y détendre au crépuscule. Maintenant, nous ne Te verrons plus ! Alors, dis-nous au moins Ton nom, pour que son invocation éveille en nous Ta présence. Laisse-nous une image de Toi, que nous dresserons dans un temple afin de T’adorer et T’offrir nos sacrifices.
" Parcourez la terre : je serai parmi vous, vous y porterez mon image et vous connaîtrez mon nom.
" Que pourrions-nous porter, Seigneur ? Nous sommes nus !
" Vous êtes, vous-mêmes, mon image ! répondit Dieu. Mon nom est ’ Isch-Ischa ’ !